Deux solides fourchettes l’ont d’ailleurs reconnu et l’apostrophent chaleureusement :
– Alors, monsieur Henry, de retour ? Allez-vous ôter votre montre, la retourner sur la table, pour ne pas voir le temps défiler ?
– Alors, monsieur Henry, de retour ? Allez-vous ôter votre montre, la retourner sur la table, pour ne pas voir le temps défiler ?

Alors, monsieur Henry, de retour ?
Demain vous pourrez lire sous la plume de Claude Ansermoz un très bon descriptif de l’ambiance et du personnage.
En attendant, voici quelques impressions vives de l’éblouissant menu que nous avons dégusté.
En attendant, voici quelques impressions vives de l’éblouissant menu que nous avons dégusté.

Pot au feu de foie gras et sa raviole
On entre tout de suite dans le vif du sujet avec ce foie gras poché, médulleux, terrien avec une grâce innée, flottant sur son bouillon céleste telle une île vierge.
On découvre sur ce premier plat le Chablis Valmur 2001 de Raveneau, tranchant, ciselé, sur des notes florales et légèrement hespéridées. Doucement, rien ne presse. Il donnera toute sa mesure. Plus tard.
On entre tout de suite dans le vif du sujet avec ce foie gras poché, médulleux, terrien avec une grâce innée, flottant sur son bouillon céleste telle une île vierge.
On découvre sur ce premier plat le Chablis Valmur 2001 de Raveneau, tranchant, ciselé, sur des notes florales et légèrement hespéridées. Doucement, rien ne presse. Il donnera toute sa mesure. Plus tard.

Noix de St-Jacques, effilochée de tourteau, sauce aux agrumes
On passe dans un autre registre avec ce fumet de crustacés aux agrumes, tonique, iodé et « sanguin ». Comme une petite brise d’orientale. La St-Jacques, crue, translucide, y perd un peu son latin. Et c’est le moment choisi par le Valmur pour traverser le paysage et servir de passerelle aux différents constituants.
On passe dans un autre registre avec ce fumet de crustacés aux agrumes, tonique, iodé et « sanguin ». Comme une petite brise d’orientale. La St-Jacques, crue, translucide, y perd un peu son latin. Et c’est le moment choisi par le Valmur pour traverser le paysage et servir de passerelle aux différents constituants.

Canneloni de queue de bœuf, truffe et moelle
On déguste d’abord ce « suc » intense, un jus splendide d’une grand noblesse d’expression. Griottes, fruits macérés, note discrètement boisée. Le vin affiche une présence et une énergie superbe. C’est le Cornalin 2005 de Denis Mercier : todos mis respetos, maestro dionysiaque ! Et le plat ? Emouvant. Tout simplement émouvant dans son évidence. A enseigner dans les académies du goût lorsque le goût de ces choses vraies et évidentes aura disparu. One Coursier, notre commensal, n’a pas pu s’empêcher :
« des cannelloni comme ça, je croyais qu’ils étaient plusieurs dans l’assiette… »
On déguste d’abord ce « suc » intense, un jus splendide d’une grand noblesse d’expression. Griottes, fruits macérés, note discrètement boisée. Le vin affiche une présence et une énergie superbe. C’est le Cornalin 2005 de Denis Mercier : todos mis respetos, maestro dionysiaque ! Et le plat ? Emouvant. Tout simplement émouvant dans son évidence. A enseigner dans les académies du goût lorsque le goût de ces choses vraies et évidentes aura disparu. One Coursier, notre commensal, n’a pas pu s’empêcher :
« des cannelloni comme ça, je croyais qu’ils étaient plusieurs dans l’assiette… »

