L’ami, non plus, n’est pas venu les mains vides. Il est arrivé avec une bouteille :
– Tu m’as dit qu’il était inutile d’en rajouter et de venir rue de la faucille avec son marteau, je suis venu avec un château Margaux 1999. Pour me faire pardonner d’avoir distendu, un peu, les liens de l’amitié !
Ce déjeuner s’avançait sous des vents favorables. Le chef, Cyril Montanier a quelques lettres de crédit : il a travaillé une dizaine d’années chez Philippe Rochat, avant de venir s’installer ici il y a deux ans.
Croustillant de tourteau, émulsion thaï
Une proposition de quatre entrées, autant de plats principaux, plus quelques suggestions du jour. C’est plutôt rassurant. Se méfier comme de la peste des cartes pléthoriques, surtout quand le chef travaille seul, comme c’est le cas ici.
Royale de cardon au cœur de truffe et foie gras.
Des Croustillants de Tourteau, émulsion thaï en entrée, apportent une touche d’exotisme. Puis vient ce petit chef-d’œuvre la Royale de Cardon au cœur de Truffe et Foie Gras. Du grand classicisme, parfaitement maîtrisé, des saveurs épanouies, justes, bien fixées.
On revient sur une touche plus fusionnelle avec un bon Filet de Cabillaud en coque de fruits secs, nage de carottes et gingembre qui mériterait un jus plus court et davantage de pep’.
L’art de la table est inséparable de l’art de la conversation. Sous de tels auspices, celle-ci s’envola très vite. Direction la pensée d’un grand philosophe méconnu du XXème siècle, Hans Blumenberg, et sa conception de la métaphore comme une tentative d’apprivoiser le chaos qui nous entoure, le Réel !
Je sens que je vais m'y plonger bientôt. Dans le chaos ? Non dans Naufrage avec spectateur, un court texte où Blumenberg développe cette conception. Puis j’aimerais découvrir les rivages étranges du livre posthume de Blumenberg, Description de l’homme.
Merci l’ami retrouvé de m’avoir mis sur cette piste, tout en savourant cette inoubliable Royale.
Un peu de douceur dans le chaos du réel : duo Passion et Chocolat de Madagascar
En attendant, revenons sur terre. Gardez cette adresse bien présente à l’esprit. Et le château Margaux 1999, me demanderez-vous ? Il attend son heure.
Nous aussi.
Nous aussi.
Le Lexique, rue de la Faucille 14, Genève
Tél. 022 733 31 31
8 Comments
Trois photos, trois mousses : est ce bien raisonnable ?
En tout cas, c’est généreux !
Comme il y a ici d’incorrigibles gaulois qui n’iront pas chercher l’info, je la transmets, sous © Wikipedia :
"Hans Blumenberg était un philosophe allemand catholique (d’origine juive) né en 1920 et décédé en 1996.
Il est notamment connu pour avoir critiqué ce qu’il appelle le « théorème de la sécularisation », sa cible principale étant Carl Schmitt. Ledit théorème postule que les concepts prégnants de la théorie de l’État sont des concepts théologiques sécularisés. Blumenberg refuse ce théorème et montre que la modernité, loin d’être une version sécularisée, laïcisée, de la philosophie des Anciens, constitue une philosophie nouvelle, et légitime.
Dans la Lisibilité du monde, Blumenberg interroge la métaphore de la lecture telle qu’elle fut appliquée à notre rapport au monde. Alors que les Grecs concevaient la possibilité d’un rapport au monde en termes d’immédiateté, les chrétiens, sous la houlette de saint Augustin, vont appliquer au monde la métaphorologie de la lecture. Un des buts était de couper court aux velléités gnostiques de condamner le monde comme mauvais et inintelligible."
Mais de quoi je me mêle moi ?
Ouvert Lafite 1999 l’été dernier.
Il s’abordait plutôt bien après un carafage énergique.
Merci François pour cette précision "wikipediesque" mais je crois que cet article mériterait une mise à jour. La présentation est assez sommaire et ne rend pas compte du centre de la pensée de Blumenberg articulé autour de la métaphore et dont la façon dont ce dernier a été injustement relégué dans l’ombre d’Heidegger.
A part ça, trois mousses/émulsions (4 avec le dessert), c’est évidemment trop. Un tic à la mode mais qui est déjà en pense de devenir ringard, même si de nombreux aiment tellement ça, agiter le Bamix, ça fait léger, aérien et ça met du volume et du vent dans l’assiette.
On va lancer une association pour la réhabilitation des jus courts et pointus et le bannissement de la crème intempestive car tout cela, vois-tu, est lié à la crème !
… À la fin, je touche !
La crème a ceci d’utile en cuisine qu’elle fixe les arômes.
Les mousses: y’en a ras le bol des stéréotypes.
A Blumemberg, je préfèrerais Günther Anders et son "Obsolescence de l’homme" paru en français aux Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances". Quoique je me demande après avoir lu George Steiner parlant de Lucien Fevre (le copain de Marc Bloch, quelle est l’importance de l’apparition des lunettes et de l’éclairage artificiel dans la disparition de notre civilisation des odeurs, qui avait prévalu dans la puanteur des cités du Moyen Age.
Pascal, question matières grasses animales, la crème a beau fixer les arômes, elle les écrase un peu, contrairement au beurre qui les propulse.