«Jamais on ne se penche sérieusement sur ce qui constitue le goût. C'est à tort. On gagnerait beaucoup de temps. Non seulement au restaurant, mais dans la vie tout court. Les saveurs, les arômes, finalement, c'est comme le fil d'un tapis.
On tire dessus et hop, voilà cette fine crête s'embarquant à toute vitesse vers un pied de fauteuil, filant sous la table, esquivant une commode, pour se diriger droit vers la cuisine.»
François Simon, N'est pas gourmand qui veut
Et puisque que la cuisine, c'est aussi des paysages, voici une farniente tout à fait estivale, dessinée par Adrià Ferran : ça s'appelle Deshielo et ça date de 2005 !
Nouveau monde, nouvelles saveurs
Qu'il est éloigné le temps où, dit-on, les Avignonnais raffolaient d'oies rôties, maintenues vivantes sous «perfusion» d'eau et de grain dont, volens nolens, les volatiles continuaient de s'alimenter… Tant de cruauté étonne, inquiète, et l'on frémit à l'idée de croquer une chair molestée avec autant de raffinement. On s'en dédouane en l'attribuant aux pratiques médiévales.
Rêvons plutôt un court instant sur Catherine de Médicis et son armada de cuisiniers florentins. Son mariage avec le duc d'Orléans en 1533 va ouvrir la cuisine française sur d'autres horizons. Des frontières tombent qui ne sont pas seulement gustatives mais culturelles. Les frontières du monde et de la pensée s'élargissent à partir de ce formidable creuset qu'est la Renaissance.
Des légumes, des fruits (l'artichaut, la tomate, le concombre, la pomme de terre, etc). déboulent tout à coup en provenance d'autres mondes, nouveautés absolues dans un paysage qui paraissait aussi figé que les brouets dont on se délectait. Les épices marquent un temps d'arrêt. Elles reviendront en force.
La cuisine vient de découvrir le produit. Et la codification qui le met en valeur: la fameuse recette, dont l'imprimerie va permettre la diffusion. Invente-t-on au passage la figure du chef, le détenteur des secrets sans lesquels la recette ne serait qu'une banale approximation ?
C'est probable, mais n'anticipons pas… En trois siècles, on est déjà passé du Viandier (de Guillaume Tirel, dit Taillevent) au Cuisinier François (1651) de François-Pierre de la Varenne, officier de bouche et maître des plaisirs, métier que portera à son point d'assomption, peu de temps après, l'infortuné Vatel.
La Varenne, à partir des bases acquises notamment auprès de certains chefs florentins qui accompagnaient Catherine de Médicis, déploie la cuisine française sur de nouveaux espaces du goût, invente des associations inédites, expérimente de nouvelles techniques, codifie inlassablement, arpente les territoires du goût. La Varenne préfigure le grand chef de demain. Pétri de talents, historien, encyclopédiste, créatif pur, doublé d'un véritable talent littéraire. Son l'œuvre marquera son temps.
Un plat intemporel proposé par l'un des meilleurs cuisiniers actuels : l'Agneau sarde en trois façons par Gérard Rabaey, le Pont de Brent, Suisse
La table des Lumières
A l'instar également de celle de Vincent La Chapelle dont le Cuisinier moderne paru en 1735 apparaît comme une sorte de manifeste: rupture avec le passé, allègement et précision des saveurs. La «nouvelle cuisine» est déjà en marche. Le XVIIIème siècle dépose également son jalon dans cette quête du beau et du bon. A travers les arts de la table, le raffinement des mets et des vins, s'exprime une nouvelle manière de vivre, fondée tout à la fois sur les plaisirs de la table, l'art de la conversation et le tourbillon des sens.
Privautés de nobles certes. Mais la bourgeoisie n'est pas en reste. Elle aura sa cuisine et ses chantres, Christian Marin, maître d'hôtel du maréchal de Soubise et, surtout, Menon (La Cuisinière Bourgeoise, 1746). Rien de régressif pourtant dans une telle attitude, pas de repli nostalgique sur des valeurs sûres mais, à l'imitation sans doute de ce qui se pratique dans les grandes maisons que l'on rêve d'égaler, une ouverture d'esprit bien réelle. A tel point que l'on ne craint pas les amours exotiques entre la cuisine bourgeoise et ce que, déjà, on appelle à l'époque la «nouvelle cuisine».
A suivre…
20 Comments
Que d’approches différentes …
Tant mieux !
On pourra lire ceci :
http://www.alapage.com/m/ps/mpid...
J’avais rencontré l’auteur dans une conférence sur les sciences cognitives.
Gare à toi si tu oublies Ali bab ou Nignon !
Et naturellement, le héros inconnu des barbares : Auricoste de Lazarque !
Qui a dit :
En hiver le porc est fort bon
Et pendant tout l’an le cochon
Punition estivale
Cible : laurentg
Motif : une évidence : trop fort en citations
Le pensum : strictement plus de liens pour un mois. Que du première main !
Môssieur Mauss !
Je pars sur Porto dès dimanche : je vous donnerai des nouvelles – si vous le voulez bien – du monde des vins de feu (et des rouges émergents, ceux de Dirk van der Niepoort en particulier).
Je peux vous dire un mot de la cuisine d’Adria (qui ne m’a point rendu malade) ou de l’agneau sarde – pas déstructuré pour un sou – dégusté vers Sartène.
Bien le bonjour chez vous ! 🙂
PS : et moi, je suis admiratif de l’éclectisme endurant de Jacques !
Et qu’est la première main dans le monde Internet ?
A propos, je déconseille fermement le nouveau restaurant appelé le Grand Vatel (environs de Toulouse, Auzeville).
Il faudra, et de loin, préférer la table des Merville à 2 pas, sur Castanet Tolosan.
Je t’avais dit à quel point le choix de restaurants sur Toulouse était pauvre.
Merci du tuyau !
Pour le Vatel, c’est de l’inédit (et je signale que la plupart de mes collègues ont – sans que cela me suprenne trop -aimé ce soi-disant repas : …).
L’un m’a même dit, de l’insipide et caoutchouteuse mozarella qui acoompagnait des tomates en platique (et une huile d’olive indigne) : tu sais, c’est toujours fade comme cela, la mozarella).
Soupir !
Je pense qu’il ne faudrait pas oublier le premier "livre" de cuisine connu:
"Le livre du cuisinier" (Libro per cueco) écrit en vénitien, que l’on estime daté du milieu du 14e siècle.
Armand : va vite te plonger dans le Vicaire pour rafraîchir tes neurons : il y a bien plus vieux !
Je parlais de cuisine "contemporaine" 🙂
L’agneau sarde avec un cornalin 05 de Denis Mercier,forcément pendant c’est magnifique,et après,il nous reste un magnifique souvenir.
http://www.lemonde.fr/idees/chro...
Oh putain, je sens que le père Mauss va me tomber dessus … 🙂
Oups,
Mon dernier post tombe en effet comme un cheveu sur la soupe …
Désolé …
Juste pour dire, en écho au blog du GJE, que ne poster que des idées inédites est un véritable défi.
Alors, François qui ne veut que du neuf … Pas si simple !
Voilà !
Le dicton du jour:
A la Saint-Laurent, de la soupe aux cheveux tu mangeras 🙂
Un blog alpin prégérin :
voyages.liberation.fr/iti…
Il rime pas ton dicton … 🙂
Ah les prégérinations … :-)))
Bientôt un post en relation avec la 61ème étape (nous avons dû nous croiser là-haut…) Amusante coïncidence !