La fusillade du Lycée Colombine en 1999, dans le Colorado, est encore dans les mémoires. Deux adolescents borderline avaient ouvert le feu à l’intérieur du lycée et tué treize personnes.
S’inspirant de ce fait-divers (et d’un vers de la Jolie Rousse d’Apollinaire), Laura Kasischke a écrit un livre palpitant et très futé, La vie devant ses yeux.
Paru en 2002, celui-ci a déjà fait l’objet d’une adaptation cinématographique. Je le découvre avec un peu de retard mais y a-t-il vraiment un temps pour découvrir une œuvre ?
Vous raconter l’histoire, à partir de la scène initiale citée ci-dessus, reviendrait à vous priver d’une grande partie de la lecture! Alors pas résumé…
Sachez simplement que dans La vie devant ses yeux s’affirme un vrai talent d’écrivain ! Venue de la poésie, Laura Kasischke en a gardé un sens rare de l’image.
D’autre part, sur le plan de la construction narrative, elle fait preuve d’une maîtrise étonnante : son métier – elle enseigne l’art du roman – n’y est sans doute pas étranger.
Du style, une grande rigueur dans la construction (sans ficelle apparente), une habileté déroutante à passer de l’espace du réel à celui de la fiction, à brouiller les pistes pour tisser une atmosphère d’inquiétude, voilà quelques-uns des qualités littéraires de Laura Kasischke.
Ajoutons-y un sens aigu du sujet : le plus important selon Julien Gracq ! – rien d'étonnant à ce que ce genre de livre, entre analyse introspective et polar, suscite l'adhésion !
Laura Kasischke
Un oiseau blanc dans le blizzard
« En vérité, ma mère a disparu vingt ans avant le jour où elle est réellement partie. Elle s’est installée dans la banlieue avec un mari. Elle a eu un enfant. Elle a vieilli un peu plus chaque jour – de cette façon qu’ont les épouses et les mères d’âge moyen d’être de moins en moins visibles à l’œil nu. Vous levez peut-être les yeux de votre magazine quand elle entre dans la salle d’attente du dentiste, mais elle est en fait transparente. »
Les rapports mère-fille forment à eux seuls une constellation dans l’univers. Peut-être sont-ils encore plus compliqués que ceux père-fils. Pour s’en convaincre, il faut lire L’oiseau dans le blizzard, autre récit remarquable de Laura Kasischke.
J’ai commencé en fait par celui-là et c’est aussi une lecture highly recommended.
Coincée dans un «groupe familial plutôt incertain », entre un père falot et une mère en instance de disparition, « toujours au centre de sa propre agitation », Kat est la fille unique de cette rencontre. « Invisible et grosse », elle déambule au bras de son voisin, puis mince, par la découverte du sexe qui fait maigrir.
Kat cherche à comprendre pourquoi, cette mère partie, le monde est encore trop plein de la disparue qu’au passage elle imagine sans orgasmes.
Est-ce pour vérifier cette hypothèse ? Kat rencontre tour à tour le voisin Phil, l’inspecteur Scieziescziez et Aron. Parfois les trois amants (presque) en même temps :
« Qu’est-ce que je faisais, en fait, avec tous ces hommes ? Je me disais que si on retirait leurs cœurs de leurs corps et qu’on les posait sur une table, tous les trois, il serait impossible de les reconnaître. Alors, qu’est-ce que je faisais, avec ces trois-là en même temps ? »
Il y a aussi la psy, celle sans laquelle, le monde n’aurait pas de sens. Elle s’appelle Maya Phaler. Elle porte des lainages stoïques, des robes prémentruelles et gagne sa vie « en se scandalisant des échecs de nos mères. »
L’inspecteur occupé à des jeux anodins, l’enquête ne semble guère progresser et la disparue demeure « Dieu sait où »…
Si sonder l’inconscient ne délivre aucun des clés de la vérité, si l’enquête policière se solde par une coucherie post-œdipienne, quel masque glaçant revêt la vérité ?
Une fois encore, avec un art consommé d’endormir nos défenses, Laura Kasischke nous emmène vers des territoires surprenants.
Les livres
Laura Kasischke, La vie devant ses yeux, Points, Christian Bourgeois
Laura Kasischke, Un oiseau blanc dans le blizzard, Points, Christian Bourgeois
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