Le temps est plus folâtre ce matin. À 9.00 à Mouton, c’est la première salve de dégustateurs. Au début, à l’arrivée des premières voiturettes électriques, tout est calme. Puis déboule un groupe de dégustateur anglo-saxons extrêmement volubile. Je goûte les vins en faisant abstraction de ce brouhaha, mais je ne peux m’empêcher de poser cette question, sans réponse : certaines personnes sont-elles à ce point dénuées de toute capacité de silence ? Parlent-elles aussi en dormant ?
La dégustation de l’UGC a lieu ce matin au-dessus du nouveau chai du Château Saint-Pierre. Intéressant de constater, à l’aveugle, les différents niveaux de réussites entre les Saint-Julien, les Pauillac et les Saint-Estèphe. Avantage cette année aux deux dernières appellations.
Deux heures plus tard, il fait beau. Enfin ! Mon véhicule glisse le long de l’estuaire et de ses carrelets (ces petites cabanes de pêcheurs) tels qu’en eux-mêmes l’éternité les change. Direction Saint-Seurin de Cadourne pour une visite amicale à Jean Gautreau.
Celui-ci déjeune en bonne compagnie face à l’océan des vignes, capitaine d’un paquebot cinglant au large. Le menu est immuable : daube et petit pois. À 88 ans, l’ami Jean tient la grande forme. Nous échangeons quelques mots, parlons de la magie des grands champagnes, de Zuberoa, un de ses restaurants préférés en terre basque.
Le marché des primeurs? Pas un mot, je vous le jure. Le sage se tait. Un vrai sphinx.
Il me reste encore quelques visites à effectuer avant de retourner sur la rive droite. À Latour, les grands travaux sont terminés. C’est Hélène Genin, directrice technique, qui me reçoit dans l’une des très belles (nouvelle) salles de dégustation. Elle évoque la grêle au mois de mai, les maladies cryptogamiques qui ont demandé beaucoup de réactivité. Nous parlons également des pratiques viticulturales : en 2014, la moitié du grand enclos était en biodynamie (ce qui représente un peu plus du tiers de l’assemblage du grand vin).La prochaine étape sera de passer intégralement en biodynamie sur l’Enclos, explique-t-elle. Ce dernier est travaillé intégralement au cheval.
Dernière halte à Pichon-Baron avant de reprendre l’interminable route qui mène à la rive droite avec les traditionnels ralentissements du pont d’Aquitaine.On circule de plus en plus mal dans Bordeaux et ses environs et je me demande comment font certains consultants qui accomplissent ce trajet plusieurs fois par semaine. Pauillac et Saint-Emilion sont séparés par 90 km, mais il faut compter au minimum 1h30 pour relier ces deux localités.
Dans la cité médiévale préférée des Français, mon périple commence par une visite chez Stefan Neipperg, tiré à quatre épingles, mais sans rien d’apprêté. Son Canon-La-Gaffelière, séveux, racé, offre une magnifique présence. L’illustration même que, dans ce millésime, le cabernet franc fait chanter la structure !
Chez Muriel Andraud et Jean-Luc Thunevin, tout le monde a déserté les chais pour s’attabler aux terrasses. Ne restent plus que Thierry Desseauve, Beckustator et moi-même. Valandraud est une autre grande réussite. Muriel et Jean-Luc m’invitent à me joindre à eux pour la soirée.
Après la quête du vin, celle de l’eau. Votre chroniqueur creusant un « puits » sur le lac Baïkal en Sibérie. Photo J. Ruin
Je dois malheureusement décliner l’invitation. Après le tourbillon de ces heures, je rêve d’une soirée bien égoïste, d’un repas léger et du dépaysement absolu procuré par la lecture (vivement recommandée et revigorante en dépit de la gravité du sujet) de En Sibérie de Colin Thubron. Après l’archipel du goût, celui du goulag.
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