Chaque fois que j'y viens, j’éprouve cette sensation, forte, d’une forme d’ajustement parfait de l’espace et du temps. Voyager dans l’espace du Priorat, c’est entrer dans une autre durée. Voilà le luxe, la vraie chance : cette terre vous emporte ailleurs. Où ? Vers le cœur intime des choses. Un signe, un tracé, une présence. Votre étoile ?
"Mais…et cette grande idée ? J’avais si bien commencé tout à l’heure à la voir. C’était vraiment une étoile, une étoile vers laquelle vous alliez. Vous ne pouviez manquer d’arriver à cette étoile. A vous entendre parler, je sentais que rien ne vous en empêcherait : rien, pas même moi… Vous ne pourrez jamais voir cette étoile comme je la voyais. Vous ne comprenez pas : elle est comme le cœur d’une fleur sans cœur. "
André Breton, Nadja
Au Café Antic, Porrera
A la place de Catalogne à Porrera, l’odeur du ferment est diffuse, enivrante. Le 25 novembre, les Catalans voteront pour leur indépendance. En attendant de répondre à cette cruciale question : si l'autodétermination est prononcée, dans quel championnat le Barça jouera-t-il ? on refait le monde, au fameux Café Antic, entre le billard, l’écran plasma et le Baby foot. Tout le monde se connaît. Chacun y a sa place.
Mêlée à l’odeur du vin nouveau, une autre odeur, entêtante, celle de la fumée de Mariage, le nom qu’on donne ici au Cannabis sativa. Porrera est connue non seulement pour ses grands vins, mais pour son herbe à tisane, célèbre dans l’Europe entière depuis qu’elle a remporté le premier prix dans un Concours international de chanvre.
Cellar Vall Llach, table de tri
Dans la cave de Vall LLach, nous goûtons les premiers jus, épais, chargés de sucs, riches en extraits secs. Salustia Alvarez, le directeur de Vall Llach, est fatigué mais heureux. Pour la deuxième année consécutive, l’été a été très sec et la récolte est petite. Les raisins sont concentrés, très aromatiques. On voudrait danser toute la nuit au-dessus des cuves.
Mr Fresquito and Docteur Torres
Qu’en pense l’ancien DJ du Mad lausannois, le vibrionnant Fredi Fresquito Torres ? Pourquoi pas, dit-il. En attendant de prendre le petit déjeuner avec le fantôme d’Audrey Hepburn. Comme dans Breakfirst at Tiffany’s dont le poster trône à l’entrée de sa cave ! Excellente mise en condition. Enfin peu de finesse dans un monde de blockbusters !
Dans une telle perspective, le Terram 2009 place déjà très haut la barre. Les sélections parcellaires de vieilles vignes de carignan sont anecdotiques ? Alors, parlons-en ! Le Planassos 2009, profond et stylé. Le solaire Planassos 2008 et le Canyarets 2009 (nom provisoire d'une cuvée qui sortira sous le nom de village Villeya Baixa) issu d’une vigne de 85 ans, d’un éclat et d’une profondeur rares, un vin d’alchimiste, fuselé, tonique, lumineux, l’expression pure de ce terroir de Gratallops. Trois jours de tri grain à grain à quinze personnes pour récolter 500 kg de raisins. Du même terroir, le 2008 est aussi spectaculaire mais – merci Cadus et ses notes de Billeys ! – Mr Fresquito le trouve un peu overline.
Plus tard, jetés dans la gueule du loup (Boca del Llop), au centre de Gratallops, après avoir savouré l’ennui sophistiqué d'un vin produit par l’une des stars locales, cette vivacité, cette accélération du plaisir que de tremper les lèvres dans un verre de Planassos 2007 en picorant quelques tapas astucieuses.
Il faut retenir ce nom : Celler Sao del Coster. La ténacité, le brin de folie, la sensibilité de Fredi Torres, ont trouvé refuge sous cette bannière. Fredi travaille ses vignes en biodynamie, laboure à la mule, des vraies, des tenaces – 63 chromosomes – sur des pentes abruptes, rêve perpétuellement de grands vins, placide et inquiet. Il sait ce qu'il veut. Il ira loin.
Aquesta terra adusta,
mirada bruna i llavis plens,
la sento en el meu ventre
com si dins meu hi fes arrels,
tornàveu del solituds,
pas a pas la reconec
i en l’amor la sento altiva i tendra.
mirada bruna i llavis plens,
la sento en el meu ventre
com si dins meu hi fes arrels,
tornàveu del solituds,
pas a pas la reconec
i en l’amor la sento altiva i tendra.
Lluis Llach, Porrera
Retour à Porrera. Lluis Llach nous attend pour un périple parmi les vignes. On quitte la route goudronnée pour emprunter une piste défoncée, celle que parcourait Carmen Bargallò. Plus de trois heures à pied tous les jours, pour aller soigner ses vignes, au Mas de la Rosa.
Près de Porrera
Elle est venue un matin, Carmen, trouver Lluis, pour qu’il l’accompagne là-haut, vers ses vignes. Carmen, il est où ton mas, c’est celui-ci qu’on aperçoit là-bas ? – Plus haut, plus loin, Lluis, on ne le voit pas d’ici, attends un peu !
Chaque pierre est un songe. La vie de Carmen défile. L’âme est sur le chemin. Le vent, le soleil, la pluie, rare, imprévisible, la faim, la soif, le désir. Et la beauté lancinante de tout. Cette beauté, quel nom lui donner, Carmen ? Quand tu étais fatiguée, au soir, après une journée à t'échiner, courbée vers la terre, quand, en toi, la brûlure demandait grâce, dis, quelles étaient tes pensées ? – Je pensais au lendemain, Lluis. Au simple recommencement du lendemain. Et à redescendre. A quitter ce paradis implacable. Il le fallait. Comme l’arpenteur des cimes qui, passé telle altitude, sait que l’air est trop rare, que l’homme n’est pas fait pour vivre toujours ici, que l’humilité, c’est de savoir redescendre.
Vigne du Mas de la Rosa
Je me laissais glisser parfois de fatigue, dans la pente, entre deux rangs de vignes, parmi les cailloux. Nous sommes comme ça. Le paysage, la pauvreté du monde, la lumière nous ont façonnés : ils nous ont offert ces gestes, ceux de la patience infinie de la terre ; ils sont devenus nôtres. Regarde, Lluis, regarde, le mas de la Rosa, là, devant nous, enfin ! Voici la vieille vigne de carignan. Mon grand-père l’a plantée. Un jour un grand vin naîtra ici.
3 Comments
Passé de beaux moments avec Fredi à la Boca del Llop et aussi au restaurant l’Aspic à Falset, qui possède une certe des vins ébouriffante …
Et dans son chai !
Une star locale … qui cela peut-il bien être ?
🙂
Mr Fresquito and Docteur Torrès, aka Carignator !
Magnifique souvenir que mon passage à Gratallops où j’ai pu rencontrer Fredi,
si accueillant et si généreux.
Quel plaisir que d’escalader en 4×4 ses vignes escarpées…. les terram et autre planassos sont éblouissants de profondeur, de netteté de fruit mais présentant aussi une belle fraîcheur!
comme vous le dites bien dans votre article il y a en ces lieux du priorat, un ambiance toute particulière de "bout du monde" qui procure un charme indéniable et qui invite à y revenir…
amitiés
Bertrand