Sur l’autre versant, on trouve bien sûr, y compris dans les vignes et dans les vins, le paradis qui brille, lumière zénithale, lénifiante, qui finira peut-être par s’éteindre, nous ennuyer, disparaître.
Et si au fond l’enfer était ce qui ne cesse jamais, ce qui se consume à sa propre flamme ? La douleur, les souffrances, la soif inextinguible ? Allons donc ! Le désir plutôt, le plaisir, la passion, la patience, la calcaire, le schiste, tout ce que vous voudrez !

Histoire d'enfer, premier vin de garage de Corin
Exactement ce que déclinent les étiquettes des vins rêvés, conçus, élevés dans cette étrange cave née il y a deux ans, juste au-dessus de Corin. Un vin de garage, un laboratoire expérimental, un météore dans le vignoble valaisan, un cabinet de consultation avec, au milieu, un électron libre ? Un nouvel LHC (Large Humagne Collider) peut-être ? Un peu tout ça.
J’ai cédé au chant puissant, répétitif, lancinant, des sirènes. Je suis allé goûter – en attendant qu’accourent à leur tour le GJE, Bettane, le Wine Spectator et le grand Bob – les vins de ce domaine qui répond au nom euphorique de Histoire d’enfer !
C’était au moins la troisième Journée Portes ouvertes de l’année : il y avait du monde donc, un peu d’ébullition malgré la neige descendue des hauteurs, une raclette bien valaisanne. Il y avait là, alignés tels les mousquetaires, les quatre associés : Alexandre Challand, James Paget, Patrick Regamey, Pierre Robyr.

Pierre Robyr et Patrick Regamey
Dans l’enchevêtrement des cuves, d’une T5 à une autre, j’ai suivi un des pièces du puzzle, le docteur Régamey, si connu qu’on ne le présente plus. Parfois même, dans certaines caves, il arrive, dit-on, précédé par sa propre réputation…
Alors les vins, me direz-vous ? Pour ne pas être suspecté de copinage ou de parti-pris valaisan, je me dois d’être sévère : ils vont du très bon à l’excellent. Passage en revue :
Sylvaner 2008 beau vin stylé, frais, tendu avec une fusion du bois réussie (15 %). Vin d’avenir.
Blanc Réserve 2008 un assemblage de petite arvine et de pinot gris. Un peu dominé par son bois à ce stade, il a une belle richesse de constitution et se développe gras, ample, en bouche. Très bon.
Païen 2008 n’affiche pas la même race que les deux précédents.
Rouge 2008 cet assemblage de pinot et d’humagne affiche des ambitions démocratiques dans la gamme d’Histoire d’enfer. C’est vrai que c’est bon, sapide, fruité, mais la finale est simple.
Syrah 2008 une syrah talentueuse, douée de nature, très bien élevée, qui mérite encore un peu de patience pour donner sa pleine mesure. Déjà auréolée d’une gloire native.
Enfer de la Patience 2008 deux vignes, l’une sur Miège, l’autre sur Corin, sont la source de cette syrah très ambitieuse, d’une grande pureté, avec de l’allonge. Racée.
Cornalin 2008 notes florales, fruits rouges. Provenance : Corin et Sierre avec une partie d’achat de raisins. Pas mal.
Pinot noir l’Enfer du Désir 2009 il est généreux, mûr, expansif avec un très beau fruit.
Pinot noir l’Enfer du Plaisir 2009 il provient de deux vignes, l'une sur Corin, au lieu-dit Bretton, réputé pour sa finesse, l'autre sur Miège, élevé en demi-muids de 600 litres ; il est à ce stade un peu marqué par l’élevage.
Pinot noir Enfer de la Passion 2009 vinifiée en raisins entiers, voilà une magnifique réussite, un vin complet, taillé au cordeau, superbement équilibré, avec une vraie profondeur de goût.
Après ça, pouvait-on encore boucher le bouchon plus loin, monter plus haut ? Voici Salquenen et son calcaire.
Sérieux les dégustateurs ? Oyez plutôt :
« Là on est au bord de la falaise, ça passe ou ça casse, c’est comme avec les femmes ! »
Un ange passe…
Je goûte avec la plus extrême attention ce vin issu d’une vieille vigne. 30 % de raisin entier et là, c’est le choc, le saisissement. Voilà un superbe vin, au caractère certes généreux, solaire, mais d’une droiture et d’une complexité remarquables. Ce vin de grande race redéfinit les normes à partir desquelles il faudra désormais juger les pinots valaisans. On reste dans la même thématique, enfermé dans l’enfer. Celui-ci s’appelle l’Enfer du Calcaire 2009.
L’Absolu de Calcaire 2009 est une cuvée expérimentale issue de la même vigne que le vin précédent mais vinifiée en raisins entiers. A ce stade de l’élevage, je préfère l’Enfer du Calcaire.
Diolinoir 2009 il regorge de fruits noirs, de mûre écrasée, avec des notes d’épices, de cendre. Il a belle allure dans sa robe pourpre et sa finale n’est pas en reste. Très bon.
Humagne rouge 2009 la vigne est située sur le haut des Bernunes, en direction de Miège. Une matière première superbe, et un élevage de classe font de vin une réussite significative au style très abouti.
Cornalin 2009 L’Enfer du calcaire provient d’une parcelle sur Corin. Superbe couleur. Nez dense, sur les fruits noirs, la cerise. Bouche d’une amplitude étonnante, suavisée et allongée par un élevage très raffiné (en T5) Seule la finale paraît pour l’instant un peu en retrait mais rien ne presse.
Syrah 2009 L'Enfer de la patience Grand nez de Syrah sur les épices, la violette. Bouche à la découpe minutieuse, d’une très belle énergie et finale vibrante, dense, épicée. Ce vin ressemble peut-être, comme le dit un des associés de la cave, à la Ve de Beethoven, à de la « musique pour les sourds » mais c’est diablement bon !
A la réflexion, je lui trouve, à cet Enfer de la Patience, un petit air de James Cagney dans Doorway to Hell, pas vous ?

