Masna d’Enogea a traversé en trombe une partie de l’Italie pour venir animer cette soirée consacrée au vin de l’Amarone.
Il y a quinze ans, nous avions déjà publié, sous sa plume, dans Vinifera un premier état des lieux intitulé Un amour d’Amarone.
Depuis, le succès de l’appellation est allé grandissant et, surtout, cette évidence est apparue au grand jour : il n’y a pas un Amarone mais des Amarone aux styles bien différents.
C’est ce qu’a permis d’illustrer la dégustation dont vous trouverez un compte-rendu ci-dessous. Après une présentation de cette vaste région viticole par Alessandro Masnaghetti. Une petite video sera prochainement mise en ligne sur cette présentation :
La région de la Valpolicella d’où est issu l’Amarone est située dans le Veneto, près du lac de Garde, à quelques kilomètres de Vérone.
La Valpolicella se présente comme une aire de 7000 ha de vignes. Comme le Chianti Classico. Par comparaison, la région du Barolo couvre une superficie d’environ 2000 ha.
On trouve quatre appellations différentes dans la Valpolicella :
– Le Valpolicella qui est le vin classique de la région C’est un vin sec, produit d’une manière traditionnelle.
Production annuelle : 2 millions de bouteilles.
– Le Valpolicella ripasso. C’est un vin de Valpolicella que l’on fait « repasser » sur du marc d’Amarone ou de Recioto. C’est le vin le plus récent dans la production de la région.
Production annuelle : 24 millions de bt
– Recioto de la Valpolicella. C’est l’appellation historique de la région qui remonte au Moyen Age. C’est un vin issu de raisins passerillés. Sa diffusion a diminué ces dernières années.
Production annuelle : 500 000 bt
– Amarone. Cette appellation existe depuis 1968. La première étiquette connue avec le nom « Amarone », c’est un vin de 1937 produit par la Cantine Sociale de Negrar. On peut dater la naissance commerciale de l’Amarone avec le 1953 de la maison Bolla, suivie par l’Amarone 1958 de la maison Bertani.
« Avant, raconte Alessandro, chaque famille avait une petite production de Recioto scapa : c’était un Recioto qui était allé jusqu’à la fin de la fermentation. C’est à partir des années 1990 que la production d’Amarone a explosé ! »
Production annuelle : 13 millions de bt
On peut diviser le terroir en trois différentes sections :
a) Valpolicella classico (3300 ha) : c’est la partie historique de l’appellation. C’est une région de grandes maisons, de cerises, de vins.
b) la Valpolicella (3500 ha)
c) la Valpantena (450 ha) : dans cette région, on peut accoler le nom Valpantena au Valpolicella, à l’Amarone ou au Recioto, mais ce n’est pas véritablement un cru.
En fait, la Valpolicella est constituée par une série de vallées parallèles qui, du nord au sud, descendent des Monti Lessini (Negrar, Fumane, Mezzane, Marcellise, Illasi, Tramigna, Alpone, etc)
Dans chaque vallée, on trouve donc un versant ouest et un versant est, avec, au centre, la plaine. La moitié des vignobles sont plantés d’ailleurs dans la plaine ou sur des hauts plateaux, comme dans la Vallée dei Lazi. Ce qui n’est pas, contrairement à ce qu’on pourrait penser, toujours qualitativement moindre.
Différents types de sols : on a beaucoup de sols calcaires, des sols à texture plus argileuses, mais on trouve aussi des terrains volcaniques.
Les différentes appellations au sein de l’Amarone sont les suivantes : Amarone / Amarone classico / Amarone Valpantena / Amarone Riserva
Les cépages : La corvina veronese est majoritaire dans l’encépagement – on peut arriver à 90 % de corvina veronese dans le dernier décret –, suivie par la rondinella qui a bénéficié d’un grand succès dans l’après-guerre, à cause notamment de sa productivité exceptionnelle et de sa résistance au botrytis, mais qui se trouve maintenant en voie de diminution.
