Avec M. L., nous avons convenu d’un rendez-vous, chez lui, dans les environs de Genève. Je devais lui apporter par la même occasion un carton de ces Beaujolais, style Chauvet, qu’il affectionne particulièrement.
Le jour dit, je suis accueilli par un monsieur d’un certain âge, l’œil vif, extraordinairement attentif. Il me montre le chemin de sa cave où je dépose le Fleurie de J.P. Brun. L’accès est malaisé. Une trappe et un escalier abrupt mènent aux casiers où dorment de grands vins que la discrétion m’interdit de nommer.
M. J.L. (à gauche) en compagnie de Jules Chauvet
Nous bavardons. Il me montre des lettres, des photographies de Jules Chauvet. On peut y voir ce dernier débouchant, sur le coup des onze heures, une topette, dans la cour devant sa maison. Des extraits de presse aussi. Tel cet article paru en 1988 dans la Tribune de Genève. Il est consacré à Jules Chauvet et il y est question d’une jeune maison qui n’a pas attendu la mode du sans soufre et des vertueuses trognes à goutte pour se pencher sur la question.
J.L. me raconte sa vie. Autrefois il exerça durant de nombreuses années le métier de négociant en vins. Il avait des contacts dans toute la France et partait sélectionner ses pièces qu’il importait en Suisse. J’ai bien connu le général Marey-Monge, dit-il. Chaque année j’avais droit à une pièce de Romanée St-Vivant que je mettais moi-même en bouteille.
– Quels étaient les millésimes que vous avez mis en bouteilles ?
– Ceux des années quarante ! me répond-il avec l’esquisse d’un sourire…
– Ceux des années quarante ! me répond-il avec l’esquisse d’un sourire…
Je demande son âge à mon interlocuteur : nonante-six ans, me répond-il non sans une certaine fierté.
C’est ainsi que j’ai eu l’immense plaisir de rencontrer celui qui est très certainement notre client le plus âgé ! Un des plus fidèles aussi, à en juger par l'épais dossier où il range soigneusement tout ce qui concerne la vie du Club.
Une jeune maison qui n’a pas attendu la mode des sans soufre et des vertueuses trognes à goutte
pour se pencher sur la question
– Accepteriez-vous un verre avant que l'on se quitte ? demanda-t-il. C’était une belle soirée d’été. La température était idéale. Juste ce moment où la journée basculait doucement vers un début de fraîcheur tant attendu. J’acceptai avec plaisir.
Mon hôte fila en direction de sa cave. Il revint bientôt avec ce prodige : un Château Grillet 1994, somptueux dans ses notes de réglisse, de mirabelle, d’agrumes, de poire confite. Et quelle bouche ! Une texture frôlant l’opulence et une trame minérale cachée en embuscade.
On se quitte ; on se promet de se revoir bientôt.
Les vendanges viennent de commencer en Suisse. Le temps est devenu nettement plus frais ces jours-ci.
M. J.L. a tenu promesse. Il vient nous rendre visite ce matin à Gland. Au passage il a goûté les raisins de notre petite vigne d’Amigne. Il me demande si 2009 sera un millésime de garde ? Je bredouille une réponse. Je dis que ce sera au moins un très beau millésime. Peut-être mieux. J’en saurai peut-être davantage la semaine prochaine. Après ma visite à la DRC. M. J.L. rêve de retourner en Bourgogne. Pour voir ses amis de Volnay, les Lafarge. Qu’est-ce qui l’en empêche ? J’attends juste que la famille se décide… dit-il.
Merveilleux vivant, comme on les aime ! Je vous parle d'un temps qui est celui de la jeunesse de cœur…
Prochainement ici : Sur un air de Marey-Monge
(extrait d'une nouvelle qui fera partie de mon livre suivant. A paraître, si tout va bien, fin 2010).
29 Comments
Grand Jacques :
Te reste t’il des Chauvet ? Si oui, tu sqis quoi faire…
Pas une quille hélas, François ! On va lancer un appel à la population !
