Cet homme hanté, Brodeck, cette ombre qui préfère désormais la poussière à la morsure, tente de réintégrer sa communauté d’origine – celle qui, obéissant aux fantasmes purificateurs d’un nommé Buller – et qui sait ? retrouver peut-être une place celle qui lui a été refusée jusqu’ici. Quitte à se faire oublier… «Je ne ressemble à rien». C’est à partir d’un événement qu’une vie se met en marche ou s’interrompt, croise d’autres vies, s’entrelace à son destin. Remplacez une vie par un roman et vous aurez Brodeck, déguisé en métaphore de l’écrivain, l'homme qui brode. Procédé astucieux mais sur lequel Philippe Claudel tire parfois un peu trop… L’événement, c’est ce que, dans son dialecte, Brodeck nomme l’Ereigniëss. Une mise à mort. Celle d’un homme arrivé là un jour, par hasard, l’Anderer, figure christique évidente…
Toute écriture consiste en partie en cette tâche infinie, raconter une mise à mort : celle d’un amour, d’un homme ou d’une femme, d’un peuple, d’une idée peut-être. De l’autre dans tous les cas… Ça a commencé avec Socrate, qui parlait beaucoup et se méfiait à juste titre de l’écrit qui consignerait un jour sa propre fin.
Voilà Brodeck, témoin contraint du meurtre sacrificiel, assigné à résidence d’écriture. On te tue aussi ou tu racontes notre histoire, telle que nous l’avons voulue. Que peut dire l’écrivain de la violence, qui ne soit pas de l’ordre de la contrainte : "tu auras tout le beurre que tu veux, Brodeck, mais tu vas raconter l’histoire, tu seras le scribe". Mise en abîme. Et, précisément, le Rapport démarre au-dessus de cet abîme, l'indicible. Descend dans cette fange d’où toute humanité semble s’être absentée. Visages tordus, paroles rares, sentiments larvés, miasmes délétères. Comme une enquête métaphysique, un roman policier dont on aurait remonté le mécanisme à l’envers. Nous avons la victime sacrificielle, le bouc émissaire, la communauté soudée autour du meurtre sacrificiel et l’unique question, sans réponse, comme une porte hors de ses gonds, qui claque dans le vent, n’ouvre, ni ne ferme… Seul horizon, cette question : pourquoi le mal ?
Sur ce canevas, Philippe Claudel brode un récit haletant, implacable, désespéré et lucide, d’une construction rigoureuse, dans un style presque paradoxal, qui hésite parfois entre une sobriété entomologique et un certain maniérisme quasi cinématographique (comme si, quelque part, l’auteur anticipait une probable adaptation de son roman à l’écran…). Remarquable aussi est sa capacité à donner consistance à des personnages foisonnants. A l’instar de l’Anderer bien sûr, figure à la fois convenue et troublante pourtant ; du jeune Zungfrost (langue gêlée), une autre figure de l’innocence dont la communauté des enfants s’est offert le sacrifice ; ou encore de Peiper, le prêtre alcoolique, l’homme-égoût dont l’oreille professionnelle absout d’avance toutes les turpitudes. Désormais, son seul ministère consiste à faire face à cette énigme, pourquoi Dieu s’est-il retiré de sa création ?
«C’est tellement étrange une vie d’homme. Une fois qu’on y est précipité, on se demande souvent ce qu’on y fait. C’est peut-être pour cela que certains, un peu plus malins que d’autres, se contentent de pousser seulement la porte, jettent un œil, et apercevant ce qu’il y a derrière se prennent du désir de la refermer au plus vite. »
Toute écriture consiste en partie en cette tâche infinie, raconter une mise à mort : celle d’un amour, d’un homme ou d’une femme, d’un peuple, d’une idée peut-être. De l’autre dans tous les cas… Ça a commencé avec Socrate, qui parlait beaucoup et se méfiait à juste titre de l’écrit qui consignerait un jour sa propre fin.