On trouve également le corvinone, génétiquement différent de la corvina veronese et longtemps confondu avec elle. La molinara est également présente, à l’instar d’autres variétés « redécouvertes » récemment, telle l’oseleta cher à Dal Forno. Cépage très tannique, avec peu de jus, ce qui fait qu’à la fin du passerillage, on ne peut plus le presser quasiment
La vinification de l’Amarone :
L’Amarone est un vin produit à partir de raisins passerillés avec comme objectif d’avoir un vin sec. Le décret d’appellation autorise jusqu’à 12 g de sucre résiduel par litre.
Il y a eu une grande évolution dans la façon de produire l’Amarone, explique Alessandro Masnaghetti : il y a 15 ans, la date classique pour la vinification des raisins passerillés, c’était à peu près le 10 janvier. Maintenant, le décret de l’appellation autorise à vinifier à partir du 1er décembre, voire avant dans les millésimes plus chauds. Les conditions climatiques ont changé et les raisins sont plus mûrs. Il est donc nécessaire d’anticiper un peu la date de la vinification. Il y a quinze ans, la production par pied de vigne était énorme. La façon de passeriller le raisin a également changé. On est passé du passerillage classique en frutaio (comme le pratique encore Bertani) aux tunnels de passerillage contemporains avec séchoirs incorporés. Quel que soit le chemin choisi pour le processus, méthode artisanale et « naturelle » ou approche apparemment industrielle, il est important d’avoir une vendange aussi saine que possible, avec des rafles mûres.
En conclusion de sa présentation, Alessandro Masnaghetti a insisté sur ce point. Il n’existe pas un Amarone, mais des Amarone. En fonction des terroirs, des expositions, de l’altitude, de l’encépagement et du savoir-faire.
La dégustation
• Amarone della Valpolicella Classico Monte 2005 Cantina Valpolicella
Il se présente comme un vin agréable, chaleureux, assez linéaire et souple dans son expression avec une impression de sucrosité finale.
Cet Amarone provient de Negrar, une région qui ne donne jamais des Amarone de grande structure.
• Amarone della Valpolicella Classico 2006 Corte Aleardi
Un bon Amarone, avec de la race, une trame plus serrée et une finale qui préserve une certaine fraîcheur. Dommage qu’à l’aération il laisse apparaître quelques notes animales.
Il provient de région de la Conco d’Oro, qui donne naissance à des Amarone assez classiques, plus taniques.
• Amarone della Valpolicella Classico 2009 Monte Santoccio
Belle finesse dans l’expression. Et même une certaine complexité. Il lui manque juste un petit peu d’énergie en finale. « Ce vin a un style assez classique de la vallée de Fumane. Ce sont des vins bien structurés avec un tanin plus tendre que ceux de Sant’Ambrogio (le précédent) » explique Alessandro. Et il ajoute : « C’est un petit producteur qui travaille sur 3 ha. On est à 300 m, au sommet d’une colline extraordinaire ».
Le bois le marque un peu de son empreinte 90. Faut-il l’attendre ? « Les gens disent : les Amarone, c’est comme les Barolos, il faut attendre, il faut attendre .Je crois que non. Quand c’est bon, c’est bon !
• Amarone della Valpolicella Classico Vigneto Monte Sant’Urbano 2007 Speri
Très belle couleur, profonde. Belle intensité. C’est profond. Suave. Perception d’un caractère ligneux de rafle en attaque. Belle bouche sphérique. Il finit sur le poivre, les épices. La longueur est moyenne, sans doute par une pointe de sécheresse dans le tanin. Ce vin provient aussi de la vallée de Fumane. Le Monte Sant’Urbano est historiquement un des vrais crus de l’appellation.
• Amarone della Valpolicella Classico Corte Vaona 2008 Novaia
« ça c’est un vin que j’aime beaucoup, dit Masna, car il va expliquer la région de provenance, la région de Marano. On est à la fin de la vallée, à 400 m d’altitude, sur un climat un peu plus frais ».
Nous aussi, on l’aime beaucoup ! Le profil aromatique est plus frais et le corps a gagné en finesse et, presque, en légèreté. Une remarquable expression de l’Amarone !