Et, pour terminer, puisqu'on est au coeur du Valais et que c'est véritable apophtegme médical, une petite raclette, juste une…
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Panégyrique des "meilleures" du Docteur, entendues depuis maintenant presque deux ans à propos de vins, lors de dégustations avec lui…
-C’est immensissime®, jouissifissime®…
-Ca n’arrête pas de monter®…
-C’est’l plus-grand-vin-d’la-cave®…
-Ca sent le putois qui excite la femelle®, le cheval qui transpire à l’écurie®, le bolet baveux®, la caque de poule®…
-Ca c’est l’odeur du mouchillon® qui est venu se tremper dans les cuves…
-Pour ceux qui ont gardé le 13ème vin…
-Si t’écrases les tanins en finale, là, tac!…
-Y’a une p’tite touchette de bois…
-Ca c’est du végétal de raisin vendangé à la machine avec les feuilles®…
-Usw.
(Jacques : vous n’avez pas eu droit aux monstruosissimes liquoreux produits en quantités infinitésimales ?)
La raclette, c’est pas une petite raclée?
Ce fameux liquoreux, produit à l’époque à Genève, et qui aurait été noté cent par le grand Bob. Toujours d’après le docteur.
Enfin, si ces braves gens arrivent à créer une saine émulation dans le vignoble et à pousser les autres vignerons encaveurs au-delà de leur limite actuelle, ce ne sera que positif pour la viticulture valaisanne.
Belle aventure, les vins de Pierre Robyr dégustés au Pas de l’Ours à Crans-Montana lorsque j’étais Sommelier là-bas, m’avait enthousiasmé, en particulier son Humagne rouge, excellente découverte.
L’enfer Du Devoir dit :
Ce fameux liquoreux, produit à l’époque à Genève, et qui aurait été noté cent par le grand Bob. Toujours d’après le docteur.
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Celui-là j’en ai aussi entendu causer (mais jamais goûté), mais ceux dont je parle sont valaisans, estampillés Histoire d’Enfer !
Sur le liquoreux (que j’ai goûté) pas de commentaire, si ce n’est off record !
Ouille !
🙂
Eh ben dit donc, y a de quoi " en faire une histoire ".
finalement, je vient de comprendre ce qu’il manquait cette année au Symposium de la Villa D’Este.
Il y a donc des vins secrets dans cette cave infernale. L’humagne blanche et l’arvine ne sont-elles plus que présentées en journée portes fermées ?