Heureusement, j’ai mes itinéraires de délestage que je garde secrètement pour moi. La visite chez Jean-Luc Thunevin constitue un des moments incontournables de cette grand messe médiatique. Avec une décontraction très attentive et affable, il reçoit chez lui, au cœur du vieux St-Emilion, importateurs, journalistes, amateurs, pour une présentation de ses vins, de ceux des propriétés qu’il conseille, des cuvées qu’il commercialise ainsi que de producteurs amis qu’il invite chaque année. Ainsi, au milieu des échantillons des Bordeaux 2006, peut-on déguster également, dans un joyeux charivari, les vins de Vega Sicilia, le Pingus de Peter Sissek, le Clos des Fées de Bizeul, d’autres vins épatants du Languedoc, du Roussillon ou de la Nahe ! A l’heure où les estomacs commencent à crier famine, ma concentration est troublée par quelques Japonais qui, disséminés dans la salle principale, ont l’air de partager, une information qui, à en juger par la gravité de leurs traits, apparaît à la fois importante et confidentielle. Intrigué, je quitte un instant ma concentration pour tenter de comprendre la raison d’une telle frénésie. Un mot paraît revenir dans les phrases brèves qu’ils s’échangent, tels des boomerangs, au-dessus de la foule compacte :”caviar, caviar !” Un peu plus tard, à l’extérieur, devant un buffet en passe d’être dévasté, protégé pourtant comme le Saint-Suaire par un rempart de chevaliers en voie de réplétion, je commence à croire en mes chances de pratiquer un jour les rudiments du syllabaire hiragana : une magnifique boîte bleue de caviar sevruga trône au milieu de la table, vide, lustrée comme un écrin précieux. Trop tard… Heureusement, Jean-Luc Thunevin, à qui rien n’échappe, me confie aux bons soins de sa femme Muriel ; dans la cuisine de leur appartement, à l’étage, elle me prépare un petit en-cas léger. Comme le dit un ami cher : j’ai connu de pires moments dans l’existence mais je n’en parlerai pas !
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