"Jahar est un garçon sans histoire. Il vit à Boston. Il n’aime pas aller chez le coiffeur. La dernière fois, c'était juste avant l'événement, le 13 avril.
Jahar a dix-neuf ans. Il est musulman. Il a étudié à la Cambridge Rindge and Latin School. C'est ce qu'indique son profil sur VK, le Facebook russe.
19 avril, 5.04 du matin : dernier signe de la présence de Jahar sur la Toile. Quelques heures avant qu’on ne le retrouve, claquemuré au fond d’un bateau en cale sèche. Il a laissé beaucoup d’indices derrière lui. Du sang dans le réel. Et des traces numériques sur Tweeter où il apparaît sous le masque d’un lion (@J_Tsar).
Pourtant, le 24 février dernier, il rêve encore : "Partager l'amour, la connaissance et la richesse."
Parfois, il s'essaie à cet exercice ardu, disserter sur l’existence en 140 caractères : "Les gens viennent dans votre vie pour vous aider, vous blesser, vous aimer et vous quitter. Et cela forme votre caractère et la personne que vous entendez être."
Jahar a un frère.Tendance "on the rocks", mais sans le whisky. Le 7 mars, Jahar lui demande : "Qu'est-ce que tu as à boire, frangin ? – J'ai un peu d'eau… – Tu as quelque chose de plus fort que ça ? – Oui, j'ai un peu de glace."
Cette glace tétanise tout, y compris les sentiments. Sa vie est en train de basculer. Le 11 mars, il tweete : "Ne jamais sous-estimer le rebelle avec une cause." Puis, il précise : "Personne n'est vraiment violent, jusqu'à ce qu'il soit avec les potes."
Pourquoi parle-t-il tout à coup de violence, lui le type si gentil aux yeux de ceux qui le connaissent ? Sur son fil Tweeter, les choses sont semblent s’accélérer. Il ne contrôle plus rien: "Vivez la vie trop vite et vous n'aurez pas besoin de ralentir". Il dort mal : " Je n'aime pas vraiment, écrit-il, quand j'ai une oreille collée contre l'oreiller et que je commence à entendre les battements de mon cœur. Qui peut dormir avec tout ce bruit ?"
Peu avant le drame, Jahar joue les Cassandre : "Imaginez combien le week-end va être dangereux. » Puis – est-ce sous l’effet du printemps ou d'une forme particulière d'humour noir ? – il se ravise : "Nous ne sommes pas venus ici pour nouer un drame. Nous cherchons juste les mères de nos futurs bébés."
Le 15 avril, jour du Patriot Day, a lieu le marathon de Boston. Des milliers de personnes sont venues assister à l'événement. Djohar (Jahar) Tsarnaev et son frère aîné, Tamerlan, se fondent dans la foule. On connaît la suite. Les explosions. Les cris, l'effroi, la douleur. Des vies mutilées. La mort sans visage. Le sang partout. Le lendemain de l’attentat, Jahar s’adresse sous un mode interrogatif à un mystérieux correspondant : « Dieu hait les morts ? Ou les victimes de tragédie ? Ces gens sont cuits ! ».
Peu après, l’adolescent en cavale reprend un titre de Bobby Blue Bland qui évoque une rupture amoureuse : « Il n'y a pas d'amour au cœur de la cité. Soyez prudents! »
Pour une fois, Jahar a raison. Il n’y a pas d’amour."
Article paru dans 24 Heures, édition du 27/28 avril 2013.
Comment
Et ses parents devraient écouter Midnight Rambler en boucle…