Depuis une dizaine de jours, je suis aux prises avec cette rude tâche : vider ma cave et la réaménager selon des critères davantage orientés vers la rationalité. Rassurez-vous : je bénéficie d’aides solides et précieuses dans cette épreuve mais le classement final m’incombe. Quel ordre adopter ? Par régions et par pays de provenance ? Sans doute le plus évident ! Par producteur ? Classement qui déroge à l’ordre instauré par la premier mais qui peut s’avérer astucieux quand le producteur a adopté un style de bouteille particulier… Par millésimes ou, du moins, par décennies ? Idée intéressante car elle propose un modèle de gestion très précis. Mais, d’abord, quel système de rangement adopter ? Depuis une quinzaine d’années – cordonnier est le plus mal chaussé – j’avais accumulé, je l’avoue, les éléments les plus hétéroclites pour stocker mon vin… Caisses, casiers, cageots à pommes, empilements divers. A tel point qu’il devenait franchement périlleux de se frayer un chemin jusque dans les recoins. Parfois, même, un effondrement se produisait. Une pile s’écroulait, disparaissait, happée dans un étrange trou noir…
D’où cette remise en question fondamentale.
J’ai opté pour un double système de rangement et je vous dirai, à l’usage, ce que j’en pense. D’une part, des casiers de rangements très classiques, en tuffeau, avec sur chaque clayette un rang de sable (de la lave en fait) dans lequel le premier rang de bouteilles trouve sa stabilité naturelle, comme un écrin… D’autre part, un système de rack très contemporain, assez design, avec des tiroirs très pratiques, pour les bouteilles, les magnums et les caisses de Bordeaux.
En attendant, je répertorie, je manutentionne, je m’escrime, je déplace, je soulève, et je vais de découverte en découverte. Toutes ces bouteilles sont comme des rêves en attente. Des promesses. Parfois, je tombe sur un lot dont j’avais oublié l’existence. « De derrière quelque chose… » comme le dit le cliché. L’attente a peut-être ici dépassé son terme. Y a-t-il prescription ? Je veux en avoir le cœur net et je joue du tire-bouchons. Je mande des cobayes. Au fond, je sais que le résultat m’est indifférent. C’est un oubli et le vin, quel qu’il soit, me ramène vers d’autres âges, me rend à nouveau contemporain d’événements que je croyais disparus.
J’ouvre La dernière Cueillette 1993 de Paul-Louis Eugène, un vin de table languedocien, oui, mais pour la bonne table ! comme aimait à le souligner son producteur. Le vin est un peu chenu, marqué par des notes de tabac, il a perdu de son charme juvénile et laisse apparaître une structure sèche, un brin psycho-rigide, mais qu’importe ! Ce vin continue de me raconter une belle histoire, celle de Paul Durand, vigneron rebelle qui vous sortait des phrases qui poussaient par le milieu, comme celles de Péguy ; il avait quitté avec fracas la cave coopérative parce que, disait-il, il ne se voyait pas « finir sa vie à arpenter le village de Siran, juché sur son tracteur, avec un gyrophare au-dessus de la tête… » Il était un peu transparent, un peu matois, Paul Durand… Et gourmand comme un pape en Avignon ! Si l'on s'était annoncé au préalable, il vous mitonnait à la perfection une tajine dans le four à pain. Toute une nuit ! Irène, la compagne de Paul, avait des yeux comme des lacs de montagnes en été dans lesquels on aurait jeté des braises… Quand on arrivait chez eux, en plein mois d’hiver, on commençait par déguster les vins dans le chais au sol constellé des signes cabalistiques. Quelques rats s’enfuyaient mollement à notre arrivée, couinaient dans la lumière vacillante… Paul leur souriait comme à des amis qu'on dérange. Il aimait à faire croire qu'il était un peu sorcier…
Je goûte ensuite un Blanc de Noir 1982 de Maurice Zufferey ; j'avais choisi cette cuvée pour le quarantième anniversaire d’un ami. Le vin a vraiment le chapeau sur l’oreille mais l'ami a toujours quarante ans dans mon souvenir…
Tiens, une belle surprise, la cuvée fût de chêne 1996 du Mas Bruguière ! Truffé, un brin rustique certes, mais avec encore de la faconde et de la vigueur, loin d’être en bout de course. Je revois Gulhem Bruguière, une des pionniers du Pic St-Loup, dans sa cave au pied de la montagne de l’Hortus. C’est un rude jour de février, le vent a soufflé toute la nuit. J’arrive des hauteurs, des causses. Nous dégustons les vins. Presque en silence. Il y a quelques mois, j’ai goûté son vin à la table de François Mitjaville au Tertre Rotebœuf.
M. Bruguière a un beau visage buriné, barré de deux entailles verticale, le regard doux et déterminé de celui qui compose avec les éléments. D’un abord très réservé, il fait des vins à son image. Ils se livrent avec le temps !
version tuffeau et sable de lave
8 Comments
Ah : l’éternel problème de ranger sa cave !
D’abord, on se la joue "franchise" : on connait à peu de choses près toutes les bouteilles importantes. Jusqu’à 5000 bouteilles. Après, on doit s’appeler Houdini ou Einstein.
Ensuite la sagesse devrait nous pousser à avoir plusieurs caves, dont une cave de garde intouchable avant "x" années sinon pour y ajouter quelques flacons. Celle pour les enfants, pour Madame quand elle voudra rappeler notre bons ouvenir.
