Soirée passionnante avec Jean-Michel Deiss, le visionnaire, chantre des grands terroirs alsaciens. Après un brillant prolégomène, le voyage s’est poursuivi avec une dégustation qui restera dans les annales de l’Ecole du Vin. Une vidéo de la conférence de Jean-Michel Deiss sera prochainement publiée sur ce blog.
Alsace 2012 : c’est le départ de gamme du domaine. Une réussite avec sa bouche unie, souple et gourmande, sur des notes de fruits du verger. « C’est complanté, précise JMD, récolté ensemble et pressé ensemble. Chaque pied de vigne a quatre voisins qui ne sont pas lui. Les cépages sont différents. Les porte-greffes aussi. Nous essayons de refaire de la greffe en fente anglaise.Toute la viticulture consiste à créer de la dynamique, un rythme.»
Burlenberg 2009 : « On est sur la dalle calcaire jurassique (calcaire à entroque) inclinée vers l’est. Dans ses cassures, des épanchements de lave se sont produits, qui ont « cuit » le calcaire (d’où le nom de « colline brûlée ») et donnent au Burlenberg son caractère un peu empyreumatique. La vigne a été plantée en 1947 et comprend du pinot noir et du beurot. C’est un vin clivant. On aime ou on n’aime pas. Ou plutôt, précise encore notre invité, c’est lui qui décide avec qui il veut s’envoler ! »
Le nez est sombre, comme son terroir d’origine, et met du temps à se révéler. « La vigne vigoureuse, ça donne le primat du nez sur la bouche » ajoute Jean-Michel. L’aromatique est très intéressante avec des notes florales d’une grande beauté. La structure est élégante, avec de la pulpe et de l’énergie. Cette année-là, Mathieu Deiss a commencé à vinifier le Burlenberg, y amenant sa sensibilité et un mode d’extraction différent.
Langenberg 2012 : beaucoup de finesse sur vin à la robe pâle. Le vin se distingue par sa fraîcheur, son filigrane minéral, sa précision et sa finale empreinte de salinité. « On a peu d’acidité mais une présence saline importante. Ce vin provient d’un terroir granitique très dégradé sur St-Hippolyte. La seule limite de ce terroir, c’est l’eau. »
Engelgarten 2011 : caractérisé par des notes fruitées presque confites, de poire et de fruits du verger, il se distingue par sa suavité, la caresse de sa texture. C’est un vin charnu, solaire, immédiat, issu d’un terroir de graves. « Le jardin est un endroit chaud, c’est le lieu où les jeunes faisaient des anges ! »
Rotenberg 2010 : « On change de monde, on est dans le calcaire, à 150 m d’altitude. C’est un promontoire solaire aux sols rouge sang qui renvoient énormément d’énergie, qu’il faut vendanger assez tôt. » Effectivement, ce Rotenberg se présente sous des atours un peu délurés. C’est un vin caressant, festif, terriblement sensuel, d’une forme très accomplie. Et puisqu’on ne peut s’empêcher d’évoquer les cépages, disons qu’ici le riesling et le pinot gris fusionnent en un chiasme magnifique.
Schoffweg 2011 : nez très fin, très cristallin, épuré. Très jolie trame avec un amer fin et une impression de tannicité. Un peu cérébral dans sa première partie, il s’évase et révèle une forme sphérique, ainsi qu’une texture assez grasse conférée par le calcaire aalénien.
Grasberg 2010 : belle robe dorée. Beaucoup de complétude sur ce vin. Sa richesse se cache derrière une forme d’austérité superficielle et son envolée finale ne manque pas d’allure avec des notes d’acacia, de mandarine, d’orange sanguine. « On retrouve le calcaire jurassique, comme dans le Rotenberg, mais exposé nord, avec des arbres tordus par le vent », précise JMD.
Burg 2010 : superbes notes de coriandre, d’épices douces, avec au palais de grands amers et des notes d’écorce d’orange. « On se trouve sur les marnes du Keuper, des argiles froides formées au fond des mers. On passe à quelque chose de glaciaire qui est stratégiquement un vin de garde. On trouve ici tous les cépages, car le terroir les efface. »
Gruenspiel 2008 : il tire son nom du damier géologique où se reflète la diversité du sol superficiel (gréseux, granitique et gneissique) posé sur une matrice de marnes du Keuper. « C’est un terroir difficile à travailler. Un sol qui se ferme, en entropie. « Nez incroyable, sur la réduction, de profondeur, avec des notes violentes, minérales et balsamiques. Enigmatique de prime abord, il livre un corps élancé, tonique, taillé pour la garde. Merveilleux !
Huebuhl 2008 : robe à reflets orangés. Nez très ouvert, sur la pâte de coing, les fruits confits. La touche de botrytis est prégnante. Beaucoup de vitalité aromatique sur un corps contrasté, solaire et frais. « On se trouve ici sur des argiles lacustres. Cette complantation de pinot et de muscat donne sur ce terroir un vin généreux, fastueux, qui affronte le froid ».
Mambourg 2011 : on passe à l’étage Grand Cru avec le Mambourg qui domine Sigolsheim. « c’est du calcaire usé, du calcaire oligocène du quaternaire qui donne une dimension sphérique que l’on ne trouvait dans aucun des vins précédents. C’est le terroir qui reçoit le plus d’énergie en Alsace en terme de lumière. La vigne est plantée à 12’700 pieds/ha avec un peu tous les pinots disponibles sur cette planète. » Superbe vin, légèrement miellé, doté d’une grande texture, avec une finale époustouflante, légèrement tanique, d’une grande énergie.
