De cette mère aimée "J’étais désagréable avec elle, ingrat, méchant. Je me disais : j’aime ma mère", jamais reconnue par le fils aimant, trahie par le père, idéalisée par le poids de l’absence et le jeu de l’écriture, l’auteur dresse un portrait en forme de fresque, un universel qui contiendrait toutes les mères.
On pense à Proust, bien sûr, dont l’œuvre tout entière jaillit des cendres de la mère disparue, aimée, vilipendée, trahie.
La femme dans l'imaginaire de Chessex
Il n’est guère nécessaire de solliciter les textes de Chessex ; ceux-ci sont limpides, de ce point de vue-là, illustrent à de nombreuses occurrences cette thématique, cette ambivalence, la mettant en scène même :
Les autres femmes sont d'une manière récurrente identifiées par l’auteur comme des leurres dont elles ont l’odeur, des simulacres, leur corps, des cavités de l’être que l’on explore, où s'oublient le corps et la présence de la mère.
Avec le plaisir, l’écriture relève également de la part d’ombre qui, dans un premier temps, tient à distance la mère, l’éloigne, ne la reconnaît pas et, ultimement, tentera de la sauver. Ecrire devient alors dans cette perspective tisser un tombeau de mots autour du corps disparu de la mère, renouer le dialogue interrompu avec celle qui lui a fait don de la langue, quêter l’inspiration à travers laquelle le souffle de la mère et celui du fils chanteront une fois encore à l’unisson :
Qui parle ?
A ce moment-là la magie opère vraiment : sur la voie de l’écriture comme rédemption, quelques pages de Chessex confinent au sublime :
Tout devient plus léger, plus spirituel, moins grave. Le dialogue avec la disparue est renoué, le lien, même ténu, subsiste. Comme si la mère acceptait désormais la musicalité qui, de son vivant, l’excédait tellement, la submergeait, elle déjà privée de vision… Cette musicalité qui aussi celle de la langue. Celle de la voix de la mère qui, par-delà l’absence, l’abîme, parle enfin à travers la voix du fils pardonné.
"Mère dis-moi qui parle dans l’automne si loin, si près de ta vie, dans l’étincellement de la lumière aux arbres maintenant et avant.
Demeure d’air, de terre souple au songe, dernier lieu de l’effacement, du souffle qui s’éteint, des restes qui cessent d’exister. Qu’est-ce que j’attends ? Qu’est-ce que je regarde ? Un moutonnement de tiges, de corolles, d’écorces éparses et serrées, dures ou flexibles, sous quoi viennent le pépiement des morts, les non-dits, les appels des morts. Ou leur indifférence heureuse. Et toi mère, dans toutes ces voix, je veux entendre la tienne seule, visiteur arrêté au bord du rien, dans l’absence tout à coup éblouissante de limites et de regrets."
PS. Il y a quatre ans, Jacques Chessex a publié un bref récit, L’économie du ciel, à travers lequel il évoque le père disparu, le poids du silence, la violence de la mort. Nécessaire et bouleversant contrepoint à la lecture de Pardon mère.
Comment
On a appris la triste nouvelle : Jacques Chessex nous a quittés hier en début de soirée. A la fin d’une conférence, dans une bibliothèque, au moment où il évoquait l’affaire Polanski. C’est un grand de la littérature qui nous quitte. J’aime ses visions, ses excès, son style précis, ciselé, taillé au burin, ses appétits de vie comme ses obsessions de la mort, son versant sombre et lumineux, baroque. Je me souviens du choc ressenti à la lecture de Carabas, paru en 1971, que je vais relire. Chessex aimait l’amour, le vin, les mots, la folie, les oiseaux, la lumière dans les arbres. Il était hanté et savait restituer ce qui à travers la hantise nous rend proche de l’autre.
« Graine, aguet. La chance d’une vie et l’effroi dans la fibre qui se sait mortelle.
Le vin, la lampe, la table, la main tenant le couteau et le verre. Toute la force, en somme. Pourtant la menace ne cesse pas dans le tableau comme la foreuse ouvre son chemin de mort. Et je pense aussitôt à ces arbres aujourd’hui s’abattant sous la hache dans l’horrible bruit des branches brisées et déchirées en pleine lumière. » (Bréviaire)
Voir
carnetsdejlk.hautetfort.c…
et
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