Je vous attends toujours. Je ne me souviens plus de votre visage.
Dans quelques jours, je reprends l’avion. Je suis invité par le In-Transit Festival à Berlin. On m’a demandé d’intervenir sur le thème suivant : An imaginary conference on my whereabouts…
Je regarde la page d’accueil de mon propre site internet et je vois – c'est étrange – cet avion qui éraille l’azur.
Vous avez pris cet avion, à ma place.
Vous étiez assise dans la même travée que Bianca et Carlos Eduardo Macario de Melo. Vous ne pouviez pas ne pas les voir! Ils irradiaient d’un bonheur étincelant. Le genre de bonheur qu’on aime partager, qui laisse derrière vous un sillage léger, diaphane, où d’autres aimeraient venir se glisser. Tant c’est contagieux !
Une nuit sans aube future.
Et cet homme aux tempes légèrement grisonnantes, l’œil pétillant, assis juste à côté de vous, vous a-t-il vraiment parlé ? Il s’appelle Silvio Barbato. C'est un chef d’orchestre renommé. Villa Lobos, Berlioz, Puccini étaient souvent à son répertoire.
Les heures s'égrenèrent dans la quiétude trompeuse d'un vaisseau flottant. Chacun occupé à tuer le temps qui lui restait à vivre : lecture ; video ; conversation ; vague à l’âme ou espérance ; appréhension peut-être ; sommeil et rêves dans les frissons d’une nuit sans aube future.
Non loin de vous, un presque jeune homme, Christophe. Un Ipod sur les oreilles. Qu’écoutait-il ? Il dégageait un charme évident, une présence magnifique.
Jeune neurochirurgien au CHUV, promis à un brillant avenir, il ignorait que l’invisible, la certitude illusoire – cette mort qu’il frôlait parfois dans son travail – était en train de mettre son masque de tragédienne, qu’elle le rejoindrait bientôt dans le pot au noir…
Ce chaos n’est que le jeu du hasard.
Tous ces noms de disparus. De sacrifiés. Ces trajectoires de vie interrompues que le hasard avait réunies là, au-dessus de l’Atlantique, entrecroisées, condensées dans un espace-temps effrayant : quatre minutes à peine, de 4.10 à 4.14. Juste après que le commandant Marc Dubois a annoncé la traversée d’une zone de turbulences. En plein milieu de la zone de convergence intertropicale.
PS : Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que réelle. Alle Personen sind nicht aus der Luft gegriffen…
38 Comments
Avec toute la compassion que nous éprouvons pour ces gens dont on se sent si proches (nous voyageons tous en avion régulièrement), je ne peux m’empêcher de chercher pourquoi les médias donnent tant d’importance à cet accident alors qu’il y a en des milliers d’autres, bien plus horribles, bien plus iniques, bien plus récurrents, qui nous cotoient tous les jours sans que cela fasse lever un seul sourcil.
Est-ce le besoin d’effrayer le quidam de base ? Est-ce le fait que cet accident n’aurait pas dû arriver (alors que ces autres morts, ma foi, on en a l’habitude : faim, guerres, pauvreté) ? Pourquoi tout ce tapage de plusieurs jours en tête d’ouverture de tous les journaux, TV en première ligne, pourquoi tout cela sur un accident ? l’imagination de l’avion dans sa descente vers la mer ? La panique à bord ?
Mais la panique de ces villageois africains voyant venir la soldatesque et toute sa violence : qui en parle ? Qui s’en préoccupe ?
Nous sommes un peu tous vivant dans ce drôle de monde où les vrais repères sont vraiment difficiles à trouver.
blog.france3.fr/cesoirouj…
Au delà de l’intérêt inavouable de l’audimat, des pistes intéressantes chez Paul Virilio (vitesse, progrès technique, catsatrophe, populations).
François, Jacques, Laurent (qui se fait un devoir de devancer)
Sur ce phénomène de l’uniformisation émotionnelle face à la médiatisation des catastrophes, Paul Virillo (grand théoricien du catastrophisme) a très bien écrit.
Du danger du ressenti collectif de la catastrophe quand bien même elle n’a pas de raison de nous toucher personnellement. Des méfaits de l’Histoire par l’accidentel plus que par l’aboutissement du pensé, dans l’instant plus que dans la durée.
