Il a précédé beaucoup de courants, de tendances, de modes. Entré en cuisine – un peu comme on entre dans les ordres – il y a soixante ans, il n’a cessé d’évoluer, d’apprendre, d’avoir cet esprit curieux, vif, ouvert, sur le monde, la cuisine et la façon dont nous nous nourrissons. Les fameuses Instructions aux cuisiniers de maître Dôgen pourraient constituer son livre de chevet s’il ne continuait de cuisiner en rêvant. Lui, c’est Christophe Ziegert, dont tous les gourmets qui ont pris place un jour en son Auberge, à Bugnaux, face au Léman, se souviennent non sans une certaine émotion.
Lorsque j’ai évoqué avec lui l’idée d’une soirée consacrée à la Cuisine vitale, Christophe n’a pas hésité un seul instant. Et il a débarqué jeudi dernier au CAVE à Gland pour un atelier culinaire passionnant sur cette thématique très importante à l’heure du règne désastreux de l’agro-alimentaire, de la malbouffe et de tous les maux qui sont liés à une alimentation
Comment aborder la cuisine vitale ? Quels sont les instruments à disposition pour cuisiner en préservant la vitalité des aliments ?
Carole Dougoud, qui donne régulièrement des cours sur cette approche, parle de cuisine « haute vitalité ». Celle-ci privilégie notamment “les jus frais, les jus d’herbes, les pousses, les graines et légumineuses germées.
Elle recommande l’utilisation d’aliments crus de source végétale: oléagineux, champignons, fruits mûrs, fleurs, herbes aromatiques, épices ainsi que les aliments lacto-fermentés et les algues. »
« Ainsi, ajoute-t-elle, le potentiel énergétique et la synergie des aliments vivants, leur équilibre en vitamines & sels minéraux, leur richesse en facteurs enzymatiques sont assimilables dans les meilleures conditions. »
Christophe Ziegert a donc débarqué avec ses légumes, ses graines germées, son herbe à blé, son extracteur et son vitaliseur de Marion pour une cuisson à la vapeur douce.
Chaque participant s’est armé d’un tablier et l’atelier a commencé sous l’œil sourcilleux du Maître et de son pote au feu Otello venu de sa Ca’Za à Nizza Monferrato où il tient une maison d’hôtes et produit du vin en biodynamie.
Le menu et les vins du repas composé par Christophe Ziegert
Shot 1 : Alerte à la bombe verte !
De l’herbe à blé passée à l’extracteur, un peu de citron, sucre et une dosette du vrai génépi des glaciers (artemisia glacialis) produit artisanalement par un berger du Val Ferret. Niko Romito, chef italien triplement étoilé, propose, lui aussi, dans son restaurant-monastère de Castel di Sangro au cœur des Abruzzes un shot à base de tussilage, amarante, pissenlit, pimprenelle et gin en rappelant que « le lien entre gastronomie et santé pourrait bien être la prochaine avancée dans notre métier. »
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Chèvres frais aux aromates et pain au levain naturel et variétés anciennes de blé
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Graines germées et coulis de poivrons
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Déclinaison de légumes cuits
Chaque légume (carotte, courgette, céleri, fenouil) est cuit soit au vitaliseur, soit à la poêle (à basse température et sous couvercle pour ne pas perdre les arômes). Chaque légume est accompagné par une extraction de son propre jus.
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Fagioli Risina et lard de Colonnata
Ou le mariage de la côte ligure et de l’Ombrie. Deux produits d’exception : une légumineuse mûrie patiemment à proximité du lac de Trasimène où elle est connue sous le nom de fagiolina. Celle-ci a été introduite dans la région par les Romains, mais son histoire est multimillénaire. La culture est entièrement manuelle, en bio. C’est une rareté qui, cuite dans les règles (cuisson lente, à l’étouffée, surtout ne pas saler avant la fin de la cuisson) est une merveille de goût et, rehaussée d’un filet d’huile d’olive, avec un peu de lard de Colonnata juste fondant est une délicate tuerie.
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Aiguillette baronne de veau au Vadouvan, dernière cueillette d’orties
L’aiguillette de veau est un morceau d’une grande délicatesse. Pas facile hélas de s’en procurer. Cuite pendant de longues heures sous vide, parfumée au vandouvan, ce mélange indien d’oignons, échalotes, ail graine de moutarde, fenouil, curcuma, cumin, poivre et fenugrec), elle révèle une texture tendre et irrésistible.
Et pour accompagner cette divagation gourmande (la viande ne figure pas toujours en tête de liste des préoccupations des « vitalistes »), quid ?
En vrai disciple de Dôgen, Christophe Ziegert est allé arpenter les futaies et les clairières. Il suffit d’ouvrir les yeux, de sentir, de palper, de se désencombrer. Les ressources sont infinies. Le garde-manger est à nos portes. « Avec la pratique, notre territoire s’agrandit, et tous les objets du monde deviennent nos ingrédients. » Il s’est lancé dans cueillette des dernières pousses d’ortie, les plus petites. Cinq heures pour préparer ce flan d’orties absolument exquis. La vraie durée est intérieure.
Et, la douceur venue, le tiramisu de framboises, les corps réjouis, dans cette allégresse procurée par un repas réussi et bien partagé, peu avant de nous quitter, nous avons évoqué cet autre repas, celui d’un 23 décembre 1999. A la demande de Ruth Dreifuss, nouvelle présidente de la Confédération, Christophe et son équipe avec préparé le repas de Noël à la maison de Watteville à Berne. Pour la circonstance, j’avais été promu « chef-sommelier » et avais dû veiller sur les vins servis aux politiciens gourmets qui, en ce temps-là, siégeaient au Conseil fédéral.
Aucun doute – et l’exemple de Christophe, infatigable et passionné, est là pour nous rappeler – cuisiner, c’est apprêter sa vie à la manière zen et, surtout, c’est partager une émotion vitale.
Merci Christophe pour ton exemple !
Les vins :
Morges 2014, Clos des Abbesses, H. Cruchon
Saar Riesling 2013, Van Volxem
Cuore 2013, Azienda Agricola Montevetrano, IGT Campania
Comment
Magnifique. Ça donne envie, alors j’espère que vous allez offrir de nouveau ce cours.