La famille Guinaudeau est un peu à part dans le paysage bordelais. Il y a Sylvie et Jacques Guinaudeau, Baptiste, leur fils, Julie, leur belle-fille. Des gens humbles, perfectionnistes, proches du terroir, inféodés à lui, comme le peintre à la lumière.
Au départ de l’histoire, parmi la parentèle, il y a le « père fondateur », Henri Greloud, arrière arrière-grand-père de Jacques. Déjà propriétaire de Le Gay, M. Greloud a fait l’acquisition en 1872 de 4.5 ha situés sur le lieu-dit Lafleur. En 1888, Charles Greloud prend la succession de son père Henri. Quelques années plus tard, c’est un cousin de Charles, André Robin, qui rachète la propriété. Les filles de ce dernier, Marie et Thérèse Robin, héritent de la propriété en 1946 et vont la gérer pendant 38 ans.
Les fameuses sœurs Robin qui déclaraient il y a un peu plus trente ans à l’Amateur de Bordeaux.
« C’est notre père qui nous a tout appris. Comme il tenait à ses vignes, quand il est mort en 1946, nous les avons gardées. Mais on a rien changé. Si, la marque du sulfate. Et depuis dix ans nous n’avons plus de bœufs. On a un homme de confiance. C’est un Portugais qui nous aide bien. Le papier-peint remonte à 1919, l’année qui a suivie celle où mon père est venu s’installer ici. Le Saint-Michel, nous l’avons récupéré quand on a démoli la vieille église. Et les armes, sur le mur, des souvenirs que le meilleur ami de notre père avait rapporté des Indes. Il voulait qu’il aille avec lui. Personne ne parlerait peut-être de Château Lafleur. C’est un beau vin, peut-être parce qu’il n’a qu’un chemin qui le sépare de Pétrus. Ma sœur et moi nous faisons tout. Mais moi, je ne bois pas, je compte. On décide ensemble. »
En 1984, année du décès de Thérèse, Marie donne le vignoble en fermage à son cousin, Jacques Guinaudeau déjà en charge, avec sa femme Sylvie, du vignoble familial de Grand Village.
Jacques va s’attacher à restructurer et optimiser le vignoble, replantant près de 8000 pieds et mettant en place un système de drainage. En 1987, naissent Les Pensées de Lafleur, le deuxième vin, issu d’une zone d’un peu moins d’un ha, sur la partie centrale, qui traverse en diagonale sept parcelles différentes et comprend des sols un peu plus riches.
A la disparition de Marie, en 2001, les Guinaudeau, en toute logique mais sans doute à la surprise de certains qui rêvaient de d’acquérir l’un des joyaux de Bordeaux ou d’étendre leur empire, réussissent à racheter Lafleur et à pérenniser l’œuvre familiale. Le nom qui apparaît dès 2002 sur l’étiquette est d’ailleurs celui du fondateur, Henri Greloud.
L’étape suivante consistera alors pour la famille Guinaudeau à mieux comprendre le terroir, un quadrilatère de 4.55 ha, qui malgré sa petite taille comporte d’importantes variations géologiques et recense 4 différents types de terroirs pour 24 000 pieds de vigne. Le terroir est ici très différent de celui de « boutonnière » de Pétrus avec ses argiles gonflantes. On y trouve des graves, des parties argilo-graveleuses, des parties argilo-sableuses et aussi – après tout, on est à Pomerol ! – des argiles.
Encépagement : merlot et cabernet franc à parts égales.
Production moyenne : Pensées de Lafleur, 3000 bt sur 0.7 ha et Lafleur 10’000 bt sur 3.2 ha. La propriété fait un troisième vin, vendu au négoce.
Les autres vins produits par la famille Guinaudeau
Château Grand-Village
Cette propriété est dans la famille depuis plusieurs générations. Elle appartenait déjà à Henri Greloud, l’arrière arrière-grand-père de Jacques Guinaudeau qui a créé Lafleur en 1872. La propriété fait 15 ha sur le deuxième cordon argilo-calcaire du Fronsadais, essentiellement des « vignes rouges » qui sont en partie voisines de la parcelle qui donne le blanc des Champs libres.
Grand Village, comme aime à le dire Baptiste, est un peu le laboratoire, le vignoble-école de Lafleur. C’est dire qu’on y pratique une viticulture de grand cru. Vingt personnes au total travaillent sur Lafleur et Grand-Village et c’est donc la même équipe qui s’occupe des deux vignobles. A partir du moment où nous sommes devenus propriétaires de Lafleur en 2002, nous avons voulu lier les deux, précise Baptiste Guinaudeau. Même les barriques de Lafleur passent par Grand-Village. Neuves, elles sont affranchies pendant 6 mois à Grand-Village avant de continuer leur vie en accueillant le vin de Lafleur.
Le G, acte I et suivants
Baptiste Guinaudeau présente ainsi le G : on s’est souvent dit que dans cette ondulation à haute fréquence qu’est Fronsac, on dispose de très grands sols, des argilo-calcaires et des calcaires de type sableux qui se réchauffent très vite, alors que les grandes argiles froides sont souvent limitées dans les millésimes de type océaniques comme nous en connaissons à Bordeaux. Au lieu d’acheter une propriété, nous avons voulu créer notre vignoble idéal en achetant des parcelles et en délimitant notre puzzle. L’idée était de jouer avec une partition représentative de la rive droite et de miser sur le cépage bouchet (cabernet franc), grand oublié de la sélection clonale réalisée au début des années soixante après le gel de 1956. Ainsi, les cabernets francs de G sont plantés sur les sols les plus calcaires de la rive droite.
