Marco Parusso n’est pas un vigneron comme les autres. Perçu souvent comme un « moderniste », il revendique pourtant remettre au goût du jour des pratiques antiques qu’il a découvertes dans des écrits très anciens. Il emprunte depuis quelques années déjà une route qu’il est le seul à fouler dans les Langhe. Mais peu lui importe. Car l’homme revendique son originalité et sa tranquillité. Nous avons donc eu dernièrement le plaisir de le recevoir au CAVE pour une verticale Barolo Bussia, un des plus grands terroirs du Barolo. Mais avant de nous pencher précisément sur l’évolution de ce vin, parlons un peu du parcours de son géniteur…
La famille Parusso commence à cultiver la vigne entre les deux guerres. La première vente de vin en bouteilles – et sous leur étiquette – se fait avec le (grand) millésime 1961. Au début, le domaine compte seulement deux hectares, sur les crus Bussia et Mariondino. Marco Parusso, qui ne se destinait initialement pas aux métiers du vin, se décide finalement à étudier l’œnologie à Alba. Il sort diplômé en 1986. Bien qu’étant le plus jeune des trois frères de la famille, il fait partie de la génération de barolistes qui se sont faits connaître dans les années 90, révolutionnant le vieux style d’antan.
Jusqu’en 1985, le domaine ne produit qu’un seul barolo, assemblant tous les crus possédés. Mais en 1986, les choses changent. Cette année là est un peu particulière, car le millésime connaît une grêle terrible en mai. Mais surtout, durant l’hiver, la région connaît un grand scandale de vins contaminés au méthanol, qui fera beaucoup de tort au vignoble et incitera nombre de jeunes vignerons à changer. S’inscrivant dans cette dynamique, le domaine intensifie la qualité et le nombre d’heures de travail à la vigne ; ce sont les débuts de la vendange en vert. Marco décide également de créer une nouvelle cave plus fonctionnelle. En 1987, sa sœur quitte son emploi et commence à travailler avec lui. Aujourd’hui, la propriété compte 25 hectares, disséminés en 17 parcelles, situées entre Monforte et Castiglione Falletto.
Le Dr. Patrick Regamey, fidèle ami de Marco Parusso, n’aurait raté cette verticale pour rien au monde…
Le Bussia du domaine est composé de 3 entités : Rocche (exposé sud, sud-est, plutôt calcaire, donnant finesse et élégance) ; Mugnie (exposé sud, sud-ouest, plus chaud, moins calcaire, donnant plus de structure, de richesse et volume) ; enfin le bien connu Sottana, appelé ici Fiurin (bénéficiant du soleil du soir, et donnant des tanins plus fermes, plus masculins). En 1990, l’unique Bussia produit est un assemblage de Rocche et Mugnie. De 1991 à 2011, Marco pousse aussi loin que possible la logique du découpage parcellaire de ses crus, séparant les trois origines que nous venons de détailler. Puis il réassemble ses vignes à partir de 2001. A propos de son style, qui a beaucoup évolué au fil du temps, comme nous allons le voir, il dit ceci : « Quand le vin est jeune, il doit déjà être mûr, et quand il est mûr, il doit être encore jeune ! »
Et maintenant, voici le détail de cette formidable verticale, qui a transporté les dégustateurs d’un soir…
Barolo Bussia 1990 en Magnum : peu de technologie à cette époque, difficile de maîtriser les températures, élevages en vieux foudres. Pas de trace d’évolution de la couleur. Nez discret mais fin, il s’ouvre sur les épices avec également des notes de bois de santal. Bouche légère, délicate, le vin est ascendant et possède un équilibre souverain. Mais sensation de légère chaleur en finale, avec un léger décrochage qui indique qu’il est temps de le boire… à table !
Barolo Bussia « Vigna Rocche » 1993 en Magnum : apparition des cuves pour maîtriser les températures, élevage 100% bois neuf en demi-muids. Premier nez épicé, avec un fruité assez avenant, jeune ; on devine un vin aux contours lisses, doté de chair et de fruit. Attaque soyeuse, moins granuleuse que sur le 1990. Il se goûte à merveille et possède un grand charme, avec son milieu de bouche si avenant. On a vraiment la caractère du cru !
Barolo Bussia « Vigna Rocche » 1996 en Magnum : début des roto-vinificateurs et des élevages en barriques. Nez fumé, un peu simplifié, mais belle bouche nerveuse, fine, avec une acidité tendue. Ceci-dit il possède moins de chair que le 1993, et se goûte plus nebbiolo que Barolo, comme beaucoup de 1996. Il ne gagnera sans doute pas à vieillir plus, mais il est bon à boire aujourd’hui.
Barolo Bussia « Vigna Fiurin » 1998 : millésime ultra classique. Nez fumé, épicé, très typé « moderne » dans la présentation, mais net, assez éclatant. Vin précis, charnu, très équilibré, avec encore quelques scories aromatiques d’élevage en bouche, mais très harmonieux dans la texture. Un cru rond, confortable, qui annonce le changement de style du domaine…
Barolo Bussia « Riserva Oro – Vigna Rocche » 1999 Magnum : qualifié de « grosso » par Marco, 1999 est un millésime de couleur, de tanin et d’alcool. Nez plus « élevé » que tous les vins précédemment goûtés (c’est une Riserva), avec une sensation de richesse et de soleil. Bouche grasse, aux tanins assouplis par la barrique, ample, un peu saturante dans l’élevage, mais sa richesse a beaucoup plu a nombre de dégustateurs.
