A quelques (miliers) de pas de la vallée du Rhône ou de la Rivera vaudoise, au-dessus de Vouvry, se cache une petite vallée étroite, protégée, encadrée par quelques monts placides et falaises abruptes.
Voici le col de Tanay 1440, devant l’écrin d’un petit lac de montagne émeraude : le lac de Tanay. Une petite halte chez Nicole s’impose avant la rude montée vers le Grammont.
Nicole Niquille est une grande figure dans le milieu de la montagne. Privée d’une partie de sa mobilité, à la suite d’un accident en 1994, elle investit beaucoup de son temps, de son énergie et de son argent dans la construction d’un hôpital sur les hauts de Lukla au Népal et elle mérite d’être soutenue. C’est ici.
Aux marches du temps
Marcher est un don, un privilège que nous ne mesurons pas à sa juste valeur. J’y pensais en attaquant les lacets qui montent à l’assaut du petit alpage de Tanay où les vaches ressemblent à des funambules placides, accrochées à la pente comme d’autres à leurs rêves.
Marcher est un don, un privilège que nous ne mesurons pas à sa juste valeur. J’y pensais en attaquant les lacets qui montent à l’assaut du petit alpage de Tanay où les vaches ressemblent à des funambules placides, accrochées à la pente comme d’autres à leurs rêves.
C’est aussi une façon d’entrer dans un autre temps, qui n’est pas celui des chronomètres et des records (même si j’aime marcher vite !).
La plaine du Rhône est déjà à quelques milliers de pas d'ici.
C’est s’arracher à l’illusion de la vitesse extérieure pour entrer dans un rythme, celui de l’infinie patience du monde. Celle des éléments, des énergies primordiales.
Marcher, c’est se ressourcer. C’est donner un sens à l’instant qui nous inscrit dans le paysage accueillant.
Marcher, c’est éprouver le fondement de toute liberté, celle d’aller et venir, dont parlait Rimbaud quand il en a été définitivement privé.
Marcher, c’est se souvenir, retrouver une mémoire qui ressemble à celle des rêves. Ceux qui nous ont visités. Qui continuent d’agir à travers nous. Ceux qui viendront, à travers lesquels se dévoilera un peu de notre avenir.
Marcher est une déambulation, une errance choisie. Comme la pensée et le dialogue qui la nourrit. Privilège de la conversation durant la marche, le souffle parfois court : on cale ses mots sur la déclivité du terrain.
Marcher, comme le décrit Frédéric Gros, consiste à faire « coïncider les rythmes du corps, de l’âme et du monde ».
« C’est une image de la vie, me fait remarquer celui qui m’accompagne, tu mets un pied devant l’autre. Tu n’as pas l’impression d’avancer ; tu souffres et, tout à coup, tu arrives dans un endroit magnifique. C’est la fête. La trajectoire, dont tu doutais parfois, devient visible. »
Marcher, c’est une écriture des mots dans le vent, l’âme silencieuse des rochers et le bruissement des étoiles, des récits qu’il suffit de lire. Comme, dans la forme et la vitesse des nuages, on devine à la fois le temps qui passe et celui qui nous reste à accomplir. (Pour François Mauss : c'est une variante de la néphélomancie !)
L’avant-dernier chapitre (intitulé Aux marches du temps) de mon prochain livre est d’ailleurs entièrement consacré à ce thème de la marche.
Sentiers du lac et du ciel
Après quelques heures, la voici, cette extase dont seule la nature est capable de nous gratifier. On débouche sur l'arête sommitale du Grammont et, 1800 mètres plus bas, dans l’a-pic, dramatisé encore par les brumes ourlant la dentelure des roches, le lac Léman avec des allures de lagon suspendu dans le ciel. Comme si l’eau et l’air avaient échangé leurs mondes.
Après quelques heures, la voici, cette extase dont seule la nature est capable de nous gratifier. On débouche sur l'arête sommitale du Grammont et, 1800 mètres plus bas, dans l’a-pic, dramatisé encore par les brumes ourlant la dentelure des roches, le lac Léman avec des allures de lagon suspendu dans le ciel. Comme si l’eau et l’air avaient échangé leurs mondes.
Sidérant. Exotique. Follement dépaysant.
Pourquoi tenter de décrire la gamme des couleurs et des tons, le chromatisme ? De toute façon, ça s’appelle recomposer un paysage avec des mots. J’étais simplement captif de cette vision comme le prisonnier d’un monde à ciel ouvert. J’ai pensé à un tableau de Pietro Sarto.