Bon, il est vrai qu'il y a eu un petit coup de couteau au passage mais les strates sont si belles…
Palet de cerfeuil tubéreux et à la truffe et au persil
Le modèle initial de ce plat avait, il y a pas mal d’années, enthousiasmé Fredy Girardet lui-même. Le voici dans sa version revisitée, avec un souffle racinaire nouveau. De l’esthétique, de la technique (jamais gratuite ici) et une évidence du goût stupéfiante : les notes délicates de châtaigne du cerfeuil tubéreux, juste oint d’un peu de foie gras, se mêlent aux fragrances truffées.
Le modèle initial de ce plat avait, il y a pas mal d’années, enthousiasmé Fredy Girardet lui-même. Le voici dans sa version revisitée, avec un souffle racinaire nouveau. De l’esthétique, de la technique (jamais gratuite ici) et une évidence du goût stupéfiante : les notes délicates de châtaigne du cerfeuil tubéreux, juste oint d’un peu de foie gras, se mêlent aux fragrances truffées.

Agneau sarde en trois façons (l’épaule confite, le carré laqué, le collier confit et gratiné, la panoufle)
On est toujours sur le Cornalin qui continue de révéler sa grande classe. Et voici un autre chef-d’œuvre, d’un très grand classicisme, parfaitement apprêté. Un agneau d’exception, magnifié par le feu et cet art de l’assaisonnement dans lequel excelle Gérard Rabaey, cuisinier d’exception. Toujours dans l’équilibre, la subtilité, l’absolue précision des goûts.
On est toujours sur le Cornalin qui continue de révéler sa grande classe. Et voici un autre chef-d’œuvre, d’un très grand classicisme, parfaitement apprêté. Un agneau d’exception, magnifié par le feu et cet art de l’assaisonnement dans lequel excelle Gérard Rabaey, cuisinier d’exception. Toujours dans l’équilibre, la subtilité, l’absolue précision des goûts.

Allez, juste un petit dessert pour se faire plaisir !
Amateurs de brimborion, d’émulsions insipides, d’intitulés vides et de toc (ulinaires) en stock, passez votre chemin. Les autres, suivez mon conseil. Courez-y ! On a connu des Belges, de gentils frapadingues, des vrais qui ont fait l’aller-retour dans la même journée. Ils ne sont pas raisonnables ces Belges…

