A la même époque, Charles Joguet pense aussi transmission et s’entoure de nouvelles personnes, afin de pérenniser son exploitation. Ainsi, en 1983 il recrute Michel Pinard pour assurer le suivi du vignoble et des vinifications. L’homme restera en place jusqu’en 2004 et pourra se vanter, entre autres, d’avoir vinifié les fameux 1989 et 1990 ! En 1985, le domaine prend une nouvelle dimension avec l’arrivée de Jacques Genet et sa famille comme partenaires. En 1997, quarante ans après avoir créé le domaine qui porte son nom, Charles Joguet tire sa révérence viticole pour se consacrer entièrement à son autre passion jamais éteinte, la peinture. Aujourd’hui tenu par la famille Genet et codirigé avec poigne et passion par Anne-Charlotte Genet depuis 2006, la propriété compte désormais 40 hectares et produit 8 cuvées en rouge. En collaboration étroite avec Kevin Fontaine, responsable des vignes et des vinifications, elle souhaite par ailleurs affiner encore les élevages et surtout s’orienter vers une viticulture biologique, tout en étant consciente de la tâche qui l’attend ; car réaliser une telle conversion sur un domaine de grande taille n’est pas une mince affaire !
Le terroir de la Dioterie, goûté lors de la verticale du 2 mai dernier au CAVE, est situé juste à côté du chai, il domine les Varennes du Grand Clos. Comptant à peine plus de 2 hectares, il est connu pour l'âge de ses vignes (70 à 80 ans), mais aussi pour son terroir argileux fortement calcaire et son exposition nord-est tardive. Ses vieilles vignes au faible rendement (souvent moins de 30 hl/ha) font l'objet de soins particulièrement attentifs. L’élevage, jusqu’au millésime 2004, était réalisé en barriques des 4 à 5 vins, durant 12 à 14 mois. Les malolactiques étaient faites en cuves avant l’entonnage sous bois. Puis le domaine a opté progressivement pour des cuvaisons sous bois (2008) et des malos en barriques plus récentes (1 à 3 vins).
Anne-Charlotte Genet
Voici le détail des millésimes dégustés :
1988 : millésime frais et tardif, début des vendanges le 5 octobre.
Magnifique nez complexe mêlant la suie, les agrumes, le poivre, le menthol, la rose séchée : très beau dégradé aromatique. En attaque on retrouve la vivacité du millésime, avec une petite note de savon, puis le vin s’ouvre sur un fruit encore jeune. Les tanins sont fins et très vifs, la trame dynamique, avec une texture de taffetas qui justifie la fameuse phrase de Rabelais !
1990 : grand millésime sec, mûr, malgré les pluies en septembre, à peine dilué en fin de cycle.
Plus épicé, tabacé, chaud, évoluant sur la boite de cigares, la violette, le cuir ; moins complexe aromatiquement que le 1988 mais plus tranquille, posé, évolué. Bouche opulente, confortable, pour ce vin long, gras, de superbe tenue, complètement à point sans être fatigué. Il pourrait durer encore longtemps. Très rémanent. Grand vin.
1996 : millésime très sec et chaud, vendanges sur 3 semaines, avec 10 jours de coupe seulement.
Moins net, notes de carotte avec des accents de TCA récurrents sur ce millésime dus à un bouchage déficient, hélas. La bouche est touchée, mais on sent une vraie intensité et une vraie personnalité. Quel dommage !
1998 : millésime plus frais, pluvieux avant les vendanges, beaucoup de tri.
Evolué dans la teinte, tirant sur l’acajou. Notes d’épices, de muscade, mais sans côté vieillot. Bouche juteuse sur l’attaque, dynamique, légère saveur métallique en milieu mais allonge fruitée. Vin fin, équilibre ligérien, délicieux à boire aujourd’hui.
1999 : millésime beaucoup plus chaud et solaire.