Et, tout près du sommet, à 2176 m, au pied de la croix où se trouve cette stèle dédiée à Paul Bordat qui « aimait offrir ce paysage à ses amis » cette visite impromptue, émouvante, de trois petits de bouquetins, des étagnes, peu farouches. Venus aux nouvelles du monde d’en-bas.
L’itinéraire Vouvry-Miex-Le Flon. Parking. Le col de Tanay est accessible (hélas) aux 4×4.
Depuis Tanay, prendre un sentier à droite peu après l’auberge « chez Nicole ». Monter en direction de l’alpage des Crosses où le Conseil de fondation du château de Villa se rendra prochainement pour rendre visite aux cochons qui seront élevés, à l’automne, au grade de chevaliers du goût. Continuer en direction des deux Jumelles. De là le sentier traverse en diagonale le flanc sud est du Grammont pour rejoindre l’alpage de Voyis. Et c’est l’arête sommitale nord-ouest qui conduit au sommet.
Horaire depuis le parking du Flon, compter 5.00 aller-retour ou 3.00 depuis le col de Tanay.
Depuis Tanay, prendre un sentier à droite peu après l’auberge « chez Nicole ». Monter en direction de l’alpage des Crosses où le Conseil de fondation du château de Villa se rendra prochainement pour rendre visite aux cochons qui seront élevés, à l’automne, au grade de chevaliers du goût. Continuer en direction des deux Jumelles. De là le sentier traverse en diagonale le flanc sud est du Grammont pour rejoindre l’alpage de Voyis. Et c’est l’arête sommitale nord-ouest qui conduit au sommet.
Horaire depuis le parking du Flon, compter 5.00 aller-retour ou 3.00 depuis le col de Tanay.
22 Comments
Si Jacques me permet deux liens sur "philosopher en marchant", en complément de son texte superbe :
in-girum-imus-nocte-et-co…
http://www.lemonde.fr/livres/art...
En lisant votre post Jacques, je n’ai pu m’empêcher de penser au grand marcheur-philosophe qu’était Nietzsche, et au magnétisme et rôle que les plus beaux lacs peuvent exercer sur les penseurs, ou tout simplement les Hommes au sens universel.
Sans aller jusqu’à des altitudes qui sont les vôtres, mais pour souvent faire la route du lac comme vous le savez, je ressens souvent une "présence" qui dépasse la simple grande beauté du lieu.
Que l’on ne me demande pas ce que c’est, je n’en sais rien et ne veux pas forcément le savoir. Mais cette étendue d’eau "coincée" entre montagnes et vignobles est aussi captivante et planante que la vue d’une très belle f…… pour moi. A se demander si parfois la nature n’est pas trop belle ?
Et après on s’étonne que d’aucuns se disent spinozistes, ou le deviennent !
😉
Merci Nicolas. C’est vrai qu’il y a toute une lignée d’écrivains et de penseurs pour lesquels la marche a été une activité essentielle : Nietzsche, bien sûr, Rimbaud, Hölderlin (voir :
blog.cavesa.ch/index.php/…
Rousseau, Robert Walser, Harrison, Le Clézio
blog.cavesa.ch/index.php/…
Tant d’autres encore !
Le premier lien est très intéressant. Quant à RP Droit, il écrit « droit »
Il a le… droit ! 🙂
Mais je préfère lire d’autres que lui, pour le moment. Il est vrai.
Mon ami LaurentG en vacances, je prends la relève des C/C et me permets :
"Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur."
Un vrai poème de marcheur… et de grand homme ! Victor Hugo, évidemment.
C’est si dépouillé, si riche de sens, si pudique, et si beau, finalement.
Nicolas,
Même sentiment partagé,J’ai pour le lac Léman une fascination qui remonte à l’enfance quand tout mioche nous partions avec mes grands-parents naviguer comme sur le Mississipi sur les gros bateaux à roues.
Cher Jacques,
Ce sont parfois les plaisirs simples qui nous procurent les plus belles émotions.
Lire l’oubli de l’Inde de RP Droit (on y retrouve Nietzsche).
Et bien sûr ce bel hommage aux marcheurs helvètes : http://www.alapage.com/-/Fiche/L...
Jacques : le live d’Anne Dufourmentelle est un joyau (body and soul).
Nicolas,
Merci pour ce C/C … 🙂
Pascal, à qui le dites-vous ! Un autre plaisir simple (mais rare) serait de bivouaquer là-haut, en belle compagnie, avec un vin choisi ; de mitonner, avec les moyens du bord, un risotto des hauteurs et de s’endormir sous le dais des étoiles.