Il faudrait encore parler de l’accueil exquis de Mme Rabaey, du service, de la courtoisie qui règne dans cette belle maison. Mais, voilà, il nous faut, nous aussi, reprendre la route… Pour aller où ?
– Dites, Pascal, c’est loin d’ici, Rosas ?
– 761 km et plus de sept mois de voyage...
L’adresse Le Pont de Brent, 1817 Brent – t. +41 21 964 52 30 – mail : rabaey@bluewin.ch. Fermé dimanche et lundi.
– 761 km et plus de sept mois de voyage...
L’adresse Le Pont de Brent, 1817 Brent – t. +41 21 964 52 30 – mail : rabaey@bluewin.ch. Fermé dimanche et lundi.
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La première photo de Pascal Henry – les yeux mi clos, les mains croisées, face à lui-même – est extrêmement réussie : à la fois très simple et si lourde de sens.
Et le petit filet de lumière en second plan…
Bravo pour le reportage.
Voilà un chef à refréquenter !
Jacques tu a fait très fort.Je vois qu’il y a plus d’un festival à Montreux.
Nicolas, pour les photos, j’ai été (un peu) à l’école d’Armand Borlant qui intervient souvent ici…
Reportage émouvant. De voir ainsi Pascal Henri, apaisé, dans cette lumière. Et ces plats extraordinaires. Merci pour ce témoignage !
Sans parler pour lui – et sans le connaître – je ne suis pas certain que Pascal Henry soit si apaisé que ça. Mon petit doigt me pose même la question suivante : le plus dur pour lui ne commence t il pas maintenant ?
Il me dit aussi – ce fameux petit doigt – que les frontières entre compassion, empathie, sollicitude, apitoiement et pitié sont parfois bien minces… et qu’il peut être bon d’y réfléchir, à ces frontières… enfin moi c’est un univers dans lequel je vais souvent me promener… le rapport aux autres, ce que l’on projette sur eux, pourquoi on éprouve ces sentiments vis à vis de choses que d’autres vivent et pas nous. On peut s’en moquer éperdument aussi, de ces questions, je conçois…
En fin (pour changer du sempiternel enfin), juste dire que le cas Henry me semble surtout être un symbole fort de l’époque que nous vivons… ce n’est ni triste, ni heureux, c’est juste « une » réalité, et un sujet de réflexion, un vrai : c’est à mon avis là que le travail de Jacques (pour suivre cette histoire) prend tout son sens.
Un rêve que d’aller humer l’air du temps en ce lieu, d’y goûter à la quiétude comme à l’élégance de la cuisine quand elle se met au service du goût plus que du chef.
Un jour, c’est sûr …
De la technique comme d’un esquif, du respect des produits comme un cap, du goût comme une île.
Fabuleux dessert en vue (et pourtant, quel bec salé je fais …), finalement pas si complexe à réaliser. Si même moi j’y suis arrivé !
http://www.lepontdebrent.com/blo...
Nicolas, tu as sans doute raison. Pascal Henry a été dépassé par sa propre histoire. Il a mis en marche, sans le savoir, des forces contradictoires qui l’ont ébranlé : sa "traversée du désert" en témoigne. Aujourd’hui, il réassemble les morceaux du puzzle. Ce premier repas au Pont de Brent – il me l’a dit – a été un jalon important dans ce "travail" de reconstruction. En même temps, son histoire colle effectivement très fort à notre époque, à ce qu’elle met en scène au quotidien : communication, interactivité et solitude. Intimité extériorisée. Rêve et fantasme. Etonnant de voir à ce sujet à quel point le thème de la disparition hante un certain nombre d’écrivains, ces temps-ci.
Très intéressant propos, Nicolas !
Je vois en Pascal Henry (sans le connaître) un gastronome un peu paumé, de mon côté …
Jacques,
Disparition, certes …
C’est aussi le rapport au temps, le remplissage, la peur du vide, de la mort ?
Moi, je pense un peu au film de Sofia Coppola, lost in translation.
C’est à dire que ce qui concerne le vin, les mets n’est de fait que la partie visible de l’iceberg … et que l’essentiel, encore plus indicible, se passe en profondeur.
"J’ai toujours pensé que, tant que l’homme sera mortel, il ne sera jamais décontracté."
C’est lucide … 🙂
Vous avez une idée de l’auteur ?
Ca ressemble fort à du Woody Allen …
… j’ai bon ?
Paul, je crois que vous avez vu juste avec Woody Allen. Laurent, je me demande s’il ne faut pas inverser la proposition. Qu’est-ce que cela donnerait si nous étions immortels, ne serions-nous pas infiniment crispés, non par la peur de mourir (qui s’apprivoise) mais par l’ennui des dieux dans leur monde idéal ?
Jacques,
D’accord avec vous …
L’aphorisme de l’hypocondriaque New-Yorkais me plaît bien tout de même.
La vraie solitude, c’est surtout se retrouver face à soi même, en tête à tête, sans pouvoir détourner le regard. Et quand on ne s’est encore jamais rencontré, des fois ça peut faire de sacrés dégâts…
