Ceux-ci s'attachent à produire, dans le respect de la grande tradition des "grains nobles", des vins liquoreux, issus de vendanges flétries ou rôties et provenant de cépages traditionnels en Valais : arvine, marsanne, sylvaner, pinot gris, païen et amigne. Les autres règles que s’est imposée la Charte sont les suivantes :
• élevage durant un minimum de douze mois de barriques ou de foudres
• choix des meilleures zones, vignes de plus de 15 ans, moûts suffisamment sucrés (au moins 130 oechslé) et non enrichis • lors de la mise en marché d'un nouveau millésime, une dégustation interne disqualifie les vins au potentiel jugé insuffisant.
Les grands liquoreux sont les enfants du hasard, de la chance et de l’opiniâtreté (de la folie aussi parfois…) des hommes. Parmi le hasard et la chance, le climat compte évidemment pour beaucoup : le soleil, le vent, l’humidité, la fraîcheur nocturne, la rosée du matin, au fil des jors et des nuits une lente alchimie s’opère, une dessiccation ; l’eau s’évapore, la baie seconcentre :c’est le passerillage sur souche. Lorsque les conditions sont favorables et lorsque, en amont, la viticulture a été pensée pour induire le botrytis cinerea, ce dernier peut entrer en jeu et, s’attaquant à la pellicule du raisin, provoquer une mystérieuse transformation, favoriser l’apparition du fameux «rôti » et donner naissance à un oxymore célèbre : la pourriture noble. Car ce magicien de haut vol mène une double vie, c’est en effet le même qui donne naissance à la pourriture grise tant redoutée…
Les Grecs déjà, à travers le substantif saprias et l’adjectif sapros, avaient pointé du doigt l’ambivalence fondamentale inscrite au cœur de cette métamorphose. L’adjectif sapros désignait aussi bien le processus de décomposition, la part d’ombre que, lorsqu’il était question d’un vin, son caractère céleste, éthéré, envoûtant. Dans l'ambitieux Banquet des Sophistes (Deipnosophiste) – encyclopédie colossale du goût et des plaisirs qui ne nous est malheureusement pas parvenue dans son intégralité – Athénée de Naucratis prête à Dionysos l’éloge du vin saprien à l’odeur de violette, de rose et de jacinthe, véritable miel des dieux.
De cette ambivalence le liquoreux continue souvent d’être redevable. A la main humaine d’opérer alors le tri drastique qui ne gardera que les grains noblement botrytisés et d’éliminer toute autre forme de pourriture – pourri sec, pourri gris – qui pourrait venir entacher la pourriture noble.
Autant de nuances, de subtilités, d’exigences dans le tri, qui, au final, détermineront des types de liquoreux ainsi que des approches différentes dans la manière de les goûter… Sans parler de la distance qui sépare un vin passerillé d’un vin botrytisé.
L'expérience m’a montré que c’est dans la dégustation des vins liquoreux que l’on peut observer les décalages les plus importants d’un dégustateur à l’autre. Je me souviens d’engueulades homériques entre experts de très haut niveau, l’un reprochant à l’autre de n’avoir rien compris à l’essence d’un grand liquoreux. Même si, malgré eux, ils sont souvent associés dans la nature, le passerillage et le botrytis correspondent à des profils de dégustateurs très différents. Le premier exacerbe la saveur en la concentrant, renforce le caractère variétal, détermine une hypothétique pureté du cépage ; le second complexifie le goût, l’emmène vers des territoires inconnus, mystérieux, parfois dangereux."Il ne faut pas exagérer l'arôme du botrytis : si c'était si grand, on le vendrait sur les marchés à la place de la truffe. Il faut utiliser le botrytis pour macérer le fruit" (Denis Dubourdieu). Alors, trop de botrytis tue-t-il le botrytis ? Voici en tout cas le miracle d’un grand liquoreux : il flirte avec ces frontières-là, sans jamais les franchir. A contrario, un vin passerillé est plus unanimiste, consensuel, évident.
Parmi les vins dits de «dessert », la vogue du passerillage est d'ailleurs telle aujourd’hui que de nombreux vignerons, qui ne bénéficient pas a priori des conditions climatiques pour produire un grand liquoreux, ont cédé au chant des sirènes et produisent, parfois avec un certain bonheur, des passerillés en chambre, sur le modèle des vins de paille.