Rangement : on doit partir de ce que l’on cherche et que l’on doit retrouver rapidement.
Exemples :
– je cherche un barolo 1996 : ou j’ai un casier par millésime, ou j’ai un casier par région avec identification rapide du millésime (sous casier). Et mon ami , le grandissime docteur PR, n’aime pas attendre, mais alors là, pas du tout !
– je cherche un pomerol, mais – Alzeihmer au deuxième étage – j’ai le nom du château au bout de la langue : il me faut un casier "pomerol", ce qui va me faciliter la tâche.
– je cherche ce vin des Carpathes que m’a offert Severino Barzan : il me faut un casier exotique où j’aurai aussi la fameuse petite arvine du grandissime PR.
Et surtout, j’ai un coin "poubelle" où je mets les bouteilles qui sont uniques, où il n’y a plus de petite soeur pour d’autres agapes. C’est le coin "mémorial", le coin perdu, le coin définitivement audouzien où, probablement, ce sera l’ultime sens du célébrissime MMS (Mes Meilleurs Souvenirs). Vins à déguster en regardant pour la énième fois un film d’Audiard avec Carmet : bref, la totale, impérativement sans femmes, hein ?
Excellente topographie. On peut y ajouter un coin "PMG" (pour ma g…), un coin "VPM" (vins pour madame quand je suis en voyage), et aussi un coin "PLA" (pour les amis) : je sais qu’il y a quelques sérieuses topettes qui attendent la visite du président Mauss !
De toutes les manières, les emplacements même largement prévus aujourd’hui pour telle ou telle région ne correspondront plus aux besoins de demain. Les goûts changent…"Pourquoi n’ai-je pas prévu plus d’espace pour ces crus d’Espagne, et beaucoup trop pour la Californie qui me passionnait tellement naguère…?".
Gardons également à l’esprit qu’une cave qui se respecte ne doit pas être dans la tête d’un seul homme. Si vous êtes immobilisé, à l’étranger, indisponible, la cave doit pouvoir être pilotée par un membre de la famille.
Je n’oublierai jamais, au moment des fêtes, le très grand cru d’un millésime d’anthologie que cette dame âgée avait "refilée" au facteur en guise d’étrennes avec son enveloppe. La bévue n’a en tout cas pas passé inaperçue chez ses enfants…
Pour ma part, je place les nouveaux arrivages où il y a de la place, tout simplement. Ce n’est pas l’endroit qui importe, mais l’hygrométrie, la température constante, l’obscurité, l’absence d’odeur et de vibrations. Chaque casier pour un lot, voire pour une bouteille, est numéroté (ou pour les bouteilliers à cases individuelles, répertorié par chiffres à la verticale et des lettres à l’horizontale – les joueurs à la bataille navale connaissent!). Chaque bouteille ou lot est introduit sur la fiche du livre de cave. Informatisez le tout, c’est tellement performant. Jamais l’ordinateur ne vous perdra une bouteille, sauf si vous la buvez sans la sortir du système ! N’oubliez surtout pas les 2 paramètres essentiels: "année d’ouverture (quand commencer à boire) et "fin d’apogée". En triant tous les vins sur ce dernier paramètre, vous saurez exactement ce qu’il faut boire sans trop tarder. Consommer d’une manière logique, intelligente est un autre chapitre…
Vous avez raison : une cave doit être évolutive (nos goûts changent, s’affinent, du moins je l’espère). Quant à la fameuse question de l’apogée, elle ne saurait être figée dans une date péremptoire. En matière de vins également, la notion de "plateau" est essentielle. Elle est fonction d’une série de critères dans lequel, à nouveau, il faut inscrire son propre goût.
Oui, Jacques, vous avez raison en ce qui concerne l’apogée de vos vins mis en stock. Qu’on la détermine soi-même à la dégustation, que l’on ait recours à des experts, peu importe. Une fois saisie en ordinateur, la date supposée n’a rien de définitif. Il m’arrive souvent de la modifier en cours de route, de l’avancer à l’occasion d’une dégustation confirmant une évolution plus rapide, ou de la retarder pour un vin qui tient parfaitement ses promesses. Rien de plus personnel.
dis-moi Jacques, avant de ranger ta cave, aurais-tu par hasard "trier" les commentaires des bloggers: il n’ y a que des hommes et pour certains, des hommes machos…
Francois, c’est promis je viens avec des Pampers a la Villa d’ Este, et il te faudra appliquer les conseils que tu donnes sur ton site.
une chose m’ intrigue: tu as l’ air de connaitre parfaitement le maniement de la Pampers alors que tes MMS sont "imperativement sans femmes" !!!
j’oubliais , messieurs, soyez grands Seigneurs : accordez un peu plus qu’un coin pour nos "VPM" !
Enfin un avis sensé sur la question ! Et c’est vrai que la cave est un endroit assez "macho". C’est promis, on va élargir le coin "VPM" mais, surtout, que les femmes qui gèrent leur cave se déclarent. Nous serions ravis de découvrir de nouveaux principes de rangement !
Qu’est-ce qui reste a nous hommes pour venir nous receuillire, si ce n’est pas dans un temple du vin chez soi ? C’est la dernière bastion non envahis par les ladies de ce monde.