Toutes ces images par quoi nous existions. Nous n’étions pas nés. Nous rêvions seulement d’en incarner le désir. Jeunesse, éternité, amnésie.
– L’entendez-vous ce murmure, l’inaudible, le fleuve qui passe sous vos silences et vos pas ? Celui de l’oubli…
– L’entendez-vous ce murmure, l’inaudible, le fleuve qui passe sous vos silences et vos pas ? Celui de l’oubli…
Discours de la perte
Ne rien savoir de l’état de mes possessions, pour ignorer l’étendue de mes pertes… Montaigne, je crois, disait à peu près cela. Grande sagesse !
Je feuillette ce dictionnaire mélancolique, inouï, foisonnant. Sur le thème de la perte, on peut y lire le catalogue du rien qui nous constitue, de la déréliction : perdre son âme / perdre un amour /perdre la raison (Hölderlin, Nerval, Artaud) / perdre des hommes (tous les stratèges en déroute) /perdre ses clés quand on pense posséder celles de l’univers (Einstein) / perdre son esquif (ah ! le Vendée Globe qui envoie du gros devant !) / perte de vitesse (l’aviateur ou l’icône politique) / pertes séminales (tous ceux qui font de nécessité vertu) / pertes blanches / perte de lumière, d’énergie, de charge / perte du sommeil (tous ceux qui sont hantés quand vient la fin) / perte de son autonomie. Pure perte. A perte de vue. Perdre connaissance. Entrer dans l’ignorance. De tout. Et de rien. Perdre sa fortune… Dépossession.
– Et c’est d’avoir perdu le rien qui vous met dans cet état ?
– Mais c’est précisément le problème : perdre le rien, c’est perdre davantage que le tout. C'est perdre ce qui donne son sens au tout… la seule pièce qui fasse défaut dans l’échiquier… Celle qui désormais manquera toujours.
Une question insoluble : pourquoi les cabinets des psy ne désemplissent-ils pas depuis que la crise financière a éclaté ? Qu'y soigne-t-on, à part ce rien ?
– Et c’est d’avoir perdu le rien qui vous met dans cet état ?
– Mais c’est précisément le problème : perdre le rien, c’est perdre davantage que le tout. C'est perdre ce qui donne son sens au tout… la seule pièce qui fasse défaut dans l’échiquier… Celle qui désormais manquera toujours.
Une question insoluble : pourquoi les cabinets des psy ne désemplissent-ils pas depuis que la crise financière a éclaté ? Qu'y soigne-t-on, à part ce rien ?
Aujourd’hui, je pense, distraitement, comme des milliers d’entre vous, à quelqu’un dont le nom serait Bernard Madoff. Je pense aux contrats qui ont été passés sur lui. A ce qu’est devenue sa vie. A la sensation paradoxale de liberté que, peut-être, il sent monter en lui. Comme un désir encore flou. J’essaie de deviner ce qu’il ressent. Je ne dis pas « éprouver ».
Je tente de me mettre à sa place.
Impossible.
Cet homme est une fiction.
Il habite un temps et un espace différents.
Je pense à tous ceux qui se rassurent en croyant que, désormais, les écuries d’Augias sont nettoyées, la boîte de Pandore refermée…
Depuis le temps que ça dure, nous devrions également avoir quitté ces rivages inhospitaliers qui ressemblent à nos illusions.
Depuis le temps que ça dure, nous devrions également avoir quitté ces rivages inhospitaliers qui ressemblent à nos illusions.
PS. Texte écrit suite à un repas avec des amis (dont certains sont dans la finance) où la conversation a naturellement roulé sur ce qui est devenu l’escroquerie majeure de ces dernières années, celle mise au point par Bernard Madoff, un « jongleur » de haut vol à qui tout semblait réussir : il laisse derrière lui un champ de ruines et 50 milliards (apparemment) volatilisés !
L’ironie, librement assumée, voulait que nous dégustions en même temps, en contrepoint de ces propos et du pessimisme ambiant, un superbe Champagne Salon 1995, minéral, stylé et aérien. Pas du genre très disert de prime abord mais peu à peu il marqua de son emprise la soirée, la rythmant et lui donnant même une note d’alacrité insoupçonnée. Avec les St-Jacques marinées, truffes et betterave confite, ce fut tout simplement géant.
« Le vent se lève !… il faut tenter de vivre. » (Valéry).
« Le vent se lève !… il faut tenter de vivre. » (Valéry).
Demain ne ressemblera à rien de ce que nous connaissons…
8 Comments
D’ailleurs: http://www.youtube.com/watch?v=x...
Ce Madoff n’est certainement pas un mauvais bougre. Comment aurait-il pu sinon créer un trou noir de cinquante milliards de dollars par son simple charisme ? Il mérite si ce n’est une page dans les manuelles d’HEC au moins un auditoire à son nom. Au placard les Walras et Pareto !
Un géant, ce Champagne oxymorique, dense et léger, vineux et blanc de blancs.
Un nain ce Kerviel. 🙂
J’attends avec gourmandise les prochaines nouvelles décapantes de notre pauvre monde déliquescent.
Il y a effectivement un aspect suréaliste, quais virtuel quand on pense au traitement réservé à Mr Madoff, qui est consigné en résidence surveillée avec bracelet électronique. Fans son salon (s minuscule).
Compte tenu de ce qui pèse sur lui, de son indispensable sécurité à préserver aussi, cela ne fait pas bien sérieux.
Veut-on le voir disparaitre ?
Quand on pense qu’un récidiviste de vol de pizza s’est pris 20 ans de centre pénitentiaire dans le même pays, …
Laurent
Et quid de tous les autres Madoff pas encore découverts ?
Pour l’instant, ils planquent la merde sous le tapis, en priant pour que ça ne se voie pas. L’abondance de mauvaises nouvelles peut le leur faire espérer …
Récession et 214000 emplois en moins :
http://www.lefigaro.fr/economie/...
Note : il y a qq minutes seulement, le chiffre annoncé sur le site du Figaro était de 150000 !
Affaire Madoff :
http://www.lefigaro.fr/placement...
S’inviter chez Krug, Bollinger et Salon puis manger aux Crayères fin janvier 2009 va malheureusement devenir un privilège incommensurable …
Once in a lifetime