A cet instant, dans le suspens de l’éclair, Chessex – je l’imagine (je n’étais pas là) – est devenu un de ces arbres qu’il admirait. Mort debout. Foudroyé.
Comment ne pas mettre en résonnance une telle fin, celle à laquelle il s’était préparé, cette mort rêvée, réelle, théâtrale (devant un auditoire, parlant de l’un de ses livres) avec le vœu rilkéen d’accéder à sa propre mort comme à la patience du fruit mûr que chacun porte en soi ?
« O mon Dieu, donne à chacun sa propre mort,
donne à chacun la mort née de sa propre vie
où il connut l'amour et la misère. »
Parmi l’œuvre profuse de l’écrivain, j’ai choisi de lire cette chronique, l’Imparfait, publiée en 2006. Elle marque le retour de Chessex à l’autobiographie après le flamboyant Carabas (1971).
J’écoute des correspondances, admire, une fois de plus, ce style limpide, ajusté, ciselé ; il nomme les odeurs, l’impatience, le désir, la mémoire des lieux et des êtres, l’infini regret, l’imparfait…
Chessex revient sur la maison de son enfance, les cris des oiseaux, le père et l’infinie tristesse qui l’emportera, tempe trouée d’une balle. Agonie. Ce drame met fin à l’ennui d’une « trop longue enfance. »
Le fils doit vivre avec cette mémoire trouée du père en lui, cette fureur aussi, qui bouillonne en lui, le voue longtemps à l’autodestruction. Puis entrer dans l’écriture qui est une forme de rédemption.
Lent cheminement pour tenir à distance ce legs, pour ne pas se sentir « obligé », dépendant, demeurer malgré tout sur cette crête silencieuse où la liberté est un éveil et une conquête, rester sur ce seuil où la lumière et l’ombre sont complices. A l’orée. Des forêts. Des jours et des nuits. Des femmes.
"J'entre dans l'âge mûr. Puis viendra le temps de la mort, qui sera court, parce que chargé d'une sagesse si claire à considérer ma fin que je n'aurai nul besoin de m'embarrasser de trop d'années pour atteindre droit à mon terme."
« Combien de fois, rencontrant un écrivain, l’ai-je trouvé léger, donc inutile, en le mesurant à ce poids que je portais en moi et dans mes propres livres ? Combien de fois ai-je ri de la vanité de tel auteur, ou à ses comédies d’enfant gâté et préservé. Des gens qui n’avaient rien vécu de fatal. (…) Comme c’était drôle. Je rencontrais des écrivains du gouffre, des poètes de la catastrophe qui n’en avaient même pas frôlé les bords. Ils touchaient leurs petits prix, ils changeaient de voiture, ou de donzelles, et ils reprenaient leur phrase. Ainsi allaient les gens de lettres. »
Le livre Jacques Chessex, l’Imparfait, chronique, 142 p. Bernard Campiche, éditeur.
4 Comments
Cher Monsieur,
Votre hommage à Jacques Chessex me touche, je le trouve très beau, juste. Merci.
Jacques,
Je n’ai pas lu Jacques Chessex, mais je pense que vous êtes de la même famille, des explorateurs des mots et des idées, des poètes, des bâtisseurs de mondes couchés entre les feuillets de vos ouvrages.
Vous nous faites rêver, fantasmer, nous émouvoir.
Je viens de terminer ton "Dits du gisant": magnifique. J’ai beaucoup aimé.
Je ne vais pas dire ici tout mon sentiment sur ce très beau livre.
Mais, j’ai pensé en le terminant et en lisant ton épilogue, en quelque sorte, avec Rimbaud, et "dans ce grand hôtel de l’univers" qu’"elle est retrouvée! Quoi? L’éternité.", à Ovide qui termine ses "Métamorphoses" en écrivant: "…mon nom sera ineffaçable…les peuples me liront; et la renommée, si le pressentiment des poètes ne sont pas trompeurs, me fera vivre dans toute la durée des siècles".
Je pense que cette prémonition d’un poète qui n’a plus mal aux dents, depuis bien longtemps, s’applique à ta démarche, et à Jacques Chessex pour ses écrits.
Amitié.
Michel.
La dernière fois que je l’ai vu sur un plateau de télé, c’était dans "Vol de Nuit" qui désormais d’ailleurs n’existe plus. Autour de la table , outre le célèbre présentateur-écrivain ,Jacques Chessex était entouré par d’autres écrivains et une comédienne qui écrit.ça m’avait inspiré quelques lignes s’inscrivant aujourd’hui ironiquement dans la dernière citation que vous en faites.
…"Parler pour ne rien dire
écrire
pour briller
pour gagner
des sous
de la notoriété
pour entrer
dans le cercle des initiés
pour se prouver
qu’on peut, qu’on y est, là,autour de la tables des initiés, sous l’oeil aimant des caméras parfois assassines.
Le petit ogre blanc la perce de sa porcelaine. Jaugeur de potentiel
amoureux.
Ce qu’elle a à l’intérieur il s’en fout, il sait que c’est creux,il sait qu’il n’en a rien à foutre de ce charabia grotesque et inutile, il se dit juste qu’elle peut être bonne au pieu.(…)
ECRIRE TUE,lamine, déchiquette(…)
Parfois écrire ça nuit grave ,mon frère, …etc"
Après ce moment que son seul regard avait rendu surréaliste, j’avais lu "Le vampire", coupant comme un rasoir fantastique et qui nous mène comme des moutons à l’abattoir d’une fin sidérante.
Quand il évoquait sa mère,puis la mort de sa mère, il me mettait les larmes aux yeux et me tordait les tripes.
je n’ai appris son foudroiement qu’hier, ce temps qu’il annonçait si court nous plonge dans un manque déjà interminable, mais il est vrai que cette mort est en parfait accord av
Jacques Chessex (prix Goncourt 1973) et sa captivante "confession" :
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