Barolo Bussia « Vigna Rocche » 2000 : millésime d’équilibre. Ce sont les débuts de l’élevage sur lies au domaine, avec entonnage en bois neuf juste après les fermentations. Premier soutirage en décembre. Boisé plus fin, grillé, avec plus de fraîcheur et de précision, mais également des arômes de cassis relativement marqués. Bouche pulpeuse, un peu « nouveau style », jeune, finissant sur des nuances grillées d’élevage et de lies. Le vin gagne en pureté à l’aération.
Barolo Bussia 2001 : Grande année, complexe et complète. Nez fumé, épicé, racé, sexy en diable, avec une bonne fusion du fruit et du bois. Difficile de ne pas aimer, car la qualité de la chair est assez remarquable. Le grand barolo moderne et charmeur dans toute sa splendeur, ample, rond, avec une qualité de bouche idéale et tanins très faciles, savoureux. Vin plébiscité !
Barolo Bussia 2003 : un millésime de canicule qualifié de didactique par Marco, caf il l’a vendangé très très tard, afin de ramasser mûr, après le stress hydrique qui avait bloqué la maturation phénolique. Nez floral et de matcha hors-classe, hyper raffiné, qui rappelle presque certains vins réussis les grands traditionalistes. A peine abricoté, mais incroyable de pureté et finesse, sa délicatesse de texture est sensationnelle. Boisé hyper raffiné pour ce vin long, sapide, juteux. Grand !
Barolo Bussia « Riserva Oro » 2004 en Magnum : grand millésime ultra classique, un peu comme 1998. Seulement 1000 magnums produits. Le domaine commence seulement à vendre cette Riserva. Nez puissant de fruits exotiques, de goudron, balsamique, enrobé par un élevage ambitieux. La bouche est la parfaite continuité du nez, hyper jeune, encore un peu élevée, mais bourrée d’énergie. Un magnum prometteur, destiné à la longue garde…
Barolo Riserva Argento 2005 : millésime compliqué. Cuvée issue d’une petite sélection de Bussia vendangée après 10 jours de pluie. Nez mentholé, frais, différent des autres, sur les fruits rouges, avec un profil presque pinotant. La bouche est facile, fraîche, sans grande vinosité mais également sans creux. Elevage bien calibré. Finale salivante, piémontaise.
Barolo Bussia 2006 : très bonne année classique. Notes de châtaigne, tabac, réglisse, fruits noirs et suie. Attaque dense sur une saveur de cassis. Les tanins sont très fins, jeunes et serrés, le boisé est encore présent. Vin long, ferme et très structuré. Sur l’allonge on perçoit une acidité volatile un peu haute, qui donne du nerf à l’ensemble.
Barolo Bussia 2007 : 2007 est un peu comme 2000, selon Marco. Vin opulent et goudronné, avec un élevage encore présent qui encadre une matière riche, délivrant une sensation de liqueur. Un vin long, mûr, bien fait, mais un peu plus saturant à ce stade que le suivant. Ceci dit, il a tout pour bien vieillir, et longtemps.
Barolo Bussia 2008 : vinifié avec 50% de vendange entière. Fruit pur, net, poudré et balsamique, élevage très bien intégré et fondu dans la matière. La bouche continue le nez, elle est jeune, juteuse, très nuancée, fondante, facile à boire mais en même temps parfaitement bâtie. Vin évident, excellent dans son style. Et confirmation que 2008 est un millésime hors-classe à Barolo !
Barolo Bussia 2009 : vinifié avec 80% de vendange entière. Boisé un peu en avant, à l’aération, des notes de cassis apparaissent. Bouche souple, facile, très « 2009 », encore serrée dans la trame avec de l’acidité en finale, mais facile à comprendre. Belle démonstration du fait que la vendange entière maîtrisée ne cantonne pas les vins à plus d’austérité, bien au contraire…
Barolo Bussia 2010. 80% de vendange entière et deux mois de macération ! Le plus jeune de tous et donc le plus cassissé à ce stade, mais il s’ouvre sur les fruits exotique, nez très Parusso. Tanins suaves pour une bouche glissante, sans grésillement de tanin, extraite mais pleine de vie, avec encore quelques nuances d’élevage en finale (le vin n’est pas encore en vente), mais dotée d’un grand dynamisme. Une sorte de synthèse entre 2008 et 2009. Grande promesses.
Nous remercions chaleureusement Marco Parusso et sa famille pour nous avoir permis de réaliser cette très belle verticale, qui a mis en valeur vingt années de travail, de questionnement et de recherche. Nous ne pouvons que rendre hommage à cet homme passionné et perfectionniste, dont la trajectoire illustre à merveille ce talent particulier qu’ont les italiens pour créer !
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