L’histoire démarre dans un shtetl, au milieu de nulle part, par un apologue fantastique, avec un homme à la barbe fleurie, Reb Groshkover, dont l’étrange vertu est d’être à la fois mort et vivant. Traduit en yiddisch, ce genre de personnage est un dibbuk, une coquille vide, un fantôme agi par l’esprit malin…
On retrouve ensuite des perspectives (apparemment) plus rassurantes, au son du lancinant Jefferson Airplane, que module la voix rauque et sublime de Grace Slick. Pour suivre la vie et les cours de Larry Gopnick, professeur de physique à Minneapolis. C’est lui le Serious man, l’homme appliqué, le vertueux, dont la vie se déroule comme un océan étale entre les pelouses tondues au cordeau et les équations sombres de la physique quantique. En yiddish, cette application à ressembler à son idéal de perfection porte un nom : un Mentsh, quelqu’un à qui l’on doit le respect.
Telles sont quelques-unes des apparences.
Mais une insidieuse désorganisation s’empare bientôt des conventions, un principe d’incertitude s’intercale entre les êtres, un lent et subtil dérèglement est à l’œuvre, ici aussi. Il suffit, parfois, d’être obligé de monter sur le toit de sa maison pour régler l’antenne de TV. On découvre de nouvelles longueurs d'onde. On s’aperçoit alors que la réalité est plus étrange qu’il n’y paraissait : un voisin hargneux qui ronge votre territoire ; et madame Samsky, la belle voisine, nue au soleil qui réveille une libido assoupie et fantasmatique.
Nous sommes à la fin des années soixante. Deux cultures (au moins) s’opposent : celle, rassurante, millénaire, un brin coercitive, dans laquelle a visiblement été éduqué notre Serious man ; celle qui émerge sur fond de marijuana, libération sexuelle et musique planante de l’Airplane. Ce vieux monde craque. Les frontières se délitent.
Le chat de Schrödinger qui apparaît fugitivement au milieu d’une longue série de démonstrations quantiques semble être l’emblème discret de ce glissement du sens, de l’énigme à travers laquelle le prévisible et l’imprévisible s’allient pour brouiller les pistes : un étudiant en difficulté tente de soudoyer Larry Gopnick : refusant d’accepter ce pot de vin, ce dernier se trouve prisonnier d’un paradoxal chantage. Madame Gopnick (c’est fou comme elle ressemble à Grace Slick, en moins aimable…) demande le divorce pour convoler en justes noces avec l’obséquieux Sy Ableman (qui en mourra). Le fils Gopnick qui préfère les vols planants du Jefferson à ceux du bar-mitsva (on le comprend !) ; la fille Gopnick qui pense que le remodelage de son nez va changer sa vie ; le frère Gopnick, parasite social et semi-autiste polymorphe, bref : tout un monde insaisissable dont ni les intentions secrètes ni le destin ne se laissent enfermer dans le piège d’une équation !
« Tout acte a des conséquences… « telle pourrait être la morale de la fable. Ou comment être juif sans y croire vraiment? Larry Gopnick est désemparé. D’autres courraient les psychiatres. Lui, ce sont les rabbins. Le premier manque d’expérience. Le second répond est hanté par les visions d’un dentiste qui, un jour, a déchiffré les signes de Dieu sur la face interne des incisives de l’un de ses patients. Le troisième, Rabbi Marshak, se tait, obstinément. Il réfléchit.
On retrouve Rabbi Marshak, énigmatique, face au facétieux Danny Gopnick, le fils allumé (double des frères Coen) de Larry. Il livre alors la clé des songes et de la Torah : la composition intégrale du band emblématique : Grace Slick, Marty Balin, Paul Kantner, Jorma Kaukonen, Jack Casady, Spencer Dryden. Comprenne qui voudra….
Reste la fin, étrange : courez voir A Serious Man, ce film subtil, intelligent, bourré d'humour, délicieusement décalé. Avant que la tornade ne vous emporte !
3 Comments
The first cut is the deepest, Rod Stewart would sing
Alors, Grand Jacques, il n’est que temps que tu visionnes – enfin – les autres Cohen, dont l’ineffable FARGO et l’incontournable O’BROTHERS.
Voilà au moins deux de leurs films qui te permettront des variétés de style, de mots, de routes et chemins de traverses comme rarement tu en as l’occasion 🙂
A SERIOUS MAN : je savais que la scène depuis le toit allait réveiller en toi le zwingliste épris de ce pur judaïsme si proche de tes Jefferson Airplane : ça fait de sacrés chocs tout ça !
Cool, Mentsch, cool 🙂
Pas le meilleur du duo selon moi …
Moins léger, bien sûr …
La critique des cahiers ("en kabbale") est intéressante car elle décrit un film kabbalistique … et l’incongruité totale des juifs du midwest (le propos est de Ethan Coen).