Pourquoi ne pas déclarer le G en Canon-Fronsac ? C’est une délimitation administrative, c’est 800 ha, mais ça ne correspond pas vraiment à une entité géologique, explique Baptiste. Nous déclarons le G en Bordeaux supérieur, ce qui nous donne toute liberté et nous permet de l’élever à Grand Village.
Les vins dégustés (tous servis en magnum)
Château Grand Village blanc, Les Champs Libres 2013
J’avais déjà remarqué ce vin lors de la dégustation des Primeurs en mai dernier. Le 2013 est le premier millésime produit. Produit à partir de sauvignon sur une parcelle dénommée « Les Acacias », ce vin rivalise sans problème avec les belles expressions du Sancerrois. J’aime son côté tendu, cristallin, très pur, sans un zeste de variétal. Comme le déclarait récemment Baptiste Guinaudeau en tournée en Autriche : « Ich mag Katzen, aber nicht in meinem Wein ! »
Château Grand-Village 2009
Dans ce millésime solaire, il confirme sa parfaite tenue. Sur une base de merlot (73 %), il séduit par son volume, sa texture enveloppée et ses arômes de fruits encore très frais sur une assise tannique assez ferme. Délicieux.
G Acte I, 2009
C’est le premier acte, mais c’est déjà mieux qu’une ébauche. Vin solide, généreux, avec un petit côté solaire et un tanin qui va gagner en finesse dans les autres millésimes.
G Acte II, 2010
Nez dense, fruité, d’une belle complexité, même si encore un peu fermé. Corps splendide pour ce vin issu à parts égales de merlot et de cabernet franc et qui se distingue par sa forme fuselée, précise, sa fraîcheur et son tanin nuancé. Remarquable.
Pensées de Lafleur 2001
Le nez est raffiné, subtil, sur la cannelle, les épices et les herbes sèches. Le corps est un peu filiforme, avec moins de texture que le 2010, mais plaît beaucoup par son caractère sapide.
Lafleur 2003
C’est une des très grandes réussites de l’appellation avec Pétrus et Trotanoy. Certes, les bouchet ont connu quelques phénomènes de grillage en 2003 mais on peut compter sur les Guinaudeau : ils n’étaient pas partis en vacances ! Notes de cacao, de prune, de violette. Chair suave, mais avec de la tonicité et tanin apaisé. Tout y est !
Lafleur 2002 : c’est le premier millésime vinifié par les Guinaudeau en tant que propriétaires. Très jolie bouteille, souple, équilibrée, sans lourdeur, avec des tanins exemplaires par leur finesse et une finale fondante et suave. Il transcende le millésime.
Château Lafleur 2001
Grande noblesse aristocratique dans le bouquet. Sur des notes de cèdre, de fruits noirs, de violette, de cacao. Corps élancé, dynamique, serti d’une très belle assise avec une finale fraîche et pleine d’énergie.
Baptiste Guinaudeau : dans un millésime un peu tropical comme 2001, on va avoir une propension à atteindre une élégance de style baroque. Une merveille !
Pensées de Lafleur 2000
Nez finement mentholé qui évolue beaucoup au cours de la dégustation et révèle des strates aromatiques très fines : moka, iris, cannelle, cacao. Le corps, longiligne et précis, offre une très jolie texture. Au niveau des Pensées 2010, autre grande réussite de ce cru. Fin et distingué.
Pensées de Lafleur 1999 : il est fin, élancé, caractérisé par des notes de réglisse, de prune. Un très joli vin à boire dès maintenant.
Lafleur 1999 : vin goûté après une ouverture d’une nuit. Remarquable densité, très belle trame et beaucoup de continuité en bouche. Il exprime une race évidente et l’ouverture le révèle totalement.
Lafleur 1995 : un vin assez dense, d’une belle complexité aromatique, épicé, truffé avec des notes de cuir et de santal. Il devient mentholé à l’ouverture. Belle bouche, à la texture consistante et au tanin encore ferme, mais il n’est pas tout à fait représentatif de la finesse et de l’élégance des Lafleur ultérieurs.
Lafleur 1988 : c’est un vin qui est encore d’une jeunesse incroyable et qui a besoin de temps pour révéler toutes ses qualités. La présentation aromatique est, bien qu’assez discrète, d’une pureté et d’un raffinement d’expression remarquables sur des notes de fruits frais et de fleurs. Le corps est élancé, tonique, parfaitement articulé avec une finale encore sur la fraîcheur du fruit. Une réussite majeure !
Ces vins ont été dégustés en deux fois, la plus grande partie d’entre eux au cours d’un dîner organisé par le Claret Club au Vertig’O à Genève. Merci à Julie et Baptiste Guinaudeau pour leur présence, ainsi qu’à Denis Houlès !
Comment
Magnifique.
Malheureusement, le 1988 que j’ai croisé a déçu.
1989 top et 1995 à garder.
Le 2012 était remarquable en primeur.