Jour 3, une question ontologique…
La pression atmosphérique a chuté, ce qui rend la dégustation un peu plus difficile, les vins ayant tendance à se refermer dans de telles conditions. La journée va être consacrée aux vins du Cercle – Rive droite et Rive gauche. Une bagatelle de 200 vins à déguster, le cul vissé à sa chaise, rivé à son clavier, tel un Bartleby à ses écritures et dont on ressort, huit heures plus tard, étourdi et surpris d’avoir une fois de plus traversé ce double cercle. Une question ontologique – elle devrait tarauder tout dégustateur engagé dans un si passionnant processus : de quel amour du vin faut-il témoigner pour accepter cette épreuve sans éprouver la tentation de susurrer un I would prefer not to… ?
Jour 4, la beauté véritable
La journée commence par une dégustation des vins de La Grappe à la Gaffelière. Stéphane Derenoncourt est présent entouré de ses collaborateurs, Julien Lavenu, Simon Blanchard et Frédéric Massie. Dans le lot des vins dégustés, de très bons vins, des réussites et une merveille qui excède le cours ordinaire du monde : Les Carmes Haut-Brion, que j’avais déjà adoré l’an passé et qui, durant la semaine à venir, va me hanter en douceur comme une figure de l’idéal.
À un jet de pierre d’ici, un peu plus haut, voici Pavie-Macquin où je retrouve Nicolas Thienpont et son équipe. Les vins sont sapides et se goûtent bien. L’occasion de rappeler que la philosophie a trait à la sapience et comme l’écrit le sagace Nicolas Thienpont en exergue de la présentation de ses vins et des propriétés qu’il dirige : « L’origine peut être belle, la beauté véritable est au terme des choses ». On ne saurait mieux dire.
Voilà en tout cas un beau sujet de méditation pour égayer le (long) trajet qui me mène de Saint-Emilion à Martillac où Florence et Daniel Cathiard célèbrent les 25 ans de leur arrivée à Smith Haut Lafitte ! Ce couple charismatique a déjà connu plusieurs existences. Une première vie de champions de ski dans les cadres de l’équipe de France. Une deuxième vie d’entrepreneurs avec les magasins Genty Cathiard et Go Sports qu’ils revendent en 1989 pour entamer une troisième vie avec l’acquisition en 1991 d’une belle endormie, la propriété de Smith Haut Lafitte. En un quart de siècle de travail acharné, la propriété va renaître de ses cendres et se donner les moyens de prendre place parmi les domaines qui comptent à Bordeaux. Grâce à la qualité de ses vins. Grâce aussi au talent de communication hors pair de Florence et de Daniel qui, chacun à sa manière, vont inlassablement porter le message des vins de SHL. Si les parents sont toujours aussi actifs – ils viennent de prendre une participation minoritaire dans le rachat du Château Beauregard à Pomerol par la famille Moulin, la relève est là, avec leurs deux filles, Mathilde (créatrice de Caudalie) et Alice qui gère Les Sources de Caudalie.
La fête commence avec une verticale des vins de la propriété. Passionnant de voir, au fil des millésimes, l’évolution du style et la mise en évidence du terroir. Comparant les différents vins, je décèle trois étapes. À partir de 1995, on trouve une meilleure définition du terroir. 1998 amorce un autre changement stylistique avec la recherche d’un équilibre plus précis et, troisième étape, à partir de 2010, SHL gagne en finesse. Le 2005 et le 1998 de SHL (en magnums) sont dégustés, à table, lors de repas préparé par le talentueux et discret Nicolas Masse, chef du restaurant La Grand’Vigne.
Plus tard, au cœur de la nuit, juste avant d’être happé par le sommeil, me reviendront des images fugaces surgies du passé. 1968, Jeux olympiques de Grenoble, les Killy, les Périllat, les soeurs Goitschel, les champions et les oubliés. La beauté se trouve-t-elle au terme des choses ? Elle se trouve en tout cas dans la pureté de la ligne, ce léger sillage, la trajectoire que chacun laisse derrière soi.
Comment
Très beau Carmes Haut-Brion 2014 en effet, goûté à « la grappe » puis au domaine, avec Guillaume Deschepper comme guide.