"L’Université du Désastre" et "Le Futurisme de l’Instant" ed Galilée.
Deux grands écrits.
Paul Virillo / Laurentg : antipodistes de la vitesse !
Ne vous contentez pas de l’entendre, lisez le plus que de raison …
Paul,
Qui vous dit que je ne l’ai pas lu ? que je ne lis pas ?
Devancer qui ? Quel tempo ? Quel devoir ?
Mais j’espère bien que vous lisez … je n’en doute même pas d’ailleurs !
Ses thèses sont logiquement racornies, édulcorées pour les besoins télévisuels aussi votre lien est exactement ce qu’il dénonce … une accélération de l’accès et de la pensée. Le lire donc, plutôt.
😉
Intéressant, Paul !
C’est jacques qui nous a de fait devancés, dans un sujet tout à fait congruent !
Ce lien est volontaire, y compris en raison de son aspect paradoxal.
"L’erreur n’est pas le contraire de la vérité, juste l’oubli de la vérité contraire." 🙂
Paul, merci de rappeler ici l’importance de la pensée de Paul Virilio, qu’il faut lire, bien évidemment.
Par la modeste réflexion que j’essaie d’élaborer dans les bandes et les marges, je me sens très proche de sa pensée.
Cela dit, l’émission Ce soir (ou jamais !), que j’ai vue sur internet, est, pour une fois, une très bonne émission tv. Par la présence de Paul Virilio et la force de sa pensée. Mais aussi parce que les trois autres intervenants, notamment Yannick Haenel, étaient pour une fois plus préoccupés d’entamer un vrai dialogue, philosophique, que de jouer aux petits marquis de la pensée parisienne, avec leur morgue et leur suffisance. Comme c’est hélas souvent le cas dans ce genre d’émission.
Cela dit, pourquoi une telle tragédie mobilise-t-elle tant les media ?
Il y a d’une part ce que Paul Virilio appelle « la communauté des émotions » qui est phénomène de type religieux, voire mystique. Comme si les hommes, à travers cette communauté, étaient à nouveau reliés, au sens religieux du terme.
D’autre part, nous sommes, comme le rappelle Virilio, dans le temps éclaté (instantané) de la catastrophe et l’accident et sommes sortis du temps de l’événement qui, lui, s’inscrit dans la durée.
Enfin, la catastrophe aérienne, tel le crash du vol AF447 ou, dans un registre différent, les attentats du 11 septembre, nous nous touchent autant parce qu’ils nous ramènent dans une dimension du tragique, au sens grec du terme, que nous pensions avoir dépassée par notre maîtrise technique (celle des choses et des comportements). Etrange et normal à la fois de voir cette frénésie de comprendre l’accident, de l’expliquer, après coup, par des causes mécaniques ou, peut-être, de défaillances humaines. Comme si cette question était la seule qui vaille la peine d’être posée et comme si nous ne connaissions pas déjà la réponse…
suite au prochain post
La catastrophe aérienne est une mise en scène terrifiante où se cristallisent d’une façon amplifiée nos angoisses et nos doutes, nos idées sur la liberté et la fatalité. Elle bouleverse tous nos codes, nous ramène à nos illusions (sur le progrès et sa propagande) et, si elle rejoue apparemment quelque chose qui s’apparente à un drame antique avec son unité de temps, de lieu et d’action, elle en pervertit les règles. Le temps ? Ce n’est plus qu’un instant, une condensation effrayante. Le lieu ? Un no man’s land. L’action ? Nous n’en savons rien. Le héros tragique était seul face aux dieux qui le punissaient pour son hybris (sa démesure). Les victimes des catastrophes aériennes seront de plus en plus nombreuses, parce que les transporteurs seront de plus en plus gros, et nous ressemblent. Nous aurions pu être dans cet avion. Nous sommes seuls face à un ciel d’où les dieux se sont éloignés et découvrons avec stupeur, dans un monde que nous pensions avoir dominé, que le hasard, l’imprévisible et la mort continuent d’exister.
Pour poursuivre la réflexion, sans préjuger de la lecture, hein Paul ?
http://www.dailymotion.com/lagen...
Discuté vendredi dernier avec notre collègue pilote chez Air france de cette tragédie …
En sirotant des rieslings de la Saar émouvants.
