Raphael Maye représente la troisième génération du domaine Simon Maye. Diplômé de l’école de Changins, il a consacré son travail de fin d’étude à la technique du raisin élevé sous béton brut naturel. Il est donc venu dernièrement au CAVE évoquer les solutions d’œufs et amphores béton actuellement sur le marché.
Selon les vignerons utilisant la cuve ovoïde béton (type Nomblot), passer du fût à ce type de contenant permettrait de développer une nouvelle façon de vinifier dans le but de produire des vins épanouis, exempts de réduction, aux parfums et textures immédiatement harmonieux et aboutis, sans les marquer/sécher par le bois.
La forme et le gabarit des cuves ovoïdes ont été calculés d’après les règles du Nombre d’or, utilisé depuis l’Antiquité pour réaliser des œuvres aux proportions parfaites. La cuve est moulée sans aucun liant ou adjuvant de synthèse, elle est mouillée à l’eau de source, dépourvue de chlore et constituée d’argiles et sables lavés sélectionnés. Elle se veut conforme au cahier des charges de la viticulture biodynamique et ne contient aucune armature métallique. Pendant les vinifications/l’élevage, les lies seraient remises en suspension de manière spontanée grâce aux changements de température du chai ; le mouvement serait favorisé du fait qu’elles ne rencontrent pas d’angles (mouvement brownien – vortex naturel). Du fait de sa forme, l’entretien se veut facile et la durée de vie est supérieure à celle d’un fût, le fabricant revendiquant 10/15 ans d’espérance de vie. Enfin, elle permettrait d’élever des vins plus aromatiques (conservation supérieure des glutathions), plus gras et plus fruités.
Mais des inconvénients existent aussi, car elle génère en cave un encombrement assez conséquent. De même, d’après les informations recueillies par Raphael Maye auprès de vignerons les utilisant, la fabrication de la cuve n’aurait pas toujours été optimale, notamment sur les premiers modèles. Par ailleurs, un blocus de la vanne de sortie par les lies semble possible. On notera aussi que le prix d’un modèle de base est assez élevé. Enfin, elle génère plus d’acidité volatile (0.2g/l en moyenne) et diminue l’acidité totale du vin. Pour limiter ce dernier point, il est d’ailleurs conseillé par le fabricant de traiter le revêtement interne à l’acide tartrique. Précisons enfin que cette technologie est née d’un partenariat avec Chapoutier, mais qu’aujourd’hui les deux parties sont en désaccord et se dirigeraient vers un procès afin d’en déterminer la pérennité.
Nous avons ensuite goûté à l’aveugle une sélection de vins afin de tenter de comprendre leur style, mais aussi montrer les différences d’expression entre élevages classiques (cuve/bois) et sous béton brut. En voici le détail.
Yvorne, Chasselas 2013 Anne Müller (PIRATE – élevage en cuve) Nez plutôt opulent, légèrement lactique, présence de gaz carbonique, forme en bouche ronde, vin facile, souple et tendre, assez simple.
Yvorne, Chasselas Amphore 2013 Anne Müller Ici tout est plus précis : nez de poire et de saké, vin supérieurement droit, fin, subtil, plus long. On devine une meilleure sélection de raisins (l’amphore ne fait pas tout), mais on doit aussi signaler la maitrise de la vinification dans ce contenant. Bientôt disponible au CAVE !
Amigne de Vétroz 2013 André Fontannaz – Cave la Madeleine (élevage partiel en cuve ovoïde) Encore peu formé au niveau aromatique, le vin délivre a contrario une bouche suave, assez riche mais fraiche, avec une très légère sucrosité en finale (1 abeille) mais sa tension fait ressortir son acidité bienvenue.
Crozes-Hermitage, Aux Bétises 2013 David Reynaud (élevage 2/3 en cuve ovoïde) Premier nez légèrement réducteur, qui évolue sur des notes d’infusion (tilleul, camomille) et d’élevage sous bois ; vin assez gras, à peine lactique, finissant à ce stade un peu sec. Il sera intéressant de voir s’il gagne en clarté et tension sur les prochains millésimes, car il semble moins abouti dans son registre que le précédent, par exemple.
Grand’Cour blanc 2012 J-P. Pellegrin (élevage intégral en cuve ovoïde) Très marqué agrumes, de l’éclat, un côté cristallin et des accents à peine pétrolés ; la bouche prolonge ce registre avec une vivacité mûre et gourmande qui fait beaucoup saliver. Quand la grande adresse du vigneron surpasse la classe du terroir. Bravo !
