On pénètre par un portail presque modeste dans la cour d'honneur, un espace rectangulaire au centre duquel un puits a, depuis toujours, donné rendez-vous à la vérité. C'est dans cette proximité d'ailleurs que Pierre Lurton, le directeur, tout à l'heure, exauçant avec un plaisir non dissimulé la requête de quelques journalistes, souhaitera se faire photographier. Pour le moment, l'endroit est presque désert, hormis la présence silencieuse, recueillie, massive, d'un dégustateur hanséatique, yeux clos, sorte de Silène, plongé à l'instant dans une profonde méditation. Discrètement, je m'approche de lui, scrutant un signe de vie sur son visage marmoréen… Décrire ce regard, le sien, au moment où il entrouvre enfin ses paupières : extatique, comme le reflet d'un monde dominé par la grâce. Il vient, me dit-il, d'accéder à son Graal intérieur en goûtant l'Yquem 2006 ! A mon tour, peut-être, d'y toucher. Le salon de réception ressemble à une ruche : d'improbables et dissipées abeilles viennent s'aboucher au nectar qui ne leur doit rien.
Pierre Lurton et toute l'équipe d'Yquem sont visiblement très heureux de cette immense réussite qu'il explique à travers la métaphore du temps-joueur :
“On avait un splendide jeu de cartes dans les mains, avec tous les atouts ; et puis, ce mois d'août un peu frais est arrivé, il a distribué les cartes dans la nature. Tout s'est envolé… Et c'est là qu'opère la magie d'un terroir : la très belle stratégie d'une équipe en symbiose parfaite avec celui-ci, a pu reconstituer une grande partie du jeu, pour vous donner un jeu de cartes qui est tout à fait merveilleux, et un vin d'une grande pureté, d'un grand éclat…”
Faire le vide un instant, s'abstraire de ce bourdonnement, se laisser envahir par cette joie (dilatio cordis) que je cherche désormais sur ces chemins buissonniers, entre ces pieds de vignes, dans des travées silencieuses où s'étage la patience du vin nouveau. Je déguste l'Yquem 2006 et, soudain, cette évidence: ce vin, d'une transparence et d'une pureté émouvantes, est magique ; il est fait de lumière : celle-ci jaillit en son cœur même. Y goûter, c'est s'incorporer comme une parcelle d'éternité. Je pense à de très vieux Yquem que j'ai eu le privilège de déguster. Le temps s'est comme arrêté. Vite, formuler un vœu. Dans un siècle et plus – que sera le monde à ce moment-là ? – il en ira certainement de même pour ce 2006.
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