Et puis j’aimerais bien goûter aussi ces mises de Romanée St-Vivant des années quarante. Mais ça, c’est encore plus improbable… A l’époque, c’est un restaurant de Genève (il devait s’appeler le Fin Bec, je crois) qui recevait la quasi totalité des 300 bt destinées à la Suisse et ça devait coûter trois francs six sous et le président Mauss n’avait pas encore la permission de quitter sa poussette !
A défaut de boire du Chauvet, François, tu sais ce qu’il te reste à faire, hein ! (pcq ça parle, ça parle, mais……..)
C’est toujours un grand plaisir pour un amoureux du Beaujolais et des "personnages" du vin de bavarder avec M. J.L.
J’espère avoir encore longtemps la chance de le côtoyer.
Tout cela est si précieux…
(Jacques : pour info, et sauf erreur, le frère de Chauvet est toujours de ce monde. S’il on arrive à "traîner" un certain François M. en Beaujolais tantôt, ça pourrait être une rencontre… que je peux tenter de ficeler. Si jamais !)
Nicolas, Lucien Chauvet, frère de Jules, est effectivement toujours de ce monde. Peut-être lit-il parfois ce blog ?
Je ne sais Jacques.
Mais je demeure très motivé pour faire sa connaissance, ça c’est certain !
Grillet 94 est somptueux :
" … Le vin produit des notes vraiment jeunes, dans un registre réduit, très minéral. Le nez est donc encore une fois spécifique, plutôt ébouriffant : réglisse blanche, mirabelle, agrumes, rose, pomme, poire, poivre blanc (on se sent un peu en Alsace, de nouveau).
…
Bouche à la fois exigeante et libérée, capable d’une percussion conséquente (elle me rappelle le formidable Gewuztraminer Hengst 2003 de Zind-Humbrecht, au caractère puissant et sec). Gros tempérament pour un vin carré qui possède encore un fort potentiel".
C’est dire si je te rejoins dans ta description, Jacques !
Ubiquiste, en effet, à nul autre pareil.
Grillet aurait-il eu des creux ?
La photo montre un buveur logiquement réjoui.
Bu hier soir d’honorables vins helvètes (Giroud, Valais, avec un Petite Arvine, de caractère, parfumée comme un Sylvaner, d’une belle présence subtilement saline).
Jacques,
L’histoire complète est particulièrement touchante et comme vous veniez de nous en faire un résumé, c’est magnifique que plusieurs classes d’âge soient représentées au CAVE. Celle de Monsieur ML est particulièrement intéressante et à soigner comme vous l’avez fait pour bénéficier d’expériences lointaines à entretenir à tout prix.
Je comprends la fierté et le plaisir de votre interlocuteur pour lequel le vin est bien la plus noble et la plus saine des boissons.
Amitiés de Chamonix, Philippe – 17.09.2009
Laurentg
De retour de repos salvateur, je reprend le fil et tombe sur votre parallèle plus qu’intérressant entre Grillet et les GW Hengst de Zind-Humbrecht…deux vins atypiques et passionnants.
N’ayant pas de grande connaissance en Grillet, je me permet néanmoins de mettre en lien un petit article sur la dégustation du GW Hengst 2004 de Zind-Humbrecht datant de fin août.
secretsepicure-alsace.blo…
Mr Perrin, vos photos de Jules Chauvet et de votre client, encore un verre à la main et l’oeil pétillant, sont la preuve formelle du caractère sacrée du vin, la boisson des conservations.
Merci, Antoine (des vertus du copier/coller).
Grosse impression également sur un Pinot Gris Windsbuhl 2001, d’une incroyable prestance.
Cela dit, des déceptions parfois sur des vins évoluant vite, un peu saturants en goûts opulents (Riesling Rangen 2000).
Nicolas, ce soir je boirais à ta santé un Gevrey Chambertin Clos St Jacques 2003 Sylvie Esmonin.
Armand : je te hais !
🙂
Bu hier midi avec les copains du CAVE un voisin du Clos : Cazetiers Bruno Clair, de 10 ans l’aîné de ton CSJ, offert par un (adorable) client.
Comme beaucoup de bons 93 de Côte de Nuits, pas le grand bouquet, mais une vraie bouche : du moelleux -souvent sur ce terroir-, une charpente encore bien d’aplomb, et de l’allonge, sur les épices. N’a pas fait un pli sur les magrets de canard et les pdterre poêlées.
