Reprise de l’Ecole du vin oblige, notre ami Jacky Rigaux est revenu officier en nos murs pour une dégustation dont il a le secret, lui, l’apôtre de la dégustation géo-sensorielle. La thématique avait été fixée il y a trois ans, bien avant le COVID. Il était désormais temps d’en découdre et de se confronter à ce très beau et vaste Grand Cru de Vosne-Romanée !
La création de cette prestigieuse appellation remonte à la naissance des AOC en France, le 31 juillet 1937. Le cru représente aujourd’hui une surface de 36,12 ha, ce qui en fait le plus grand de la Côte de Nuits après l’immense – au sens propre et figuré – Clos Vougeot (49.86 ha). Il regroupe en son sein plusieurs climats, revendiqués ou non par les propriétaires : Clos-St-Denis, Echézeaux du Dessus, En Orveaux, Les Beaux Monts Bas, Les Champs Traversins, Les Cruots ou Vignes Blanches, Les Loächausses, Les Poulaillères, Les Quartiers de Nuits, Les Rouges du Bas, Les Treux.
Situés au-dessus du village de Flagey-Échezeaux, les Echézeaux sont enchassés entre Vougeot et Vosne-Romanée. Côte d’Or oblige, le cru bénéficie d’une exposition au levant. Il traverse le coteau entre le Clos de Vougeot et les Premiers Crus septentrionaux de Vosne-Romanée. On notera que les Grands-Échezeaux et les Échezeaux sont, comme le Clos de Vougeot qui en est séparé par un mur, des fondations de l’abbaye de Cîteaux, dès les XIIème et XIIIème siècles. De racine gallo-romaine, chesaux signifiait un groupe d’habitations : sans doute un ancien hameau. Le cru prend pied sur une géologie datant du Jurassique (175 millions d’années). Il offre des sols divers (marnes bajociennes et revêtements caillouteux, en général). Il s’étage selon les climats de 230 à un peu plus de 300 mètres d’altitude (13% de pente à mi-coteau). On rencontre, dans la partie haute, des sols profonds (70 à 80 centimètres) fait de cailloutis, limons rouges, marnes jaunâtres, qui constituent une mosaïque assez complexe.
Il ne restait plus qu’à goûter une sélection – non exhaustive – de ses meilleurs représentants. Et ce fût fait ainsi, selon les séries qui suivent et à l’aveugle, comme il se doit :
Echézeaux Grand Cru, Claire Naudin 2015 : Robe légèrement trouble, évolution normale de la couleur. Premier nez animal, viande crue, un peu mat et effacé. L’attaque confirme ce fait, avec un vin de tannicité ferme, structuré, viril, mais la présence de phénols est confirmée en bouche. Ceci dit, il a de l’allonge et l’on sent une structure « calcaire » évidente. La prise de risques n’est pas totalement récompensée, mais on devine une belle viticulture.
Echézeaux En Orveaux Grand Cru, Faiveley 2016 : Robe brillante et commençant à tuiler légèrement. Premier nez légèrement caramélisé, grain de moka, griotte, fruits rouges. Attaque douce et lactique, évasée, pour un vin qui se révèle à mi-bouche et prend de la motricité, de la vivacité. Il se prolonge bien et finit frais et ciselé, c’est bon.
Echézeaux du Dessus Grand Cru, Hoffmann-Jayer 2017 : Premier nez très joli, avec une belle fusion du fruit, de la vendange entière, du bois. Il y a quelque chose de sexy sans être exagéré dans ce vin. Il prend très bien l’air, avec des accents d’encens racés. Attaque de grande finesse, fraîche et suave, avec une salinité et sucrosité très bourguignonnes. Vin hédoniste, très bien réussi, c’est très bon. Un domaine à suivre, assurément, d’autant que l’année était tout sauf facile !
Echézeaux Grand Cru, Georges Noëllat 2017 : Robe trouble, sombre. Premier nez réducteur mais intense, profond, sanguin, cendré, avec une réelle densité et des rendements visiblement bas. Léger Co2 sur l’attaque gardé par le vigneron, qui n’a sans doute (volontairement) pas dégazé son vin, d’où l’aspect brut qui pourrait indiquer une mise en bouteilles au fût, à l’ancienne. Le vin a de la densité et de la franchise, il se prolonge vineux, fougueux, corsé, pour la garde. Le millésime est dépassé, surpassé. Il faut juste attendre…
Un Echézeaux de très grande classe, signé par la famille Mortet
Echézeaux Grand Cru, Nicole Lamarche 2018 : Robe brillante, nez légèrement caramélisé, classique bourguignon. Il y a, derrière, quelque chose de fin et stylé, une vraie race. Attaque douce et chatoyante, pour un vin de demi-corps, en dentelle, peu extrait mais pas trop mûr pour le millésime, un peu filiforme, comme le sont beaucoup de 2018 aujourd’hui. C’est souple, c’est facile, peut-être un peu trop à ce stade ?
