A table avec Kant : le vin est-il une oeuvre d'art?

Sur ce plan-là en tout cas, malgré l'aridité de son œuvre et l’anti-priapisme de sa vie, le grand Chinois de Koenisgberg (comme le surnommait Nietzsche) présentait de solides lettres de créance, plus sérieuses mêmes que celles dudit Nietzsche, pourtant réputé philosophe dionysiaque :

Il en est des œuvres d'art comme du vin : le mieux est encore de pouvoir s’en passer, de s’en tenir à l’eau, et, spontanément, par une flamme intérieure, par la douceur intime de l’âme, de changer encore et toujours cette eau en vin

Nietzsche, Vivre sans art comme sans vin (Humain, trop humain)

Cela n’a pas empêché Michel Onfray, dans un texte récent intitulé la leçon d’œnologie, de tancer Kant, le rendant responsable de l’exclusion de l’œnologie et de la gastronomie de la classification des beaux-arts.

A table avec Kant :"Dites-moi, professeur, où vous procurez-vous ce délicieux vin des Canaries ?"

L’œnologie et la gastronomie, arts mineurs ?

Et alors ? A quoi bon vouloir relancer un débat obsolète ?

Ce qui compte, c’est leur vitalité, leur capacité à s’inventer, à se mettre en question, à se construire à l’écart des stéréotypes et des figures imposées.

Onfray en donne d’ailleurs un très bon exemple – son préambule anti-kantien n’est d’ailleurs destiné qu’à mettre celui-ci en valeur – avec la démarche de son ami œnophile François Briclot, qui dans son bar à vins parisien, Le Rouge-gorge, « propose une solution aux problèmes que ne se posent pas les kantiens. »

Des vins d'auteur aux OVNI, le futur n'est écrit nulle part…

Quelle est cette solution ?
Elle consiste, avec en guise d’argumentaire un joyeux et alléchant fourre-tout conceptuel, à promouvoir les vins d’auteur.

Pourquoi pas ? L’idée n’est pas usée, à défaut d'être nouvelle, et flotte depuis un certain moment dans l’air du temps.

On pourrait d’ailleurs décliner ces vins d’auteurs sur des modes multiples, à des régimes d’intensités différents : les vins d’expression, les vins rebelles, les vins singuliers, les vins monastiques, les vins en liberté, les vins nomades, les vins rhizomes (pourquoi pas ?), les vins citoyens et les OVNI (objets vineux non identifiés), tous unis dans ce combat : briser des carcans, se défaire de l’emprise et des contraintes de la répétition, de la tradition figée et de la norme, inventer le goût de demain qui est déjà celui d’aujourd’hui…

« Enfin, c’est un vin philosophique, car il nous donne une leçon métaphysique : la vérité se trouve dans la construction des subjectivités, dans l’affirmation des individualités qui constituent autant de résistances à la veulerie de notre époque normative et non dans l’instinct grégaire qui produit la plupart du temps des brouets infâmes. « Michel Onfray

Partir sur les routes

Si vous voulez partir sur les routes, à la découverte de ces joyaux, de ces diamants libertaires, c’est partout, sur les routes, en empruntant des chemins de traverse, en larguant les amarres à l’orée de l’été, chez nous aussi depuis longtemps… Enfin, ce sera, fin juin, à Tallard dans les Hautes Alpes, au Salon des Vins d'Auteurs (parrainé cette année par Pierre Gagnaire).

De nombreux vignerons seront là, dont Antoine Arena, Francis Boulard, Stéphane Tissot, Maria Fita ou Michel Grisard, des vignerons libres, indomptables, passionnés (ça ne veut pas dire que ceux qui n’y seront pas n’en font pas également partie).

Le colloque des Pancréateurs

Des artistes ? Peut-être…
Je le reconnais volontiers, je dois être kantien malgré moi et demeure très réticent à l’idée de parler d’art en matière de vins et de gastronomie, hormis quelques exceptions qui allument des aigrettes au bout de l’âme et vous vrillent la glande pinéale.

Les participants au colloque Wine Creator. On y reconnaît Michel Bettane (sur la droite).

C’était d’ailleurs un des sujets du colloque très philosophique qui vient d’avoir lieu à Ronda sous l’égide de WineCreator. On ne va pas ironiser sur le côté new age, très Pancréateur de cette programmatique.

Une des participantes, Jancis Robinson, a d’ailleurs relevé l’emphase de cette expression : »’Wine creators’ is not a good choice of words, I prefer ‘wine authors’.”

Auteur

Jacques Perrin De mon passé de philosophe, j’ai hérité cette intuition que sapientia et saveur partagent la même origine. Des livres et des rencontres qui m’ont aidé à devenir ce que je suis, je garde tout : le sillage patient de la durée, l’inattendu et le meilleur. « Un rêve sans étoiles est un rêve oublié » Nos étoiles sont filantes et nos mémoires sont labiles. Du monde du vin et de la gastronomie, j’aimerais raconter les instants, les nuances subtiles et le bonheur dansant qui s’empare de nous quand nous rencontrons une forme de perfection. Il n’est pas nécessaire de publier un journal extime pour exister. Ce blog n’est pas un blog spécialisé pour wine geeks. Il est d’abord un lieu d’échanges, une série de passerelles, un réseau ouvert. Bienvenue sur les Mille Plateaux !

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