Cassis entêtant ! Moins monolithique à l’aération car d’autres fruits apparaissent. On retrouve cette aromatique en bouche, mais si on laisse de côté le goût, la texture est belle et la matière bonne. Il pourrait vieillir longtemps… dans ce style !
Un autre artiste du cabernet franc, Jean-Pierre Pellegrin
2003 : millésime caniculaire, vendanges vers les 18 sept (la dernière fois c’était en 1947 !).
Lent à s’ouvrir, il prend un côté exotique mais sans excès. Bouche texturée, enrobée, une sensation d’alcool pour la première fois apparaît mais sans débordement, sans dureté dans les tanins, par ailleurs assez fermes, « crayeux » sur l’allonge. La tenue à l’air est remarquable. Une très bonne surprise et un très beau 2003, qui pourrait défier le temps !
2004 : millésime très froid, passages pluvieux récurrents, très difficile.
Premier nez de géranium, avec une évolution sur la quinine et la gentiane. Il fait sensiblement plus évolué que le 2003. Au nez et en bouche, on note beaucoup de végétal, structure fragile, peu enrobée, saveur de cacao en poudre, amertume. Vin à l’image du millésime, qu’il faudra boire rapidement !
2005 : millésime solaire, sec, pics caniculaires, vendanges fin septembre et réalisé « avec les moyens du bord », l’ancien régisseur venait de partir.
Boisé exotique, nez intense et très jeune de fruits noirs, confiture de myrtille, fumé. Bouche « goudronnée », tanin un peu abrupt et acidité légèrement dissociée à ce stade. C’est très tannique, avec un grain un peu pointu, mais le vin est jeune et semble armé pour vieillir. Patience.
2006 : sécheresse, avec des pluies sur septembre.
Bois présent mais mieux intégré que sur le précédent au nez. Bouche de belle maturité mais avec une sécheresse et une amertume dans les tanins frappante en finale, l’acidité est vive. Disharmonieux à ce stade, il faudrait le voir à l’évolution. Anne-Charlotte Genet regrette toutefois le côté « vieux fût » de ce vin, qui selon elle a séché et durci quelque peu la matière.
2007 : millésime très compliqué, été pluvieux, coulure à la fleur, maturités hétérogènes, mais arrivée de la table de tri.
Nez harmonieux, plus fin, meilleure fusion du bois, fruits noirs. Très belle harmonie de bouche avec un vrai déroulé tannique, c’est frais, long, avec une admirable maturité pour l’année. Il se goûte bien et sans doute pour encore longtemps. Très bien.
2008 : année ligérienne, climat ensoleillé mais frais, pluies sur juillet, millésime plutôt équilibré.
Boisé légèrement praliné, qui à ce stade prend le pas sur le naturel fruité du vin. Mais belle qualité de tanins, gras, sans sur-extraction. Vin quelque peu bordelais dans les contours à ce stade, mais par sa densité il devrait bien vieillir. En confiance.
2009 : grande année chaude.
Légère acescence à l’ouverture, qui fait ensuite place à un vin mûr et riche, à l’élevage immédiatement mieux intégré que dans le 2008, au nez et en bouche. Il est bien jeune et tout en muscle, maximisant dans les sensations toutes ses constituantes. Un gros et beau bébé, à laisser vieillir tranquillement et sereinement. Rejoindra-t-il les 89 dans la légende ?
Nous remercions infiniment la famille Genet, tout particulièrement Anne-Charlotte, pour avoir animé et permis d’organiser cette verticale, qui a montré que le Clos de la Dioterie vieillissait admirablement. La propriété poursuit l’oeuvre de son créateur, animée par l’esprit novateur et ambitieux qui avait fait de ce dernier un homme en avance sur son temps.
Comment
Merci, Nicolas,
Nous avons récemment goûté les cuvées de Joguet, de 2009 à 1989.
Il sera intéressant de suivre en effet l’apport du bois à ces vins.
(et voir si 2009 pourra à terme briller avec l’étincelant 1989).