C’est fou tout ce que vous pouvez voir là où je ne vois qu’un banal accident, comme il y en a en voiture ou en train.
Une pure statistisque. Pas plus et pas moins émotionnel que tant d’autres choses.
je dois avoir une partie cervicale passablement abîmée :-(((
Niveau méta, François ! 🙂
Exactement comme dans l’éthique et le journalisme du vin.
Un simple accident ET une cristallisation particulière, en impact mondial immédiat.
Une connaissance (vs une information) n’a de valeur qua dans un contexte donné (pour un point de vue, plus ou moins accentué).
Cela s’applique aussi bien à ce crash qu’à la note d’Ausone 2008 dans les tableaux de Bertrand.
Bon, c’est pas le tout, il faut que j’aille voter !
Jacques,
La marge, c’est ce qui tient le livre …
Joli cette phrase : c’est là aussi où on met ses notes.
Bien vu.
"la catastrophe aérienne, tel le crash du vol AF447 ou, dans un registre différent, les attentats du 11 septembre, nous nous touchent autant parce qu’ils nous ramènent dans une dimension du tragique, au sens grec du terme, que nous pensions avoir dépassée par notre maîtrise technique".
A contrario, la faim dans le monde, les épidémies à grande échelle en Afrique nous touchent certainement moins du fait que nous possèdons un luxe alimentaire et une couverture sanitaire sans comparaison au si lointain tiers monde.
H5N1 a peut-être tué 1.000.000 de fois moins dans le monde occidental que le HIV en Afrique… mais il touche d’une façn pernicieuse. Le contact relèverait du même hasard que celui qui nous affecterait en montant dans un avion pour traverser la planète. Mais il nous toucherait nous, et pas une population connue, mais tellement distante.
"Il vaut mieux être riche et en bonne santé que pauvre et en mauvaise santé".
On continue de mourir en moyenne en Angola à 30 ans d’âge, et l’on opère du coeur des nonagénaires en Suisse…
Décidément, tous les jours, c’est Mozart que l’on assassine.
Laurent
Certes, certes, Laurent… Que voulez-vous dire au fond ?
Trop tard, je pars me coucher Antoine.
Bonne nuit.
Laurent
Laurent, quand je dis « nous » ce n’est pas ma position que j’exprime. Je ne tiens pas à tout prix à donner dans l’émotionnellement correct, même si j’éprouve beaucoup d’empathie pour les familles et proches des disparus.
J’essaie de comprendre et d’analyser l’impact émotionnel de cette catastrophe et de montrer quelques-uns de ses enjeux symboliques. Bien sûr, qu’il y en a d’autres, des catastrophes humanitaires et médicales, bien plus graves.
Cela dit, on ne peut pas, sous couvert de gradations dans le malheur, ramener constamment tout sur le même plan – ce dernier finit par être celui de la confusion, et rien d’autre. Que vient faire Mozart dans cette galère, lui qui n’a jamais pris l’avion ?
http://www.journaldunet.com/ebus...
dans quelle vie qu’on vit mon pauvre Bobby
Vous avez fini de dormir, Laurent ?
Antoine, pardonnez-moi de vous avoir fait attendre, je sors à l’instant du travail, et cela avait commencé assez tôt ce matin.
Je que je voulais relever, c’est le grand écart qui ne diminue pas entre le monde occidental et le tiers monde. Pour cela j’ai à dessein rappelé le luxe médical qui nous entoure ici en Europe, en évoquant une intervention chirurgicale pour une nonagénaire, alors que l’on meurt trois fois plus jeune dans d’autres pays.
Jacques, je n’ai pas pensé un seul instant que votre article ait été écrit dans un autre but que celui que vous venez de préciser.
Mozart que l’on assassine ? Certes, il aurait en son temps pu mourir dans un accident de calèche…
La phrase est belle et rappelle que tant de talents existent de part le monde, inemployés, sans possibilité de s’exprimer.
Suis-je un peu plus clair ?
laurent
"Humble dans l’humble fortune, je serai grand dans la grande." (voir Gatti, dit "La Virgule")
Plus clair, plus clair, Laurent !
http://www.20minutes.fr/article/...
Un an et demi sans TV. Toujours pas de manque. Suis je normal ?
C’est quand même mieux que Joey Starr en garde à vue pour une attaque à la hache, non ?
