C’est vrai que le voyage pour venir ici est compliqué. Depuis Kyôto, il faut compter 4h 30 avec trois changements de train ! Encore une fois : mieux vaut avoir quelques rudiments de japonais, sinon c’est galère… Mais le jeu en vaut la chandelle. Arrivé au terminal du funiculaire, on prend le bus pour visiter les différent sites du Koyâ-San ou mont Koyâ, classé au patrimoine mondial de l’Unesco.
C’est ici que Kukai (devenu plus tard Kobo-Dashi), de retour de Chang’an (Xian) en Chine où il fut initié au Shingon Mykkio, a fondé le mouvement shingon japonais en l’an 816. Le Shingon appartient au boudhisme dit ésotérique, lequel privilégie le Vajrayana ou « véhicule de diamant ». Il compte aujourd’hui plus de 3500 temples au Japon. Dont 117 sur le mont Koyâ. Le Shingon privilégie l’accès au spirituel et à l’invisible à travers les formes visibles de la nature et son approche est autant esthétique que philosophique. Ceci explique notamment pourquoi le Shingon est parfois confondu – à tort – avec le shintoïsme.
Quand on arrive à cet endroit, qui était en quelque sorte prédestiné à devenir un haut lieu du sacré, on comprend mieux pourquoi le moine Kukai a décidé de s’installer ici. En dépit de son caractère ésotérique, le bouddhisme shingon est un mouvement très ouvert, très accueillant. Il n’y a pas d’hôtel à Koyâ-San et un certain nombre de monastères se sont transformés en ryokan « spirituels », sans aucun prosélytisme pour le visiteur de passage.
Les grands Jizos dans la forêt. On vient ici apaiser l'âme des ancêtres en aspergeant d'eau ces statues.
Deux sites retiennent particulièrement l’attention sur le mont Koyâ. Le premier porte le nom d’"Enceinte sacrée" et comprend un certain nombre de temples, dont le principal, le Kongôbu-ji est une splendeur.
L'âme des noyés n'est pas oubliée.
Le second s’appelle Okuno-in et se trouve à l’est. On traverse un petit pont, Ichi-no-haschi. Et tout à coup, c’est l’entrée dans un autre monde, une immense cathédrale à ciel ouvert, une forêt-nécropole, d’une très grande beauté, avec ses allées de cryptomeria et de cyprès séculaires lancés comme des flèches vers le ciel.
Obtenir une concession à Koyâ-san est désormais très cher. Une seule solution : se regrouper…
Et partout des tombes, des stupas, des statues ! Dans le froid saisissant, en fin d’après-midi, le spectacle a quelque chose de sidérant. On dit souvent qu’au Japon, on naît et et se marie shintoïste mais qu’on meurt bouddhiste. Pas faux à en juger par le nombre impressionnant de tombes que l’on trouve au Okono-in. Les cendres de nombreux Japonais, connus ou anonymes, sont déposées ici. Plus de 200 000 qui ont émis le souhait de reposer ici, sur le mont Koyâ, tout près de Kobo-Dashi, disparu en 835. Mort ? Pas vraiment.
Dans la crypte du temple Tôro-Dô, la lignée des moines disparus.
Selon ses disciples qui le croient toujours vivant, Kobo-Dashi est entré en état de concentration extrême (samâdhi) cette année-là et se réveillera un jour. C’est la raison pour laquelle des centaines de milliers de fidèles ont souhaité demeurer à ses côtés, sous sa protection et sa présence, dans l'attente du Bouddha du futur. Tous les jours, des moines continuent d’ailleurs de « nourrir » Kobo-Daishi en lui amenant un repas au fond de son Gobyo. Le mange-t-il ? Allez savoir…
Intérieur du monastère Fukuchi.
Quoi qu’il en soit, dans notre monastère d’accueil, au Fukuchi, le repas fut éblouissant. Dans le prolongement magique de ce que nous avions déjà apprécié au Shige’tsu de Kyôto. De la vraie cuisine shojin, terme bouddhiste signifiant à la fois "s'éloigner des distractions, purifier son corps et s'exercer avec ardeur." Vaste programme pour des néophytes comme nous. Mais nous essaierons de retenir la leçon. Cette cuisine shojin s'est développée au 13 et au 14ème siècles et constitue une des bases de la cuisine japonaise d'aujourd'hui.
Un bouillon absolument magique aux herbes des montagnes et igname.
Repas végétarien bien sûr, avec thé et saké (le goût de celui aux herbes médicinales servi le lendemain par les moines Kongôbu-ji sera immortalisé et me servira de benchmark pour évaluer désormais les saké !) pour lequel, davantage que de longues descriptions, il faudrait un haïku :
Légère la neige grain de riz
Fumet sylvestre
Nourrir sa vie de silence
4 Comments
Belles photos qui me rappellent de bons souvenirs (sans la neige).
La frugalité est une des qualités de la cuisine japonaise.
Donc : mangeons tous japonais, dans les mêmes conditions, dans les mêmes lieux, et nous deviendrons tous sages et centenaires ! Ils ont le record de longévité dans le monde, je crois.
Far from the madding crowd !
"les visages des morts" eut aussi bien résonné
"Tout est le cosmos :
les pierres, les montagnes, les arbres, les fleurs, les herbes, les étoiles…
la nature toute entière et la non-nature,
l’artificiel et toutes les productions humaines, matérielles et spirituelles,
et l’espace et le temps."
Maître Dôgen