Païen Octoglaive 2013 Cornulus (élevage partiel en cuve ovoïde) Premier nez de poire, pomme fraîche, assez net, centré sur le cépage ; bouche hédoniste, arrondie par un léger sucre résiduel, le vin a de l’allonge. On peut juste regretter qu’il ne soit pas plus sec afin de mieux apprécier son parti pris d’élaboration.
Païen Larmes du Terroir 2013 Cl. Clavien (PIRATE – élevage en cuve) Moins avancé et formé au niveau aromatique, légèrement plus réducteur et fermentaire (impact de la cuve ?), celui-ci s’ouvre en bouche sur un léger Co2, le vin est tonique, franc, avec une acidité claquante qui rappelle le cépage et le millésime.
Ayze, Gringet le Feu 2011 Domaine Belluard (élevage intégral en cuve ovoïde) Comme souvent sur cette cuvée, nez très original de cédrat, gingembre, herbes et plantes de montagne, précis ; attaque vive qui précède une bouche relativement ample, riche en saveurs, complexe, qui présente une structure et tension accrue en finale et un caractère salivant très appétant. Vin rémanent, de grand présence, très attachant. Le fait que l’on ne se pose pas la question de son élevage en le dégustant indique sans doute que ce dernier est tout à fait abouti !
Chenin blanc 2010 Domaine des Balisiers (élevage intégral en cuve ovoïde) Nez diffus avec des nuances de botrytis (noble et moins noble), bouche puissante, chaleureuse, mais qui conserve une forme d’originalité dans la trame et la structure. Dommage que le vin ne soit pas plus pur, on pourrait l’apprécier davantage…
Rouge du Pays – Cornalin 2013 Arte Vinum (élevage intégral en cuve ovoïde) Profil légèrement réducteur malgré l’usage de l’usage de l’oeuf béton, tirant sur le cassis et la confiture de myrtille. Bouche hyper fruitée, dotée de tanins légèrement rustiques, encore réservée sur l’allonge. Manifestement, le vigneron a fait le maximum pour « emprisonner » le fruit sous verre, peut-être au détriment de l’expression immédiate. C’est un bon vin, mais qui ne semble pas pour le moment profiter à plein de l’effet « aérateur » de l’oeuf béton. A suivre…
Figari, Amphora 2013 Clos Canarelli (PIRATE – macération de 4 sem. en amphore d’argile, élevage court en fûts usagés) Premier nez éclatant qui rappelle des blancs de macération (agrumes, confiture d’abricot, caractère poivré, violette) mais évoquant également des expression de terroir granitique. Le vin est complexe, il se déploie dans le verre par vagues ; grande dimension de la bouche, aussi large qu’allongée, texture à la fois ferme et fine, allonge importante sur des notes de fleurs séchées. Superbe bouteille, très originale, mais qui a autant dérangé que plu ! Coup de coeur personnel et confirmation qu’Yves Canarelli est sans doute, avec Jean-Charles Abbatucci et la famille Arena, le vigneron « tête chercheuse » le plus intéressant à suivre sur l’île actuellement.
Comte de Peney (cabernets) 2007 Domaine des Balisiers (élevage intégral en cuve ovoïde) Plus de chance que sur le blanc du domaine car on découvre ici un joli nez de registre secondaire avec des notes classiques de cabernet septentrional évolué (poivron grillé, piment, épices, tabac brun). Bouche fine, de demi-corps, à peine végétale dans la saveur, fraîche et à maturité sans être fatiguée. Dans le cadre d’une année compliquée, ce vin s’en sort avec les honneurs et on notera que son type d’élevage ne semble pas l’avoir fatigué.
Cabernet 2007 Grand-Clos – J-M. Novelle (PIRATE – élevage en barriques) Esthétique de vin complètement différente ici avec un souci de cueillir le plus mûr possible (réglisse, fruits noirs) et de jouer sur le bois (grillé, toasté). La saveur est encore marquée par l’élevage mais le vin se goûte puissant, moins avancé à ce stade que celui des Balisiers ; plus difficile à boire, aussi. Il sera intéressant de noter que les millésimes récents du domaine sont élevés en cuve, sans que les vins perdent en complexité. Les 2011 et 2012 en surprendront plus d’un…
3 Comments
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Merci Nicolas pour ce retour de dégustation,
mais je reste un brin sur ma fin, car à part sur les deux premiers chasselas (et tu suspectes d’ailleurs une autre sélection de raisins), quelle conclusion tires-tu des vins élevés dans le béton en dehors de ce que disent les fabricants? Apparemment les cépages « réducteurs » conservent quand même ce caractère, comme le Cornalin par exemple.