Altenberg de Bergheim 2008 : « Situé au cœur du champ de failles géologiques de Ribauvillé (calcaires durs du Jurassique et marnes du Lias), l’Altenberg est un terroir qui botrytise tous les ans et qui impose son empreinte aux différents cépages (les 7 cépages alsaciens sont complantés ici). Le résultat, c’est un vin avec un extrait sec pas possible et une acidité terrifiante. Tu lis le bulletin d’analyse et tu te demandes comment tu vas l’avaler ! Il y a cette idée de la fête, un peu orientale, un peu orgiaque, tu ne sens pas la prégnance du sucre. C’est un vin très salivant et très digeste, avec beaucoup de lumière. C’est un vin d’amitié et de grande discussion philosophique. Quelque chose qui a à voir avec le bonheur ! » On ne saurait mieux dire.
Altenberg de Bergheim 2001 : si la couleur est normalement évoluée pour un vin de cet âge, le nez est encore d’une insolente jeunesse. Le corps est à l’unisson, dense, harmonieux avec une forme de grâce. Un vin qui nous enchante.
Schœnenbourg 2010 : on termine avec le fleuron de Riquewihr qui se distingue par sa topographie, fond de vallée, exposition sud et forte pente, ainsi que sa géologie de marnes irisées et gypseuses du Keuper. Et Jean-Michel Deiss d’évoquer au passage l’extraordinaire scène où le propriétaire précédent, Marcel Preiss a, sur son lit de mort, désigné le jeune Jean-Michel Deiss comme son successeur. Le nez est d’une grande noblesse d’expression avec des notes de cédrat et d’agrumes confits et une bouche élancée, ciselée, avec de superbes amers. C’est un vin à la fois aérien et tellurique.
Schœnenbourg SGN 1994 : la soirée se termine en forme d’apothéose avec cette superbe Sélection de Grains Nobles et des applaudissements nourris adressés à Jean-Michel Deiss par un auditoire sous le charme de ce vigneron singulier, rebelle, inféodé à son terroir comme Arturo Benedetti Michelangeli à ses interprétations de Ravel ou de Rachmaninov. On fait silence. On se recueille. On s’envole. Pas besoin de wingsuit. Le frisson pur.
Quelques perles de Jean-Michel Deiss
Cave : ici, on vit d’incertitude et d’espoir. On freine au maximum le fermentaire pour ramener de la complexité : d’après Platon, la complexité, c’est la civilisation.
Cépage : c’est une pulsion raciste. On reconnaît le même. Celui qui dit : votre vin ne ressemble pas à du riesling, c’est comme un raciste qui dirait : c’est un arabe ou un juif !
Foudre alsacien : il présente une caractéristique extraordinaire. Quand il est plein, la lie ne tombe pas au fond. Avec des foudres de 100 ans et des épaisseurs de 7-10 cm, l’oxygène ne pénètre pas et la lie ne descend jamais. L’ancienne Alsace, celle dont a oublié la mémoire, c’était des élevages de 30 à 40 ans sous la responsabilité des gourmets. La cave des Hospices de Strasbourg recèle d’ailleurs le plus vieux vin du monde. Il date de 1472 !
Terroir : vous ne pouvez pas avoir le terroir et le cépage en même temps. Chaque fois que je peux nommer le cépage, je perds une partie du lieu. Quand le dégustateur reconnaît le cépage, il ne s’intéresse plus au lieu.
Vinificateur : il y a en Alsace de très forts vinificateurs. Ils réussissent à faire bon avec des rendements pléthoriques. Vous mettez de la levure B29 (capable de fermenter même le béton) et le tour est joué !
Zoulouland : si on continue sur ce chemin, l’Alsace va devenir une sorte de Zoulouland orienté autour des 5 C : Cépage, Colombage, Cigogne, Clocher et Choucroute. Je milite en faveur du bannissement de la choucroute Canigou et du verre à pied vert « alsacien » !
2 Comments
Chaques dégustations apportent son lot de découverte , notre attention d’amateur se porte généralement sur le vin « évidemment »,et lors de notre retour sur Genève sur la ligne noir de l’autoroute (on the road again), suite à cette dégustation des vins d’alsace , mon ami Michel et moi même , confrontons toujours nos commentaires qui convergent , mais parfois divergent diplomatiquement !!!!. Au sortir de la dégustation des vins de Jean-Michel DEISS, soudain plus ou peu de commentaires , sinon un silence de recueillement !!! et une convergence de pensées au frontière d’une méditation transcendantale …. pourquoi? comment?
Ce fameux soir, naïvement assis face à notre joyeux vigneron alsacien , les explications ont démarré en trombe , et rassuré comme d’habitude par des explications générales mais néanmoins importantes , je me réjouissais impatiemment de passer aux doux breuvages proposés par la dégustation ! mais non , je fus pris par un tourbillon d’information ( 40min), délicieusement distillé par un diable d’orateur alsacien , et je fus aspiré comme dans un roman que l’on ne peut plus lâcher des mains !!! Ce bonhomme avait la grâce ! , je n’ai pas eu le temps d’avoir des accès d’impatience, alors on a passé du vin clivant (1er et seul rouge de la soirée) , ce vin n’était pas facile d’accès !!!, puis les vins blanc , et à cet instant , je suis devenu ébloui par ces vins de délices, de délires , de joies , des vins que l’on a envie de boire , partager , avec nos proches et les plus belles et profondes rencontres humaines de nos vies.
Je remercie toute l’équipe de CAVE de m’avoir fait rencontrer un homme de cette trempe et ses vins sublimes !!!!
Fabien
La balade dans les rizieres etait sympa mais le guide appelé ” Cuong” était
assez distant avec nous.