Retour sur Le vin français, la gueule de bois programmé la semaine passée par Temps Présent sur la TSR.
Réalisé par Donatien Lemaître, ce reportage a d’abord paru dans le cadre de Spécial Investigation sur Canal+.
La recette est connue : prendre un sujet d’actualité et le faire mousser coûte que coûte en menant une pseudo enquête censée nous révéler ce que nous ignorions. Du journalisme choc, caméra au poing, qui ne s’embarrasse d’aucun scrupule pour étayer un scénario écrit d’avance. Bref, un reportage à charge dans la stricte foulée de Vino Business l’an dernier.
Et Donatien Lemaître en grand reporter façon Tintin en Amérique de se lancer dans un palpitante enquête de plus de six mois dans le milieu viticole français, prenant tous les risques pour nous révéler « la face cachée de la fabrication de certaines bonnes bouteilles » (sic).
Ainsi le voit-on affublé d’un masque sanitaire face à la pandémie des pesticides dans les vignes de France, gentil journaliste au bord d’une route du Médoc : » Vous travaillez pour quelle chaîne ? lui demande un automobiliste prêt à le secourir et à le prendre en stop. – Pour Canal Plus ! – Sympa. »
On le piste ensuite du côté de Figueras, escorté par un apiculteur, manipulant de dangereux produits, du Maypon-Flow.
La guérilla continue : le voici, selon ses propres termes, « infiltré » dans un domaine viticole et participant, caméra cachée, à la vinification. « Il y a des trucs, mais il ne faut pas trop en parler, lui dit un de ses collègues… Même pas à moi ? lui susurre la bouche en cœur Donatien Lemaître. Réponse du collègue : »si, je peux te dire… J’ai vu qu’ils ont acheté des tanins, pour donner de la couleur. » Confortablement assis devant son écran, on demeure sous le choc d’une telle révélation.
Ce n’est pas tout. L’enquêteur fait place au chimiste. « J’ai analysé (sic !) un certain nombre de vins » Résultat : le preux chevalier de l’information brandit les résultats des résidus de pesticides, fongicides trouvés dans tous les échantillons analysés : boscalid, cyprodinil, dimethomorph, fenhexamdie, tebuconazole, pthalimide.
Puis le chimiste, armé de son caddie bourré jusqu’à la moelle de tous les produits qu’il a collectés, se transforme en procureur. Le voici devant des vignerons et directeurs d’établissements incriminés lesquels, la mine contrite, baissent la tête et, finalement, devant le directeur de l’INAO lui-même, visiblement agacé par le toupet de ce kéké de reporter.
Georges Duboeuf, à son tour, est mis sur la sellette par le Robin des vignes. Le pape du Beaujolais, roi de la dénégation, commente son vin d’une façon très convenue, évoque des senteurs de fruits noirs. « Quel fruit noir ? lui demande Lemaître. – Cassis en particulier… A ce moment précis, le journaliste investigateur adresse un signe à la caméra – clin d’oeil aussi vulgaire qu’éloigné de toute déontologie journaliste. Car c’est bien sur ce terrain-là que le reportage Le vin français, la gueule de bois pose problème et ne saurait être cautionné par quiconque de sérieux.
Tant sur les moyens utilisés (caméra cachée, infiltration et, qui sait ? manipulation des sources) que l’on peut qualifier de déloyaux, que sur le but visé : faire de l’audience à travers une caricature (amalgames multiples, pas de contextualisation, aucune mise en perspective).
Je ne dis pas que le problème de l’usage intensif des pesticides, fongicides ne se pose pas. Il est bien réel et grave. Et il y a effectivement beaucoup à redire sur les vins produits de cette façon-là, au détriment sans doute, non seulement du goût, mais de la santé des consommateurs. Mais la façon, partiale et partielle, de le traiter est inacceptable.
On attendait notamment d’autres points de vue, qui rendent hommage à tous les vignerons – et ils sont nombreux – qui ont encore un idéal et qui œuvrent pour produire le meilleur vin possible. Eux, ne nous donnent pas la gueule de bois, à la manière du sieur Lemaître, mais de la joie, de la vérité, de la convivialité, toutes vertus qui nous élèvent.
Hélas, ce n’est pas la séquence finale, bâclée, sur Alexandre Bain, producteur de Tracy sur Loire, qui vient sauver quoi que ce soit et nous éviter une sévère gueule de bois après le visionnage d’une enquête aussi calamiteuse dont on ne comprend pas pourquoi Temps Présent, émission réputée pour son sérieux, l’a programmée.
Il faudrait encore évoquer ici le bouquet final, celui où deux cavistes (la maison Nicolas), sans doute chauffés par l’enquêteur malicieux, qui, à l’ insu de leur plein gré, parlent de certains vins qu’ils vendent comme d’une « merde innommable « … CQFD !
Comment ne pas faire le lien alors avec la séquence initiale. Celle durant laquelle Donatien Lemaître déambule dans les travées du Grand Tasting flanqué d’un certain Guillaume Dupré. Ce dernier, qui apparaît comme le mentor de Lemaître, déguste quelques vins sous l’œil de la caméra, avec un air de léger dégoût. Il semble pressé de quitter les lieux. Aucun intérêt. Pas de vins de terroir ! C’est que le gaillard est une sacrée pointure : on le présente en effet comme un « sommelier réputé qui a son idée ». Comme on le dirait d’une idée derrière la tête. Laquelle au fait ?
Vous l’aurez compris, ce reportage, décidément très retors, devrait faire réagir tout amateur véritable de vin et tout professionnel épris de qualité, car il tend à faire passer le message que la plus grande partie des vins sont falsifiés et néfastes pour la santé.
Comme si son script avait été écrit par les lobbies hygiénistes et prohibitionnistes qui sévissent en France et ailleurs…
3 Comments
Superbe réponse Jacques!!
Rien a redire.
Chapeau.
Salutations de Marco.
FG
Merci pour ce texte Jacques. Rien a dire de plus, superbe article!
J’ai regardé le reportage: Vin français: la gueule de bois hier soir en rediffusion et j’ai été vraiment choquée.
Pour moi les vins français représentaient le Summum des vins, surtout les Bordeaux. Je suis profondément déçue de constater que l’important de nos jours n’est pas la qualité mais l’argent… Et les vins Bio? Peut-on vraiment s’y fier? Peut-on être vraiment certain que l’on ne nous refile pas encore de la « piquette »?