Définitivement, le beau vin, c’est à table !
(passe une belle soirée, l’ami !)
Armand,
Cela devrait être très bon …
(le CSJ 2000 est superbe)
Nicolas,
Pour Rousseau 93 en Chambertin et Clos de Bèze, je dirais le contraire : des arômes racés sur une bouche encore un peu rude.
Je n’avais pas un grand bouquet sur le Chambertin Rousseau 93 bu (à l’aveugle) il y a 1 an, mais une grande bouche, ça oui !
Par contre sur le 96 (bu aussi à l’aveugle), j’avais un super bouquet, mais une bouche un peu plus nerveuse et moins garnie que le 93.
De la subjectivité de la dégustation ?
Chambertin 96 cadenassé pour moi il y a 2 ou 3 ans !
On ne se baigne jamais dans la même rivière.
Sans lien direct : il y a moins de "dits du gisant" dans les librairies toulousaines que d’ouvrages de Nothomb ou Beigbeder.
D’ailleurs, il n’y en a pas du tout (disponible uniquement sur commande).
Cruel, ce monde de l’édition (et je pense à quelques amis qui rament depuis plus de 10 ans pour attirer l’attention d’un éditeur).
Jacques,
Il convient peut-être que tu passes une nuit en garde à vue où que tu demandes une photo aux studios Harcourt !
Laurent et Nicolas 🙂
Laurent, le livre n’est pas encore disponible. Il devrait arriver en librairie d’ici 15 jours, enfin, j’espère… Je retiens ton "idée" de la garde à vue… ça va faire du buzz… Arrêté au petit matin en train de sniffer de La Tâche sur le capot d’une voiture devant la principale boîte de nuit de Pavalas les Flots !
C’est cela … 🙂
Pendant que le frangin néo-millionnaire reçoit la légion d’honneur …
Il est touchant, Beigbeder, dans sa candeur assumée.
Quant à Nothomb, elle est assommante.
Dans la lecture du lièvre de Patagonie, de Claude Lanzmann : grave lecture !
Jacques, il est tant que ça sorte, car j’ai des commandes en attente, et je ne sais plus quoi répondre à mes "clients" !
Ce n’est pas le tout de buzzer !!!!
😉
Cher Jacques,
Ou alors disparaître!
Pascal, ton sens de l’humour n’égale que ta passion pour l’hédonisme gastronomique.
Je te salue !
(passe me voir aux Bastions, si ça te dit, tantôt…)
😉
Jules Chauvet n’était propriétaire qu’en beaujolais village, sur une vigne de la Chapelle de Guinchay qu’il vinifiait pour être bue jeune. En revanche il conseillait la firme Trenel qui produisait une remarquable petite gamme de crus dont un Fleurie mémorable, effectivement plus proche du style Brun que de celui des producteurs qui se proclament ses "disciples". Ravi de voir que ce Grillet une fois et demi décennaire, vinifié par Dubourdieu, avec la même rigueur scientifique que celle de Chauvet et non pas avec la paresse de quelques obsédés du "sans filet", plaise à ce merveilleux client octogénaire.
Pour info, Michel : on goûte ce midi le viognier de Dubost. Et ma fois, je suis surpris… en bien !
Moins de coffre que nombre de Condrieu, mais je le bois avec plus de plaisir : plus fin, plus d’équilibre, plus de sapidité. Granitique quoi (j’ai pas dit minéral).
Je vais faire goûter à Jacques…
Arf, encore un "infâme" bio !
🙂
Nicolas,
Viognier US ?
Connais-tui= celui de Bonny Doon ?
Granitique come à Grillet ?
Beaujolais !
Etes-vous certain que Dubourdieu vinifait Grillet en 94 ?
Nicolas pour moi ce week-end ce sera Bourgueil chez Caslot et une pointe à Varrains.
Salue la Touraine pour moi !
J’ai en ma possession une bouteille de Beaujolais de chez Chauvet Frères de la Chapelle de Guinchay de 1949. Qu’en pensez-vous ?