Jacques, nous en avons parlé tous les deux et je crois que ce n’est pas trahir un secret de dire que d’autres Pascal Henry errent depuis déjà des mois dans le monde de la gastronomie étoilée…
J’en connais dans le monde du vin aussi : des types malheureux comme des pierres, qui continuent d’accroître leur stock de grandes bouteilles… mais ça n’arrange pas leurs « problèmes »… Soit ils ont peu d’occasions et d’amis pour les partager, soit c’est l’inverse, et ils ne savent pas s’arrêter… au lieu de savourer le moment et l’instant, on enchaîne, on ouvre, on débouche, sans cesse…
Comme s’il devenait de plus en plus difficile de vivre l’instant I, toujours se projeter…
Qu’il est difficile de vivre apaisé. Ou plutôt est ce si difficile que cela ? Un peu de sagesse tragique, parfois, soulage sacrément… tous ces gens qui ont peur de mourir…
Peur de ne plus vivre, aussi, Nicolas …
Plutôt d’accord avec ton analyse mais la solitude permet précisément de se connaître … (je viens d’écouter Jérôme Kerviel chez Roselmack).
Cetains en feront définitivement l’impasse car la lucidité n’est pas démocratique.
Nicolas,
C’est la course au bonheur artificiel, au plaisir fugace, à la recherche de la performance.
C’est peut-être ce qui a amené Pascal Henry dans cette aventure qui a abouti à l’over-dose?
N’a-t-il pas été pris dans ce tourbillon de notre vie moderne, qui en accélérée et sans but fixé sur du long terme (livre, conférences, débats…) l’a condamné avant même sont premier repas chez Bocuse?
Jacques,
Dans cette grande et nouvelle gastronomie, n’est-on pas amené à être les convives-spectateurs d’un feu d’artifice culinaire dont le but est bien la performance technique, artistique et gustative.
Dans un menu-dégustation, avec sa multitude de plats, ne passons nous pas à coté d’un bien plus grand plaisir, qu’un menu plus modeste pourrait nous offrir?
Un seul plat est déjà un monument.
Quand on sait que la moindre mignardise ou amuse bouche est un puits d’arômes, de saveurs et de textures.
Par principe un feu d’artifice est une succession d’images à plaisir intense et spontané.
Pour la cuisine où tout les sens sont en éveil que reste-t-il de cette multitude de sensations dans le temps très court du repas?
Trente plats sur un repas, n’est pas une hérésie?
N’est-ce pas comme le plaisir d’une bonne bouteille et la dégustation technique, analytique, d’une série de vins?
Notre civilisation nous pousse à vouloir tout, tout de suite et tout le temps, et nous fait mélanger les genres et passer à coté de essentiel!
Pascal Henry n’a-t-il pas cédé à ces sirènes?
Bravo, très fine analyse Michel. Je vous approuve totalement. C’est une fuite en avant, la quête perpétuelle d’une satisfaction jamais atteinte.
Merci Armand,
J’irais encore plus loin dans mon analyse, car Pascal Henry m’est devenu infiniment sympathique par son projet gargantuesque et utopique.
Et, je voudrais lui dire que l’on avance souvent plus avec les échecs qu’avec les victoires. On s’enrichit beaucoup plus dans les difficultés, car il faut se battre…
La préparation de son projet a du lui demander beaucoup, beaucoup d’énergie. Mais psychologiquement, s’est-il préparé?
Je m’explique:
Un plaisir solitaire est infiniment moins riche que le même plaisir partagé.
En tant qu’individu, on nait seul, on vit seul, on meurt seul, mais notre environnement nous rapproche tout les jours de nos semblables. La vie est cette interaction, d’autant plus riche que le partage est fructueux.
Être ermite doit demander une force de caractère hors du commun.
Actuellement, dans notre civilisation, beaucoup de nos semblables deviennent des ermites avec le téléphone, la voiture, la télévision…
Pascal Henry peut et doit rebondir.
Il a peut-être commis l’erreur d’avoir disparu, mais est-ce un échecs d’avoir arrêté?
Un abandon n’est pas systématiquement un échec, même s’il est déception.
Il est parti seul, mais grâce à Jacques il a maintenant beaucoup de monde autour de lui.
Il ne doit plus s’isoler, resté seul.
Le partage de cette expérience va énormément l’enrichir humainement.
Partage: par defaut ou trop-plein?
Michel, tout ce que tu dis sur la gastronomie (et de la "performance" qu’elle sous-tend, dans le cas de P. Henry) est tout à fait juste et je crois pouvoir dire que notre météore des grandes tables est aujourd’hui tout à fait en phase avec ce que tu écris. Cette disparition, cet "échec" dans son projet démesuré, à lui, effectivement, de les transformer en une présence, un être-au-monde et avec les autres plus fort, plus ancré dans la vérité des choses.
Jacques,
Constat similaire sur la performance dans le vin et même dans le travail en général …
Des mérites de la crise.
http://www.youtube.com/watch?v=8...
http://www.youtube.com/watch?v=s...