Troisième jour : Cabanne de La Rochette – Brotheiteri – Métairie de la Werdtberg – Sonceboz – Chasseral – Bugnenets-Savagnières
Le vent s’est levé ce matin et le paysage est bleui par le froid. Heureusement, à l’intérieur du refuge, le gardien a allumé un feu de cheminée. Hélas, il faut partir tôt, s’arracher de ce cocon posé sur la crête, car la pluie menace. Attendue pour l’après-midi, elle nous laissera peut-être le temps de monter au Chasseral, quitte à prendre un raccourci.
Je regarde la carte. Dommage, nous ne verrons pas un certain nombre de lieux-dits: forêt de l’Envers, porte des Enfers, pont des Anabaptistes, La Cuisinière, Clédar de Pierrefeu. Une toponymie, des arpents de silence, qui resteront peut-être à l’état de rêves ou de possibles vers lesquels il faudra peut-être un jour retourner. Pour vérifier si des noms aux paysages il y a solution de continuité.
Une fois quitté le refuge, il faut rejoindre la ligne de crête et traverser un enchevêtrement de hêtres aux formes torturées. Signe que le vent ici redistribue les cartes en permanence et règne sur ce royaume. On devine un grand lac au loin ; la forêt près de laquelle nous attendons une accalmie a changé de forme, de dimensions : un petit univers inscrit dans un plus grand dont les limites sont indéfinissables. Nous sommes ailleurs, déroutés, emportés.
A la croisée de plusieurs mondes. Un lac gelé brille dans le lointain. Nos traces en recoupent d’autres au bas d’une pente. Ce pays ressemble à la Sibérie. Je me souviens de cette rencontre au milieu de la taïga avec un gulo-gulo qui avait oublié d’hiberner, le roi des concasseurs, hargneux, vorace, un sinistre individu pas très fréquentable. C’était il y a deux ans du côté de chez Tesson au bord du Baïkal.
– Je propose une variante redoutable qui va illuminer notre journée. Et si, après la montée au Chasseral nous allions déjeuner au Cerf à Sonceboz ? Une Boulangère de ris de veau ou un Cœur de cabillaud rôti, ça vous tente ?
Staro a parlé. En pleine paix !
Adieu visions de Haute-Route, gulo-gulo et ataraxie des forêts ! Nous voilà rendus au réel, dispersés, ventilés, réanimés !
La cuisine a fixé ses conditions : oui mais… dernier service à 14.15 impérativement !
A l’inattendu les dieux ferment (parfois) la porte. Rendez-vous manqué. Après avoir conquis de haute lutte le Chasseral, une partie du groupe redescendra sur Nods tandis que l’autre, entraînée par Gentizon des oiseaux, après avoir observé une minute de silence devant au bec croisé tout ébouriffé, le pif content, perché sur son sapin (ou sur un midnight à moitié vert du côté de Sancerre), redescendra en sifflant dans des futaies du côté des Bugnenets. Jusqu’à la Bonne Auberge, maison natale de Didier Cuche où en présence de son sosie et de ses trophées, nous avons fait honneur au non filtré de Neuchâtel et assisté aux retrouvailles de trois compères guides de montagne.
Et maintenant ? Cette traversée s’interrompt malheureusement ici ; la pluie a fait ses frasques et sans transition le Jura est passé de l’hiver au printemps : nous avons d’autres urgences, mais nous reviendrons. L’an prochain peut-être.
« Cette course sous la neige nous prend mais nous ne nous écrirons même pas ensuite parce que l’unique de quelques instants ne recommence jamais. » (Maurice Chappaz, La Haute Route du Jura)
Merci au chaman Chappaz, qui demeure une source d’inspiration, à Pepone qui eut l’idée de cette traversée-hommage, à Gentizon des oiseaux qui en a assuré la logistique, aux oiseaux de passage, aux défricheurs du silence avec lesquels j’ai eu la joie de partager cette aventure.
Comment
bonjour
j’ai en projet de faire le même raid l’hiver prochain.pourriez vous me faire parvenir les infos dont vous disposez concernant l’itinéraire et les hébergements.
merci par avance
cordialement
Olivier