MB : c’est un vaste sujet et en même temps il n’y a pas de sujet. Le métier de critique de vins est un interface entre les producteurs et les consommateurs. Nous avons un double pouvoir : celui de juger le travail du producteur et celui d’informer le public. Aujourd’hui, et c’est ce qui est passionnant même si on rencontre très vite des limites, ce pouvoir est en quelque sorte diffracté, multiplié par le biais du net, des sites consacrés aux vins, des forums de discussion. Le critique lui-même peut être critiqué. Internet devient une forme de démocratie, de contre-pouvoir, avec ses limites aussi. Dans cette perspective, les gourous qui dicteraient leur opinion au monde entier relève des élucubrations propres à une soirée bien arrosée.
BB : un critique existe par rapport à son métier. Il a en gros le choix entre deux stratégies : celle de la démagogie ; celle d’une esthétique du goût.
JAP : j’ai une position particulière parce que je suis à la fois négociant, en même temps, j’exerce une activité de critique de vins. Je me limiterai ici à parler du rôle du négociant. Il est clair que l’influence prépondérante de Robert Parker a été un oreiller de paresse pour de nombreux négociants qui sont devenus des traders et se contentent de répercuter les choix de Parker. Pour ma part, j’estime qu’un vrai négociant doit avoir une fonction de découvreur et défendre une certaine culture du vin.
BB : concernant la prépondérance de Robert Parker, elle est liée à l’hégémonie de la langue anglaise et à la toute puissance du marché américain. Il y a quelques années, 80 % des sites consacrés aux vins étaient de langue anglaise. Aujourd’hui, ce pourcentage n’est plus que de 35 %.
VdS : le rôle du critique est très différent selon la culture à laquelle il appartient. Il existe quelques pays où les consommateurs possèdent une certaine culture du vin (la France, l’Allemagne et la Suisse). Dans les pays méditerranéens comme l’Italie, le Portugal ou l’Espagne, cette culture est beaucoup plus diffuse, balbutiante. Et puis il y a des pays dominés par une élite du vin comme la Grande Bretagne, la Belgique ou la Hollande. Selon ces catégories, le rôle social et le rôle commercial des critiques peut être très différent.
MB : ce sont des évidences… Cela dit, il n’y a qu’une alternative et ses deux termes sont opposés. D’une part le consumérisme. D’autre part, la civilisation du vin. On ne sortira pas de cette dichotomie. La vision binaire («ça me plaît, ça me plaît pas»), c’est celle du consumérisme et elle est à l’opposé de la vraie culture du vin.
DvN : je souligne que journaliste du vin c’est une profession avec beaucoup de responsabilités. Il ne suffit pas d’être passé par une école de journalisme pour s’autoproclamer critique de vins.
BH : puisque aujourd’hui il est aussi question de musique, je voudrais rappeler ici une citation de G.B. Shaw qui pourrait très bien s’appliquer au vin même si elle concernait le monde de la musique (je cite de mémoire) :
Les Italiens la chantent
Les Allemands l’interprètent
Les Anglais l’écoutent
Les Américains l’achètent
MB ce qui est en train de se passer maintenant est un très beau bouillonnement. Robert Parker a accompagné un boom de consommation extraordinaire dans le pays le plus puissant économiquement de la planète. Reste à savoir qui prendra un jour le relais. Quoi qu’il en soit, ce fut une chance pour le monde du vin qu’une telle position ait été occupée par Robert Parker.
FM comment voyez-vous évoluer le métier de critique de vins ? Peut-il encore être généraliste ou doit-il se spécialiser sur certaines régions ?
BB aujourd’hui le marché devient global. Il s’est mondialisé et il est important d’avoir une vision d’ensemble, de voyager, de déguster le plus grand nombre de vins. Un exemple, on nous dit qu’il pleut 350 mm par an en Argentine mais on ne nous précise jamais que ces 350 mm arrivent durant les vendanges… Voilà un exemple qui illustre pourquoi il est important d’aller vérifier les choses sur place.
MB notre métier repose sur deux fondamentaux : l’agronomie d’un côté et l’œnologie de l’autre.
FM un autre problème qui se pose au critique est celui de l’accès aux grandes bouteilles, de la possibilité de déguster les vins dont on parle. Des dégustations telles que celles que nous organisons au GJE coûtent une fortune. Comment le journaliste seul dans son coin peut-il avoir accès à certaines grandes bouteilles. La DRC par exemple ne peut pas envoyer des bouteilles aux journalistes du monde entier.
MB à chaque producteur de choisir ses interlocuteurs. Et ceci n’est pas de la complaisance. Les producteurs sont des gens intelligents, ils ont besoin d’un regard critique sur ce qu’ils font. Les rapports d’amitiés que, par ailleurs, nous pouvons avoir avec tel ou tel producteur ne sont absolument pas incompatibles à mon sens avec ce travail critique. C’est la vision angélique du consumérisme à l’américaine, celle du preux chevalier, qui voudrait que le journaliste soit cet homme invisible, ce passe-murailles érigé en juge suprême.
BH j’ai toujours trouvé désolant que la France ait aussi peu de critiques de vins. Regardez quels sont les critiques de vins véritables en France : il n’y en a pas cinq… La place du vin dans les medias est minuscule.
MB c’est vrai que le vin est sous-médiatisé. A cause de la loi Evin notamment, les grands medias font de l’auto-censure. La véritable information n’est pas gratuite. Elle a un coût et il ne faut pas faire d’angélisme là-dessus. Quelque part, la France n’est pas un pays qui aime véritablement le vin…
Intervenants
BB : Bernard Burtschy
MB : Michel Bettane
BH : Bernard Hervé
FM : François Mauss
DvN : Dirk van Niepoort
JAP : Jacques Perrin
VdS : Victor de la Serna
5 Comments
Après la dégustation des cabernets-merlots 2001, debriefing devant la Villa d’Este, c’est pas beau ça ?
ça manquait pas de femmes? on dirait l’assemblée nationale française: ah le goût du pouvoir!!!
Les femmes, toujours les femmes : mais n’avez vous pas compris qu’elles étaient derrière, pleines d’attention, classe et grandioses ? On ne vous donnera pas les noms, non mais !
L’Assemblée Nationale ? Là, je cale. Vous haïssez tant que cela l’hexagone ?
Merci a Francois M pour avoir signale cet excellent site sur eParker! Juste dommage que la musique ne soit pas accessible…
Je confirme les propos de notre président. ELLES étaient bien là, impériales, élégantes, belles, et pas simplement pour égayer les lieux – qui n’en demandaient pas tant – ou faire de la figuration !
Les femmes les femmes, est-ce qu’elles étaient italiennes ….