Et Corinna, la fée au regard d’azur, fille d’une autre grande figure tutélaire, le peintre Edmond Bille. De ces deux hommes, de ces deux "pères" – Maurice et Edmond – Maurice a raconté la fin dans un récit très émouvant, La Veillée des Vikings. Dans ce livre, il s’approche tout près de ces vivants mémorables, entre dans leur intimité, les surprend au milieu de leurs doutes, de leur appétit de vivre, de leur difficulté à lâcher prise. Quelque part, on écrit toujours à la place des morts. On comble l’absence avec des mots. On veille sur le silence comme sur un bien précieux, qu’il faut entretenir de bois sec. Viendra le moment de l’adieu. Corinna partie à son tour, il y aura le livre de la douleur de toute une vie. De l’initiale et de la fin, le livre de C. Des cycles éternels aussi. Et la vigne dit cette patience. Le vin qu’on en tire est comme un songe devenu réalité. Il y a plus de cinquante ans, une vigne d’humagne blanche fut plantée par Maurice Chappaz dans le domaine des Claives qui appartenait à son oncle Maurice. Le fruit a mûri, les racines sont allées chercher à d’autres sources, traversant les failles granitiques. Ce temps n’a pas d’horloge. La nièce de Maurice, Marie-Thérèse Chappaz, a repris le flambeau en 2004. Elle en tire une cuvée émouvante comme une confidence. Une centaine de bouteilles par année, tout au plus. De ce cépage très ancien en Valais que l’on réservait autrefois aux accouchées. On en trouve mention en 1313 déjà dans un acte relatant l’achat d’une vigne.
Je viens d’avoir le bonheur de déguster ce vin, Domaine des Claives 2005, Humagne blanche. Certes, il est encore sur la réserve, énigmatique même avec sa minéralité affleurante, cette impression de ne pas vouloir se livrer immédiatement. Il faut prendre le temps d’écouter cet inconnu, la voix intérieure qui dit le long chemin de la vigne vers le profond et l’obscur. Souvent, lorsque les arômes sont peu explicites au nez, la bouche parle davantage : c’est normal, c’est son rôle. Passé une entrée en matière dépouillée, on assiste alors à cette mise à feu, cette sève inouïe qui monte en puissance et culmine sur une finale somptueuse, énergique, minérale, complexe. Un vin de grande émotion.
La contre-étiquette est illustrée par un texte de Maurice Chappaz
au début des années cinquante
une roche fut minée aux Claives
pour Corinna Bille
Le vin redit ce mariage
Maurice Chappaz
4 Comments
Quel beau vin historique à tout point de vue !
Je voudrais ajouter le superbe hommage qui vient d’être fait à Marie-Thérèse Chappaz dans l’excellente revue française LE ROUGE & LE BLANC (24ème année, sans publicité ni sponsor) !
Marie-Thérèse s’est vu offert les deux de couvertures et plusieurs pages intérieures. Le Journaliste français Jean-Marc Gatteron est venu sur place. Il a réalisé ce portrait comme seul un excellent journaliste valaisan aurait su le faire.
Très complet et mérité.
Vous avez raison, Philippe, d’évoquer Le Rouge et le Blanc. Excellente revue dirigée par mon ami Paul Hayat que je salue, philosophe, épicurien et propriétaire du restaurant Parc aux Cerfs 50 rue Vavin à Paris. T. 08 99 78 21 74. Si vous passez par là…
En squattant malignement ce sujet sur cette grande dame, probablement le nom suisse le plus connu en dehors de la Confédération par les amateurs de vins du monde entier, un peti commentaire de Stockholm où j’assiste, avec une centaine de Vikings, à la célébration d’Andreas Larsson, nouveau meilleur sommelier du monde, édition 2007.
Hier soir, avec le meilleur sommelier de Russie et un ami finlandais importateur cde grands noms bourguignons, nous sommes allés au restaurant F12 (membre de Traditions & Qualités). Quelques vins à l’aveugle dont un sublime Mazis-Chambertin 1961 de Bouchard et une copie conforme des plus grands Clos Sainte-Hune, quoique légèrement plus rond et moins sec :
Weingut Hattenheim
1964er Hattenheimer Hinterhaus
Riesling Feine SPätlese Cabinet
Rheingau.
Et bien, là aussi, un vin de grande émotion, vous savez , ce genre de vin qui ne finit pas de faire la queue de paon dans un festival de couleurs et d’arômes. Le type même de vin, totalement inconnu, qu’on devrait s’arracher aux enchères et que personne ne regarde (ou si peu) car sortant de la shortlist des grands noms connus.
Chapeau bas à ce Monsieur Müller. Comme quoi le riesling…
I wish I were here pour goûter ces merveilles, serrer la paluche des Vikings qui, dieu merci, ne "boivent pas en suisse". Comprenne qui voudra… Et mes amitiés à Andreas Larsson !