Voilà Brodeck, témoin contraint du meurtre sacrificiel, assigné à résidence d’écriture. On te tue aussi ou tu racontes notre histoire, telle que nous l’avons voulue. Que peut dire l’écrivain de la violence, qui ne soit pas de l’ordre de la contrainte : "tu auras tout le beurre que tu veux, Brodeck, mais tu vas raconter l’histoire, tu seras le scribe". Mise en abîme. Et, précisément, le Rapport démarre au-dessus de cet abîme, l'indicible. Descend dans cette fange d’où toute humanité semble s’être absentée. Visages tordus, paroles rares, sentiments larvés, miasmes délétères. Comme une enquête métaphysique, un roman policier dont on aurait remonté le mécanisme à l’envers. Nous avons la victime sacrificielle, le bouc émissaire, la communauté soudée autour du meurtre sacrificiel et l’unique question, sans réponse, comme une porte hors de ses gonds, qui claque dans le vent, n’ouvre, ni ne ferme… Seul horizon, cette question : pourquoi le mal ?
Sur ce canevas, Philippe Claudel brode un récit haletant, implacable, désespéré et lucide, d’une construction rigoureuse, dans un style presque paradoxal, qui hésite parfois entre une sobriété entomologique et un certain maniérisme quasi cinématographique (comme si, quelque part, l’auteur anticipait une probable adaptation de son roman à l’écran…). Remarquable aussi est sa capacité à donner consistance à des personnages foisonnants. A l’instar de l’Anderer bien sûr, figure à la fois convenue et troublante pourtant ; du jeune Zungfrost (langue gêlée), une autre figure de l’innocence dont la communauté des enfants s’est offert le sacrifice ; ou encore de Peiper, le prêtre alcoolique, l’homme-égoût dont l’oreille professionnelle absout d’avance toutes les turpitudes. Désormais, son seul ministère consiste à faire face à cette énigme, pourquoi Dieu s’est-il retiré de sa création ?
«C’est tellement étrange une vie d’homme. Une fois qu’on y est précipité, on se demande souvent ce qu’on y fait. C’est peut-être pour cela que certains, un peu plus malins que d’autres, se contentent de pousser seulement la porte, jettent un œil, et apercevant ce qu’il y a derrière se prennent du désir de la refermer au plus vite. »
Philippe Claudel, Le Rapport de Brodeck, 401 p. Stock
PS. J'apprends aujourd'hui (le 13 novembre) que le Rapport de Brodeck a obtenu le prix Goncourt des lycéens. Voilà une époque passionnante où les lycéens sont des lecteurs bien plus perspicaces que les vieilles lunes du Goncourt officiel !
3 Comments
"What’s war in the heart of nature ?" Peut-être! En tous cas, l’Homme n’a pas inventé la guerre. Les études de terrain de Jane Goodall, Christophe Boesch et al. ont mis à jour que les Chimpanzés peuvent faire des excursions en petits groupes à la frontière du territoire de leur communauté. S’ils rencontrent un mâle isolé d’une autre communauté, ils peuvent s’en prendre à lui et le rouer de coups, parfois jusqu’à le tuer. Quant aux femelles, elles peuvent être soumises à des rapts (ceci nous rappelle sans doute quelque chose)! Que dire du comportement de la bonne dizaine d’espèces d’Hominidés égrenés chronologiquement entre l’ancêtre commun aux Chimpanzés et à l’Homo sapiens et l’Homme actuel?
Et dire qu’on a supprimé l’éthologie des programmes d’enseignement officiels !
Le rapport de Brodeck de Philippe Claudel
Une histoire ‘plombante’ : ce que je veux dire c’est que c’est attachant et lourd en même temps : des personnages qui existent fort, une écriture puissante en style , des images vraiment données à voir. Ce roman est rare pour la présence des personnages, pour un langage unique, mais son scenario’ parait (en tout cas après coup) un peu commercial : une histoire de bons et de méchants ?
Mais il faut dire que je ne sais trop que penser de Philippe Claudel : Les âmes grises me sont tombées des mains, la petite fille de monsieur Linh a été un délicieux moment. J’ai l’impression qu’il écrit pour le lecteur, en pensant à ce qui plaira ou fera trembler, et que parfois l’histoire en pâtit.
lesbouquinsdemaman.free.f…