• Amarone della Valpolicella Classico 2009 Brigaldara
Le nez est marqué par l’élevage. C’est une vision assez moderne, en devenir. Il associe des notes de fruits mûrs à une pointe végétale, légèrement mentholée. Finale assez simple, sans grande envolée. »C’est une maison qui est en train de changer un peu son style » précise Alessandro.
• Amarone della Valpolicella Classico Anteprima 2008 Villa Spinosa
On retrouve ici la même pointe végétale que sur le Brigaldara. Nez assez « classique » dans son expression. On est sur le cru de Jago. Très jolie entrée en bouche, savoureuse. C’est ample, généreux, avec une trame assez souple et une belle énergie sur la finale. C’est un vin qui affiche une belle présence.
Ce vin provient de la dernière vallée à l’est, la plus importante au niveau de la production.
• Amarone della Valpolicella Classico Villa Rizzardi 2006 Guerrieri Rizzardi
Plus coloré, plus riche, exotique, avec un boisé étrange. Il est ample, riche, mais sans la finesse et le style du précédent. Très confit et un peu « décadent » dans son approche.. A l’ouverture, il présente quelques notes un peu rancio et champignon sur fond de fruits confits.
Le côté « sucré » est paraît-il un marqueur de sa région de provenance. Il provient ient de la colline de Calcarole (très connue pour son Recioto).
• Amarone della Valpolicella Classico 2006 Bertani
Ce vin est un peu l’antithèse du précédent. Style plus léger, équilibré, très classique. Il mérite attention. Ce n’est de loin pas le plus démonstratif, le plus exubérant des Amarone, mais quelle classe, quelle finesse d’expression et, surtout, quelle digestibilité supérieure. Un de mes préférés de la soirée !
Ce vin est produit à partir de raisins passerillés en frutaio selon la méthode artisanale.
• Amarone della Valpolicella Valpantena Villa Arvedi 2010 Bertani
Belle robe, profonde. Nez élégant, complexe. C’est une très belle bouche, confortable, avec de la richesse, presque médulleuse, mais avec de la fraîcheur.
Il n’a peut-être pas tout à fait le même niveau d’équilibre et de complexité que le précédent. C’est un vin du Valpantena, une vallée plus fraîche, région historique de la maison Bertani qui, comme précisé dans l’introduction, fut une des premières à produire de l’Amarone avec celui de la maison Bolla.
• Amarone della Valpolicella Campo dei Gigli 2008 Tenuta Sant’Antonio
Il présente un côté confiture de framboise. Suave, riche, fastueux, il est un peu lourd dans son corps et finit un peu dissocié entre l’alcool et l’acidité. Avec une pointe d’amertume de surcroît. On a l’opulence et rien que l’opulence.
« Il vient de la région de Monte Gardi, explique Masna. Sols très calcaires. On a de la puissance, de la concentration, mais c’est difficile d’avoir de l’élégance ici. Dal Forno, c’est beaucoup plus dans ce style-là que d’autres que nous avons goûtés. »
• Amarone della Valpolicella Classico Stropa 2006 Monte dall’Ora
Le vin s’affiche généreux avec une belle plénitude de chair, dans une forme sphérique, au tanin bien intégré. Très jolie bouche, avec de la profondeur et du caractère, en dépit d’une petite note animale.
« Il vient de la colline de Castelrotto. C’est une colline au milieu de la plaine. Sol de tuf et non pas calcaire, comme dans les autres Valpolicella » précise Masna.
• Amarone della Valpolicella 2006 Trabucchi
Robe intense. Nez très boisé. En bouche, il est marqué par son élevage. Un zeste de vulgarité.. Très riche, avec des notes mentholées, végétales.
« C’est un millésime de transition pour Trabucchi qui va faire des choses plus fruitées ensuite, précise Masna. Là on est dans la Valpolicella elargata, presque à la fin de l’appellation »
Comment
Espérons qu’il nous apportera quelques topettes à Bordeaux où il nous rejoint une journée pour le GJE des vins du CERCLE 🙂