Laurentg : merci pour votre feed-back. Il faut le redire : En cas d’amour est un livre essentiel, superbe que tout le monde devrait lire !
Jacques,
Un livre essentiel …
Mais il faut en quelques sorte y être prêt …
La métaphore de la cordée de 2, analysé/analysant est fort intéressante, n’est-ce pas ?
Moi, je me réjouis qu’un tel blog gstronome et oenophile aborde également ces nourritures célestes là ! 🙂
Un site riche (Centre de Recherche sur la Littérature des Voyages) :
http://www.crlv.org/swm/Page_acc...
Un livre magnifique, méconnu :
http://www.alapage.com/-/Fiche/L...
Cher Jacques
Pour une fois je t’ai précédé, mais si tu avais posté cet itinéraire sur le Grammont trois semaines plus tôt j’aurais pu m’épargner le googling pour y trouver la déscription éxacte … Bref: Je ne peux que confirmer que la vue depuis là-haut est splendide et vaut toute effort – surtout quand le ciel s’ouvre en s’approchant la cime! Une petite remarque néanmoins: le chemin menant de Miex au lac de Tannay depuis l’est élude l’accès directe (et moche) au dessus de Flon et traverse une tourbière protégé – vaut le détour et ménage les genoux lors de la descente!
Petit tuyeau: On s’est récompensé de l’effort au pied du Grammont à l’hôtel "Les Terrasses" à Meillerie: Une découverte culinaire avec un excellent rapport qualité/prix/plaisir et une carte de vins surprenante à prix doux (hotel.lesterrasses.free.f…
Autre tuyeau pour une balade que tu n’a peut-être pas encore fait: la cabane de Saleinaz au-dessus du Val Ferret, endroit magique, vue splendide, peu peuplé car l’accès plutôt pour ceux non sujets au vertige – il y manque qu’ un "Rissieux" dans cette sobre cabane neuchâteloise!
Un grand Merci pour un autre conseil de ta part: J’attaque prochainement la "Berghaus Oberaar" et le Sidelhorn!
Cher Bendicht, merci pour ces précisions mais ton lien avec les Terrasses ne fonctionne apparemment pas…
Je retiens ton idée de Saleinaz et du Rissieux et j’irai y faire un tour très prochainement, peut-être même ce week-end si le temps est bon !
"Je t’aime, mais cela ne te regarde pas."
Climb in the back with your head in the clouds,
And you’re gone
John and Paul, 1967
Bizarre, le site "des terrasses" fonctionne…En tout cas, actuellement. Quand aux marcheurs, j’aimais bien Jacques Lacarrière.
La marche est une activité physique qui stimule particulièrement la pensée. Beaucoup de grandes idées ( y compris scientifiques, lire pour cela le merveilleux livre d’Etienne Klein: "Il était sept fois la révolution") sont nées en marchant. En fait l’éloge de la marche est un peu l’éloge d’un mode de vie, l’éloge de la lenteur chère à Pierre Sansot, à notre époque où tout doit aller vite…même le vin!
"…on a souvent plus de profit à lire les voyageurs qui écrivent que les écrivains qui voyagent." nous dit Nicolas Bouvier dans sa préface de la réédition "d’Oasis interdites" d’Ella Maillart.
Au risque de perturber le discours philosophique – je me suis forcé de résoudre le problème du lien "des terrasses": on peut essayer le suivant: http://www.hotel-les-terrasses.f... ou googler: "hotel les terrasses meillerie" et choisir la proposition No 3… hélas les sites français! Try it again, Sam!
LaurentP,
N’oublie pas que Bouvier, génial au demeurant, a bcp souffert en écrivant à ses retours sédentaires en Suisse (lire la dernière biographie qui lui a été consacrée).
Dès fois, dans un accès de mollesse intellectuelle, je me demande si Bouvier était bernois…
tu me communiques les coordonnés du livre par mail privé Laurentg ?
Laurent,
Je crois que cela peut intéresser d’autres lecteurs de ce blog :
http://www.evene.fr/livres/livre...
Les périodes mélancoliques de Bouvier sont poignantes.
Cette perspicacité, cette douleur qui irradie, bref, cette lucidité qui a un prix ! 🙂
Cher Jacques, vous pourriez faire partie du comité touristique de la Suisse! Mille merci pour ce récit. Je n’ai jamais tant eu envie de découvrir ce pays, que depuis que je lis votre blog.
Et oui au poème de Victor Hugo. Si pudique en effet.
C’est une idée ça, je vais demander en haut lieu s’ils sont d’accord. La Suisse, en ce moment, a vraiment besoin de soutien !