Et Raphaël Maye a-t-il effectué des comparatifs entre élevage en cuve béton de forme plus classique (disons rectangulaire) et celui dans les oeufs en béton?
Les oeufs en béton sont-ils aussi utilisés pour la fermentation ou uniquement pour l’élevage?
Ma conclusion est qu’il est difficile de tirer une conclusion, d’où le fait que mon article n’en contienne pas d’ailleurs ! Et ce pour plusieurs raisons.
D’abord parce qu’il est rare de pouvoir comparer à jus identique deux élevages distincts (cuve/oeuf ou bois/oeuf). Ensuite parce qu’à l’image des pratiques culturales, chaque vigneron a sa vision et façon de faire, et donc imprime une empreinte personnelle et subjective sur le process. A titre d’exemple, je n’ai pas compris – il me semble que c’est clair dans mon commentaire – le bénéfice apporté par l’usage de la cuve ovoïde chez Ferdinand Betrisey. Par contre, en goûtant les vins de Pellegrin, Belluard, ou la cuvée Amphore d’Anne Muller, on a la sensation d’accéder à des cuvées complètement abouties.
A dire vrai, j’ai passé le cours à poser des questions de casse pieds à Raphael pour tenter de sortir du discours positif des fabricants (ayant fait des études de marketing, je connais un peu les travers d’une communication bien menée) et demander des preuves des choses avancées, notamment le coup du vortex (mais apparemment on peut voir le vin bouger lentement à l’intérieur de l’oeuf, oui).
Pour la question cuve carrée cuve ronde, je laisse Raphael te répondre.
Enfin pour ta dernière question, certains domaines ne font que les élevages, d’autres que les vinifs, et d’autres les deux ! Pour finir et parler de mes échanges avec les vignerons sur le sujet, notamment JP Pellegrin ou Dominique Belluard, j’ai souvent entendu qu’il fallait – contrairement à la théorie qui énonce qu’une fois le vin dans l’oeuf, plus rien à faire – surveiller souvent et ne pas hésiter à bâtonner (en fonction des millésimes) pour avoir un milieu homogène, faire très attention aux montées de volatile, avoir une bonne cave, et enfin être très précautionneux avec ce type d’élevage sur des jus issus d’années chaudes, notamment à cause du caractère « pompeur d’acidité » de l’oeuf en fonction de son âge et de la qualité de son entretien.
Bref, tu le vois, c’est complexe, et difficile de tout consigner dans un article format blog !
Je viens de tomber sur cet article qui m’a paru très intéressant. Vinifiant moi-même dans plusieurs régions en Espagne et avec des cépages délicats (Mencía, Brancellao et Merenzao=Trousseau en Ribeira Sacra, Mourvèdre à Valencia, Gorgollassa, Callet et Mantonegro à Mallorca) ne supportant que très mal l’apport aromatique de la barrique, je cherche à utiliser la cuve béton (quand j’en ai), l’amphore (quand j’en trouve) ou des barriques usagées (plus facile d’accès) pour élever ces vins sans les « abîmer ». Je n’ai pas d’expérience avec les oeuf de Nomblot.
Toutefois, pour aller dans le sens de D. Belluard et JP. Pellegrin, contrairement à l’idée que le marketing souhaite propager, il ne semble pas du tout acquis que cette cuve ovoïde permette une remise en suspension naturelle des lies. Bien au contraire! Valérie Lavigne (thèse de doctorat à Bordeaux sur les arômes de réduction dans les vins, chercheuse à L’ISVV de Bordeaux et consultante pour de nombreux domaines viticoles dans le monde) il y a quelque temps de ça m’expliquait qu’elle observait bien souvent des problèmes de réduction dans les vins blancs élevés en « oeuf » pour cause de non remise en suspension des lies si l’on ne batonne pas.
De la même manière, une étude (http://www.oenologuesdefrance.fr/gestion/fichiers_publications/444_ART251_1_V.pdf) faite sur un vermentino du clos canarelli montre un niveau plus élevé des composés soufrés responsables des arômes de réduction dans le vin vinifié et élevé en cuve ovoïde. Affaire à suivre donc. Cuve ovoïde, oui, mais peut être ne pas omettre le batonnage si l’on souhaite élever sur lies (et éviter les arômes de réduction).