Echézeaux Grand Cru, Mongeard-Mugneret 2019 : Boisé bourguignon en avant, qui joue sur la séduction, avec une fusion du vin dans le fût : on sent quelque chose de recherché et maîtrisé, une forme de noblesse du bois et sans doute un grain très fin. Attaque dense et puissante, pour un vin qui résonne ; certes le bois est là mais la vinosité aussi, le vin est profond, enlevé, assez solaire, il se prolonge puissant. Un peu riche à ce stade, il sera intéressant de voir comment il vieillit, car le temps pourrait l’affiner positivement.
Echézeaux Grand Cru, Jean-Marc Millot 2019 : Nez légèrement effacé, grain de café, assez discret et lent à s’ouvrir. De jolies notes de fruit font leur apparition à l’aération, pour un vin classique, retenu, de beau style. Attaque de grande finesse et suavité, la chair est en avant, la délicatesse aussi, mais sans minceur : il y a quelque chose d’authentique et frais, ça s’allonge crayeux, c’est très bon, au niveau du terroir, en fait.
Echezeaux Grand Cru, David Duband 2020 : Vendange entière en avant, avec des notes cassissées, mentholées, un peu entêtantes, mais qui indiquent que l’on a grandement misé sur la rafle en macération. A l’aération, le vin s’ouvre sur des épices, des notes de tabac : il prend de la complexité. La réduction s’estompe à l’air et le mentholé-cassis devient floral. Attaque vive et pointue pour un vin aigu, sur le fil, caressant dans la texture, mais qui s’allonge avec beaucoup de vivacité. On est sur le fil du rasoir, le vigneron a pris des risques.
Echezeaux Grand Cru, Denis Mortet 2020 : Premier nez sur le grain de café, avec une dimension florale derrière : on devine beaucoup de vendange entière, mais utilisée avec parcimonie, pas de trituration des grappes, un grand soin dans le traitement de celles-ci. Le vin a beaucoup de race et prend très bien l’air. Ouverture aromatique progressive et sensationnelle, avec des notes d’agrumes qui apparaissent et sont celles des plus grands pinots. Attaque légèrement lactique mais derrière, la fusion du tanin dans le vin est magistrale : on est au niveau des plus grands Bourgognes, c’est gracieux au possible, déconcertant de finesse.
Echézeaux Grand Cru, Les Loächausses, Anne Gros 2020 : Boisé grillé et fumé en avant, avec un style d’élevage qui date un peu, mais on devine un vin avec de la densité, une personnalité. C’est le nez le plus austère des trois, celui qui s’ouvre donc le moins. Attaque structurée et ferme, avec une sucrosité du bois en avant. Si on la laisse de côté, le vin a du fond, une structure plus élastique que l’on ne pourrait le présager au nez, avec la nervosité que l’on connait des Echézeaux. Il doit absolument vieillir.
Au delà de la qualité des vins dégustés, cette dégustation, diversité de styles et vins jeunes obligent, n’a pas permis de dégager une trame commune évidente ! Et c’est sans doute mieux ainsi, car cela témoigne également de la diversité du cru en son sein, ce dernier étant fait de nombreux climats qui auraient pu chacun revendiquer leur identité. Mais Flagey s’étant fait « piquer » nombre de climats par Vosne au moment du classement, le village a préféré unir ses meilleurs climats pour être plus fort. Ce n’était pas une mauvaise idée !
Enfin, je tiens à remercier les amis marchands de vins romans (AJS Import, Mathieu Vins), mais aussi le domaine Hofmann-Jayer ainsi qu’un amateur « tenu secret », qui nous ont aidé monter cette dégustation en vue de la proposer à un prix qui permette au commun des mortels d’y participer. Hélas ! L’évolution des prix et les effets pervers liés à la spéculation ne permettront sans doute pas de renouveler l’exercice dans de telles conditions, le marché étant plus fort que tout. Le millésime 2021 en ligne de mire (qualité hétérogène, quantités microscopique, prix maousses costauds), la Bourgogne est à un tournant de son histoire, qui pourrait lui jouer de vilains tours à l’avenir, du moins pour la clientèle européenne ! Nous verrons de quoi demain sera fait…
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