Le temps de se concentrer et c'est parti pour la dégustation à Haut-Brion. En blanc et en rouge, on atteint ici des sommets. Mission Haut-Brion est imposant, opulent, presque baroque. Tout a été fait ici pour préserver au maximum la fraîcheur du fruit. Selon, Jean-Philippe Masclef, maître de chai et oenologue de la propriété, celle-ci est « une conséquence de la quantité de sucre à transformer ; quand on a 250 g de sucre à transformer on essaie de ne pas choquer les levures et de travailler à 25-26 degrés. » 2010 est une année sèche et les jeunes vignes de merlot en ont un peu souffert. Paradoxalement, les degrés les plus élevés ont été faits par les cabernets. Les merlots manquaient un peu de charme. Dans ce millésime, Haut-Brion comporte donc un pourcentage inhabituel de merlot (23 %) et a gagné en densité, en précision de trame et en profondeur. Ce sera un des grands vins du millésime. Tout comme le Haut-Brion blanc (46 % sémillon – 54 % sauvignon), absolument sublime !
Château Bouscaut.
Dégustation ensuite, à l’aveugle, des vins de Pessac-Léognan organisée par l’UGC au château Bouscaut. Beaucoup de belles surprises en rouge et une homogénéité remarquable sur les blancs.
Château Bouscaut.
Quelques vins particulièrement remarquables parmi les Pessac-Léognan : Carbonnieux blanc, Domaine de Chevalier (blanc et rouge), Les Carmes Haut-Brion, Haut-Bailly, Smith Haut Lafitte (blanc et rouge), Larrivet Haut-Brion rouge, La Louvière rouge, Malartic-Lagravière rouge, Pape Clément.
L’après-midi déroulera pour nous ses plages en rive droite, entre Libourne et Saint-Emilion. Sous un soleil toujours plus ardent. Nous commençons par les vins de la maison Mouiex. Chaque année, je me promets de connaître le nom de l’auteur des tableaux qui se trouvent dans la salle de dégustation, chaque année, j’oublie de poser la question. Ce n’est donc pas une question ontologique. Une chose est sûre, cette terre qui fume, ce paysage automnal, ces labours, cette lenteur n’ont rien à voir avec cette journée, mais beaucoup avec la noblesse terrienne des pomerols goûtés ici.
Les vins que j’ai particulièrement aimés ici : Bourgneuf, Lafleur-Pétrus, Certan de May, Trotanoy.
A Canon La Gaffelière, le soufflé ne retombe pas. Puisqu’il faut choisir, je mettrai en exergue ici un Clos de l’Oratoire, jamais dégusté à ce niveau, un Canon La Gaffelière altier, profond, et une splendeur de Mondotte ! Et si ce n’est pas de l’euphorie – un critique de vins garde ses brouillards et ses soleils à l’intérieur de soi – c’est quoi alors ?
Et un peu plus tard, dans cette fin d’après-midi, à l’extrémité de la côte sud de Saint-Emilion, sur un promontoire, après avoir goûté au Tertre Roteboeuf 2010 (ne manquez pas de regarder la video ci-dessous de présentation du millésime !), ce moment que nous n’attendions pas, qui n’était pas prévu. Comme un don.
Dans nos verres, uniquement pour le plaisir, pour le partage, sans commentaire de dégustation, sans note sur cent, un Tertre Roteboeuf 1985. « Le millésime avec lequel nous nous sommes rencontrés. » précise François Mitjavile qui est allé chercher cette bouteille dans sa cave.
Il n’y a plus d’urgence, plus de timing, plus de projets. Juste vous et moi, à l’angle du promontoire qui poudroie au-dessus de la houle des vignes.
Ces arômes de truffe, de santal, cette texture, cet infini et la cloche de la petite chapelle voisine qui égrène ses notes au moment où nous savourons ce vin, juste au-dessus du lieu même qui l’a vu naître, tout coïncide, présence pure.
Chacune de mes rencontres avec François Mitjavile est l’occasion de poursuivre un dialogue philosophique entamé il y a longtemps, avec ce 1985. Nous voudrions tous garder le souvenir des promesses et des possibles et vivre l’instant de leur accomplissement, le temps est assassin chante la Sanson. Pas vraiment.
Au moment de se quitter, j’évoque Jim Harrison :
« Très récemment, j’ai eu de la veine avec le problème du « temps », car je me suis aperçu que le temps n’est pas quelque chose que nous passons, mais que bien plutôt il se dissout autour de nous comme la lumière tombe en fin d’après-midi… »
La chanson qui danse sur ces lignes Good Vibrations by the Beach Boys
4 Comments
Très beau texte, Grand Jacques et quel mythe vivant que ce sacré François Mitjavile !
Bon : tu nous prépares un rapport comme pour les années précédentes, avec tes catégories dont tu as seul le secret ? Tu les mettras en igne ici ?
Bien à toi !
Les Beach Boys ! On est loin de Zeppelin là, non ? Faiblesse momentanée ou retour d’une jeunesse facile ?
François Mitjavile est toujours aussi intéressant à écouter, et s’il y en a bien un à Bordeaux qu’il me manque de voir et entendre chaque année, c’est lui.
Un type attachant, artiste, volubile, très "expressif", comme son vin. La culture au service du plaisir, et pas pédant pour un sous en plus, juste le plaisir de partager des ressentis et impressions…
Les Beach Boys et Led Zeppelin, pourquoi pas ? Deux images du rock, l’une sucrotante, faussement idéale ; l’autre, incandescente, brutale. Les deux tragiques !
François, bien sûr : je mettrai en ligne les catégories et le rapport, bientôt !
Merci pour ces infos, Jacques.
Bu pas mal de 98 hier soir :
Clos de l’Oratoire 98, trop boisé, vieillit mal en se durcissant.
Tertre-Roteboeuf 98 supporte son élevage (contrairement à Bon Pasteur et Monbousquet), est très mûr et très dense, manque un peu de nuances mais devrait continuer sa route (pas trop aimé le 90 qq années plus tôt, peu nuancé, ardent).
Bon Pasteur 98 dans le décor (plat, viandox), fichu (il faut espérer que c’est un problème de bouteille).
Mission Haut Brion, imposant, martial rafle la mise sur notre première série, tâlonné par L’Evangile et Bel Air Marquis d’Aligre, idiosyncrasique … Si, si, ce vin peut être bon, contrairement à ce que j’ai entendu lors d’un déjeuner dans un château bordelais).
🙂