Il faudrait parler aussi de ce qu’est l’équilibre d’un grand liquoreux, de ce jeu entre l’alcool acquis, les sucres résiduels et l’acidité, de l’élégance et de la lourdeur, de cette course au sucre-bête, à la densité mustimétrique qui a caractérisé nombre de liquoreux ces dernières années, favorisée hélas par les prescripteurs qui, bien souvent, attribuent leurs notes en fonction du nombre de grammes de sucre résiduel !
La dégustation à laquelle la charte Grain Noble confidenCiel nous a conviés, sous l’égide de Stéphane Gay, avait pour mission, non d’établir un classement des meilleurs vins liquoreux mais de désigner les liquoreux qui durant les mois à venir seront en quelque sorte les ambassadeurs de la dite Charte lors des manifestations officielles. Ci-dessous, vous trouverez les vins que j’ai personnellement préférés lors de cette passionnante dégustation qui s’est déroulée à l’aveugle :
Remarquable réussite pour Fabienne Cottagnoud (deuxième depuis la gauche) avec ses Grains Nobles en 2005 !
– Ermitage 2005, Nicolas Bagnoud
Belle robe dorée. Le nez est certes marqué par une volatile un peu haute mais la complexité aromatique est présente. Notes de thé, de figue, de frangipane. Très belle bouche, ascendante, avec beaucoup d’extrait sec et une belle longueur. C’est un vin de caractère, à la forte personnalité et qui divise un peu.
Le nez est cristallin, ouvert, notes d’agrumes, eau de vie de framboise. Belle attaque, grasse, ample, très marsanne. Quelques nuances camphrées et un boisé un peu flagorneur mais je retiens une finale de grand style, explosive qui laisse augurer d’un grand potentiel de vieillissement. Il finit sur de nobles amers, des notes de quinquina. A nouveau un vin qui divise…
– Grains de Malice 2004, Marsanne et Pinot Gris, Provins
Nez très intéressant, hespéridé, agrumes, thé, tabac. Attaque incisive, tranchant. Ligne élancée, ciselée, dans un équilibre différent. Un vin à part mais que je note assez haut pour sa pureté d’expression et son côté « eau de roche ». Encore un vin qui divise…
– Lacrima 1999, Cave l’Angelus (malvoisie, ermitage, johannisberg)
Il porte un beau nom, prédestiné et s’en sort très bien. Nez complexe, cannelle, épices, frangipane, beau rôti. La bouche est grasse, onctueuse, d’un volume ample avec une liqueur important. Notes de kumquats et fins amers sur la finale, très longue. Une belle réussite.
– Amigne 2005, Cave des Tilleuls, Fabienne Cottagnoud
Echantillon prélevé au fût (vin encore en cours d’élevage). Notes de safran, de mandarine confite, de gentiane. Magnifique bouche, ample, déployée, d’une grande noblesse d’expression. Beaucoup de race dans la texture. Grande finale, sur la datte, les herbes sèches, les agrumes.
– Malvoisie 2005 Cave des Tilleuls, Fabienne Cottagnoud
Echantillon prélevé au fût (vin encore en cours d’élevage). Le nez est plus précis que sur le précédent. Très belle fusion du bois. Noble rôti. Entrée en bouche magistrale, ample, précise. Très belle acidité, tranchante, notes de fruits confits, abricots secs, poire confite. Finale superbe. Grand vin !
– Grain Noble 1, 2005, Cave La Liaudisaz, Marie-Thérèse Chappaz
PS1 Je constate que, parmi les 7 vins que j'ai préférés, 5 sont produits par des femmes, Madeleine Gay, Fabienne Cottagnoud et Marie-Thérèse Chappaz ! Les femmes jouiraient-elles, en Valais, d'une aptitude particulière à produire de grands liquoreux ?
PS2 J'ajouterai volontiers, dans cette revue des meilleurs liquoreux, l'Ambre 2002 du "sorcier" Christophe Abbet, même si ce dernier ne fait pas partie de l'Association Grain Noble ConfidenCiel.
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