C’est le premier jour officiel des Primeurs. Ça y est ! Ils sont arrivés de tous les pays. Ils sont tous là pour la semaine de l’Union des Grands Crus et le marathon des non-alignés et des incontournables. Les négociants et les journalistes. Parmi ceux-ci, les vieux routiers et les stars promenant leurs apophtegmes, prononçant leurs verdicts d’une rive à l’autre. Tous d’une tristesse à pleurer selon Jacques Dupont qui leur taille un costard dans Le Point :
« Cette semaine, c’est celle des minibus Mercedes, des voitures noires et des hommes tristes. Mis à part les acheteurs de la grande distribution qui bossent dur tout en ne cachant pas leur plaisir de goûter des grands vins et de dîner aux vieux millésimes dans les châteaux, nombre de dégustateurs font la tête d’enterrement qu’affectionnent les mannequins masculins et les bassistes des groupes de rock ».
Tous des bassistes. Des John Entwistle ou des Bill Wyman, nous serions. Sauf Masna and myself, of course ! Masna, c’est l’âme de la revue Enogea, un personnage dans le monde du vin, frondeur et esthète, singulier, détestant les « machines à déguster » et les mondanités. Depuis quelques années, je déguste volontiers en sa compagnie. Nos perceptions se rejoignent parfois et, quand elles ne sont pas les mêmes, ces différences nous enrichissent.
Après un arrêt à Haut-Brion qui disparaît presque sous la bruine, je retrouve Alessandro Masnaghetti au Château Picque-Caillou pour la dégustation des Pessac-Léognan. Est-ce le temps maussade ? Ils ne brillent pas par leur homogénéité. Rapide pause déjeuner et nous filons dare-dare pour Guiraud où nous attendent les Barsac et les Sauternes alignés au cordeau. Quelques-uns sont inspirés, irradiants. D’autres plus énigmatiques. Il faut se concentrer, revenir sur le sujet, comprendre les équilibres subtils, les stades d’évolution différents, la lumière sous la gangue de l’élevage.
À Yquem, un peu plus tard, Sandrine Garbay, maître de chai, nous explique, graphiques à l’appui, le caractère idiosyncrasique du millésime. Il est très zen, pur et stylisé, cet Yquem. Une épure avec un tranchant et une force de conviction qui emportent l’adhésion. Et vous avec, vous laissant sidéré, deep inside comme disent les surfeurs.
Ce n’est plus la basse feulante, rauque et sombre, du Thunderfingers (surnom d’Enwistle des Who) que nous entendons, mais du Bach. Une fugue. On ne dira pas laquelle. Il est temps de reprendre la route.
3 Comments
Le joli sourire de Sandrine, que je salue si elle nous lit …
J’ai beaucoup aimé la distinction de cet Yquem 1994 (goûté chez Cheval-Blanc).
J’ai de manière générale été réconforté d’entendre pas mal de gens vanter les qualités de la finesse (en particulier quand il s’agissait de Peter Sisseck, de Pingus).
Yquem 2014 … voulais-je écrire …
apophtegme (wikipedia)
Pour ceux comme moi qui adorons quand je Grand Jacques nous éblouit par sa connaissance du Littré :
En son sens premier, l’apophtegme est une proposition claire et concise qui résume en très peu de mots une pensée de grande portée en ce qui concerne la voie à suivre pour conduire sa vie extérieure ou intérieure. Une telle proposition est ainsi non seulement facile à mémoriser mais aussi digne de mémoire. C’est pourquoi elle est une sorte d’adage auquel on confère une autorité particulière en l’attribuant, de façon exacte ou apocryphe, à une personnalité remarquable des temps anciens. La différence entre l’apophtegme et l’adage est donc que le premier est attribué nominativement alors que le second est anonyme. Ainsi Plutarque rapporte systématiquement à leurs auteurs et à leur contexte les paroles des hommes illustres qu’il cite dans ses Apophtegmes des rois et des capitaines célèbres1 ou encore ses Apophtegmes des Lacédémoniens2.
On a attribué quantité de maximes notoires aux Sept sages de la Grèce Antique. Le philologue Bruno Snell estime que ces hommes étaient surtout reconnus pour leur enseignement oral. Les plus anciens et les plus cités sont, selon Ausone3 :