Il faudra encore beaucoup de nuances, de nombreuses dégustations et une patience d’astrophysicien lancé à la découverte d’une exoplanète pour que le tracé se précise, qu’une hiérarchie se mette en place.
Ce qui me frappe, dès ce matin, c’est la très grande variabilité des échantillons d’une bouteille à l’autre, leur tenue à l’air aléatoire. A voir le rythme auquel certains dégustent, debout, sans presque prendre de notes, je doute que les questions atmosphériques soient importantes à leur palais. Quelques belles réussites ici. A l’instar de Clos l’Eglise et Feytit Clinet en Pomerol, de Haut-Carles et la Dauphine en Fronsac, de Clos La Madeleine et La Fleur Cardinale en Saint-Emilion.
Court trajet pour rejoindre Néac où a lieu la dégustation des propriétés conseillées par Hubert de Boüard. L’Angélus est racé, d’une tanicité très fine. Le temps hésite. Le soleil fait sécession. Mes collègues du Grand Jury partent en direction de château Faugères.
Je continue ma route seul pour une visite au château Le Gay. J’ai évoqué la disparition récente de Madame Péré-Vergé : se retrouver dans le grand salon vide entouré de vignes est émouvant. C’est son dernier (et très réussi) millésime. Aussi bien pour la Violette que le Gay.
dégustation à La Grappe
Une autre grande dégustation m’attend au Château La Gaffelière où sont présentés les vins conseillés par Stéphane Derenoncourt et son équipe. C’est parti pour une longue série de vins, servis sur un plateau par Frédéric Massie et Simon Blanchard, deux des collaborateurs de Stéphane. Plusieurs vins sont éblouissants dans cette dégustation et j’y reviendrai bien sûr dans Vinifera. L’un d’eux me frappe tout particulièrement par sa beauté et sa complexité. Il s’agit des Carmes Haut-Brion dont je reparlerai bientôt. J’ai à peine le temps de saluer Stéphane Derenoncourt. Ce rythme infernal est frustrant. On aimerait prendre le temps.
Dehors, dans le magnifique jardin du lieu, le printemps fait une brève apparition. Au Japon, le hanami (« regarder les fleurs ») a sans doute déjà commencé. Ah ! pouvoir s’installer, à l’instant, sous un cerisier en fleur et chanter.
Une note de Philippe Jaccottet me revient à l’esprit : « On ne peut tout saisir en quelques mots. Dire seulement : un instant, j’aurai vu cela – le monde pur, ouvert, léger. »
C’est ça, le plus difficile, le plus beau aussi ! Arriver à voir, ne serait-ce qu’un seul instant, le monde de cette façon-là. Comment y parvenir ? Cette vision viendra quand elle ne sera plus perçue comme difficile, mais comme évidente.
Philippe Etchebest, Hostellerie Plaisance
A l’Hostellerie Plaisance, à Saint-Emilion, Chantal et Gérard Perse ont invité la presse pour un dîner autour des vins de la propriété. En guise de mise en bouche, on goûte les 2012 des différents domaines, puis une mini verticale de Pavie que l’on va retrouver à table. Le repas est préparé par Monsieur Cauchemar en cuisine, la nouvelle star cathodique, Philippe Etchebest himself. Physique de samouraï, le col liseré du magique bleu/blanc/rouge du MOF.
Mister Top Chef a préparé un très joli menu pour la cinquantaine d’invités. Une cuisine savante, un brin délurée, qui jette des passerelles entre des territoires du goût différents. Je demande à Gérard Perse si Philippe Etchebest n’est pas trop dur avec sa brigade ? Depuis que j’ai vu son pétage de plomb à la TV, je suis traumatisé, moi qui pensais naïvement que le parfaitement dégueulasse, c’était l’autre (dessert)… ben, oui, quoi, vous savez le petit pot :
« C’est quoi ce dessert, là ? Même mon chien, il n’en voudrait pas… Tiens, ça c’est un dressage pour ton dessert… Tu n’as plus qu’à ramasser, nettoyer et foutre à la poubelle… et encore, je plains la poubelle ! »
Gérard Perse me rassure : "Etchebest n’a pas le physique de son âme. Il est très doux. C’est un papa poule qui adore sa brigade, la protège ». Ouf, les apparences sont trompeuses ! Quelques teints s'empourprent très légèrement. Un commensal, vêtu d'un veston d'un vert improbable ("le veston d'un homme qui vit seul" commente une gitane) , passe d'une table à l'autre, serrant des mains. On attend toujours les résultats de l'élection. Les conversations s'enlisent. C'est l'heure des discours. Gérard Perse prend la parole pour décrire l'aventure de Pavie, son accession à l'empyrée. Puis, c’est au tour de Michel Rolland de se faire le chantre des charmes de Pavie. Ses accents deviennent inspirés quand il parle de la vigueur du Pavie 2005, un vin pour les générations futures : « j’aimerais avoir encore une telle vigueur », précise-t-il l’air cabotin sous les applaudissements de la salle. Pour la deuxième fois de la journée, la poésie fait irruption. J’ai la liberté d’un bohémien. Je pense à Rimbaud, à son « vin de vigueur » : « Oh ! là ! là ! que d’amours splendides j’ai rêvées » (Ma Bohême). A la journée qui s’achève. Aux poètes présents et disparus. A vous qui auriez adoré être là. Bonne nuit !
Les vins
Champagne Egly-Ouriet 2009
Château Montbousquet blanc 2010
Château Pavie Decesse 2008
Château Pavie 2000
Château Pavie 2003
Château Pavie 2005
Le menu
Homard breton en gelée de consommé de crustacés
Caviar Sturia « sélection prestige », céleri
Emulsion homardine à l’orange
***
Rouget de « petit bateau » snacké
Pied et oreille de cochon, huître grillée,
Raviole de carottes au cumin, sauce lard, chantilly persillade
***
Canard de Challans laqué au poivre des cimes
Raviole de mangue/gingembre
Jus de canard acidulé au jasmin
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Le chocolat
Dacquoise noisette, mousse chocolat Java
Gelée de pomme au vinaigre de cidre, sorbet pomme/wasabi
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J ai adoré être la, Jacques, !
Excellent Carmes Haut Brion 2012 en effet 17/20 pour moi empyreumatique, profond et fin, avec donc l apport des rafles.
1999 pour Egly
Pavie 2005 pas prêt
Pavie 2000 fera patienter
Pavie 2003 à part
Bravo le contenu est aussi remarquable que l’assiette!
Lynsolence, Rol Valentin, Croix de Labrie, Reignac et Balthus, Clos Puy Arnaud (dans son style particulier), Fleur de Bouard m’ont paru de beau niveau également (CRD 2012 à Barde-Haut).
Domaine de l’A aussi, à la Grappe.
Le Gay (viril) et La Violette (distingué) m’ont beaucoup plu et je me suis en effet rappelé de ces déjeuners enjoués au domaine, quand Mme Péré-Vergé était encore là.
Angélus 2012 superbement construit mais moins complet que le 2010 et moins abouti que Cheval-Blanc et Ausone 2012. Il reste un réussite majeure de la rive droite, à mon humble avis.
L’huître grillée était très réussie.
Oui, merci, Jacques de savoir parler du vin et de savoir parler d’autre chose que de vin, dans la même énergie.
Candide,
C’est dommage, vous pourriez être 10 fois plus constructive (au lieu de vous comporter en parasite papillonnant) !
Un très grand plaisir à lire votre blog.