Qu’appelez vous "mieux", Orélie ?
C’est vraiment plus tragique et ça justifie d’occuper l’actualité. Enfin, c’est une façon de parler…
Nicolas,
A la télé, je viens de voir un beau reportage sur le parmesan, le vinaigre balsamique de Modène et le jambon de Parme.
Elle est belle cette Italie là, et je vais bientôt y aller pour de vrai.
Il y a un monde entre couvrir un accident aérien grave de façon factuelle et professionnelle, et aller jusqu’à l’orgie de sujets redondants et surabondants, en virant au catastrophisme exacerbé. Pour des raisons que l’on connait bien.
Finalement, heureusement que l’on n’a pas eu les images du krach en directe. Sinon bonjour les rushs à répétition, en boucle, interminables. Remember 11 septembre 2001…
Orélie,
Tragique, certainement …
Cette mise en scène télévisuelle en overdose est contestable.
Mais il faut distraire le peuple, le rendre disponible pour acheter le dernier 4×4 aussi rutilant qu’inutilement polleur, le nouveau Gilette à 6 lames ou la dernière prothèse cybernétique sans laquelle on risque de devenir ringard pire démuni.
Les avocats spécialisés se frottent les mains, peaufinent leurs honoraires et les ingénieurs aéronautiques doutent.
Ethique de la presse du vin, éthique accentuée du contenu de l’information.
Et surtout, aujourd’hui les média sont prêts à tout pour attirer un maximum de public, quels que soient les moyens. Un gros sujet bien juteux et le tour est joué. On exploite le filon, on use la corde jusqu’au dernier filament de crin.
Pourtant le spectateur, téléspectateur, auditeur ou lecteur oublie une chose : lui seul détient le vrai pouvoir, d’éteindre, refermer, zapper…. ou non.
Relire à ce sujet les écrits de Marc Aurèle sur le Pouvoir, son acceptation et se fondements. En empereur qu’il était, il savait bien ce qu’il disait sur le sujet. Je suis sûr que Jacques aurait des choses intéressantes à nous dire sur le bonhomme et son œuvre, mieux que moi…
On peut toujours lire en attendant "Marc-Aurèle, Pensées à moi-même".
Je le conseillerais bien en lecture de chevet à notre "petit" Président, tiens…
🙂
Je conçois parfaitement qu’il soit très salutaire pour l’auto-estime de taper sur la télé et de par là sur les téléspectateurs -les autres bien sûr- mais que prétend-on exactement?
Que des entreprises privées renoncent à gagner de l’argent au nom de l’éthique et de la morale? Nous avons tous passé l’âge de croire au Père-Noël et, je pensais aussi, de vouloir changer le monde (le monde, c’est les autres bien sûr, pas nous-mêmes).
La limite de la guère à l’audimat, je crois que c’est à la justice (et au CSA si ça existe encore) de la fixer. Après, d’une façon générale, dès qu’une entreprise privée fait dans l’immoral (un truc encore plus dur à définir que "le grand terroir" ;-)) tout en restant dans le légal, il n’y a qu’une chose à faire: exercer sa liberté de ne pas consommer.
Et si malgré ça, les chiffres d’audience lui donne la "raison", le même type de "raison" que les dernières élections ont donnée à Berlusconi en Italie, il ne reste qu’à monter une alternative plus honnête… ou dénoncer clairement un coupable (nom, heure, chaîne, programme) et arrêter de remâcher des évidences/généralités qui ne servent qu’à nous faire croire combien les autres sont cons et méchants et, par conséquent, combien nous sommes intelligents et gentils.
Moi, je suis con et gentil. Je vous conseille de ruminer longtemps vos lectures choisies.
Comment savez-vous que vous êtes gentil ?
Car je ne peux rien pour vous.
Mais je ne vous demande rien pour ma part …
Encore que je pourrais vous demander d’en savoir un peu plus sur ce que cache votre pseudo …
Y compris à la suite d’un ou 2 commentaires aussi erratiques que laconiques !
Allez, une gorgée de l’opulent Pinot Gris Rangen Schoffit 2002 à votre santé, pour les amers du combawa et les épices …
Santé ! 🙂
Merci Laureng. Et que vive l’artifice! (sans Marcil Ficin, autant que faire se peut)