Des bleus sertis de vert se détachant sur la crête acérée des vagues puis virant, violacés, à l’outremer, comme une violence inconnue, sourde, dont nous nous ignorions jusqu’au nom lui-même. Nous n’avons pas encore eu la possibilité d’explorer les contours de cette île ; nous ignorons tout de ses frontières. Sa mémoire n’est pas la nôtre. Ce qu’on a pu nous en dire même ne correspond à aucune des perceptions que nous en avons. Comme si l’île où nous vivons aujourd’hui recouvrait une autre île, plus ancienne, immémoriale. Nous croisons parfois quelques habitants et échangeons avec eux les politesses d’usage. Nous demeurons attentifs à ces signes, à la façon dont s’ordonne leur vie, à leur manière, inimitable, de s’accorder à cette durée, au temps de leur île.
Parfois, nous risquons-nous à les interroger ; très vite, ils nous font comprendre que ce n’est pas le propos. Avec une précipitation étonnante chez ces êtres qu'on croirait prédisposés à une certaine forme de lenteur – comme s'ils vivaient dans un autre temps que le nôtre – ils disent que toute île n'est là que pour nous rappeler que la mer est sur la terre comme la terre est sous la mer…
Aussitôt nous abandonnons la partie et retournons à nos observations. Des motifs qui nous ont amenés ici, peut-être en saurons-nous davantage plus tard. Pour l’instant, notre unique souci peut se résumer ainsi : nous fondre dans le paysage, nous inscrire en lui, non comme une partie de l’île, mais comme un moment de son histoire. Car nous commençons à entrevoir cette vérité, qu’il nous faudra expérimenter encore : ici le temps ne pulse pas de la même façon que sur ce qu’ils appellent le continent, la durée n’y est plus rythmée par l’espace, n’existe plus en relation au mouvement. Nous habitons sur cette île aux reliefs inaccessibles et nous commençons seulement à entrer dans cette conscience : nous n’appartenons pas à l’île ; nous nous adressons à elle comme à une étrangère. Tels ces faisceaux qui à intervalles réguliers trouent la nuit en direction du large. Peut-être nous est-il simplement demandé de veiller sur la destinée de ceux qui un jour de trop près s’en approcheraient ?
Leave A Reply