1. l'on goûte des vins dans phases primaires, pour ne pas dire primeures, pas toujours très avenants et riches en expression
2. l'accumulation de nombreuses cuvées dégustées à la volée favorise, qu'on le veuille ou non, un profil de vins explosif et immédiat, donc un style et un éventail de crus trop restreint et simpliste
3. les vins goûtés très jeunes sont rarement regoûtés et évalués plus vieux pour faire l'objet d'articles de suivi, et surtout de fond. On constate aussi qu'il n'est pas ancré dans la mentalité vigneronne suisse de conserver les millésimes âgés. Les habitudes sont plutôt à la vente rapide – voire frénétique – des vins de l'année. Ni plus ni moins qu’une réponse à la demande, qui suit d’ailleurs les tendances consuméristes actuelles et qui, à terme, pourrait signer l’arrêt de mort des grands vins de garde.
Il y avait donc un manque à combler, que les quatre journalistes ont décidé de considérer avec le plus grand sérieux. Ils ont choisi, en fonction de critères qualitatifs voulus exigeants, un certain nombre de vignerons pour représenter l’élite des vins suisses.
Décision a été prise de mettre en cave chaque année pour les cuvées sélectionnées 60 bouteilles d'un même vin afin de suivre l’évolution de ces vins.
Dès lors, cette grande colonie vineuse s’est mise en route. En décembre 2002 elle présentait à la presse les premiers 21 crus sélectionnés à la Weinhalle Zürich. En septembre 2004, les membres transformaient le Club en une Association au Château Mercier à Sierre. Octobre de la même année, à l’occasion du Gala des Vins Suisses à Berne, le projet reçut le « Prix Vinnovation » décerné par l’Economie vitivinicole suisse. En 2008, la Mémoire des Vins Suisses compte déjà cinq millésimes de la plupart des vins qui la constituent. Et tout cela chemine tranquillement, avec l’incorporation encore récente de nouveaux membres, afin de compléter la palette des « couleurs ».
Récemment l’Association Mémoire des vins suisses présentait à Genève trois millésimes choisis par les vignerons eux-mêmes : le plus ancien déposé à la collection, un millésime intermédiaire, et le plus récent mis en bouteille. Parmi les vins et vignerons présents ce jour là, voici ceux que j'avais choisi de visiter et goûter…
Raymond Paccot, l'artiste du Chasselas Vaudois.
Des trois très beaux Chasselas Le Brez présentés par le « grand » Raymond ce jour là (un homme que je respecte infiniment pour mille raisons, que l’on découvre le jour où l’on serre sa main pour la première fois), on retiendra un superbe 2007 aux notes très fines de fleurs blanches, un vin pur, doux, cristallin, parangon de clarté d'expression. Un modèle pour le cépage. Le 2003 est aujourd'hui plus confit, ample, avec une salinité intégrée et subtile. Et le 2002 plus nerveux, tendu.
Henri Cruchon, les vins « bonhommes » !
Passant d'une table à l'autre, on met le pied chez Cruchon où Raoul fait goûter son Pinot Noir Raissenaz. C'est le plus jeune, le 2006, qui me plaît particulièremet : un vin au fruit doux et facile, à peine épicé, exprimant une maturité fraiche, tout en fluidité mais net et désaltérant. Le 2003 pâtit un peu des excès du millésime, tandis que le 2001 assume ses rides, mais pas pour l'éternité.
Jean-Pierre Pellegrin, l'humilité au service du grand vin genevois.
De la Côte à Genève, il n'y a qu'une autoroute, qui mène tout droit chez le discret et studieux Jean-Pierre Pellegrin, un homme d'une grande ouverture d'esprit, au calme olympien, limite zen. Son Grand’Cour CabernetsFranc & Sauvignon 2006 est un modèle d’assemblage à la bordelaise, précis, pur, finement boisé, impeccablement équilibré. Le 2003 n’avait pas cette précision dans l’élevage et la préservation du fruit ; par contre le 2000 a admirablement vieilli, formant un joli bouquet complexe, et offrant aujourd’hui une belle pulpe fondue et douce.
Schlossgut Bachtobel, continuité de l'œuvre d'un grand monsieur.
Basculons ensuite dans l'univers du Blaubürgunder thürgovien, avec les vins du regretté Hans Ulrich Kesselring, trop tôt disparu. Relire à ce sujet le beau texte de Jacques Perrin, ICI. Ce disciple de Jules Chauvet laisse derrière lui un grand vide, mais aussi de très jolis vins. J'en veux pour preuve son Pinot Noir N°3 Der Andere 2006 pétri de finesse, élancé, tout de subtilité vêtu. Un vin très éloigné des caricatures boisées et caramélisées que l’on croise encore trop souvent. Monsieur Kesselring, il me restera toujours un regret, ne pas avoir croisé le verre avec vous.
Georg Fromm, classicisme en Grisons.
Le Pinot traverse les cantons comme le foehn traverse les meilleurs terroirs grisons. D'ailleurs aux Grisons nous y sommes, pour goûter le Malanser Pinot Noir Barrique de Georg Fromm, très bon domaine de Malans dirigé par un des hérauts de la première heure, qui fit aussi parler son talent en Nouvelle Zélande, avant de revenir sur ses terres, si belles. Son Malanser barrique 2004 se présentait mieux que la version 2006 ou 2002, avec un supplément de finesse, de fraicheur et surtout une meilleure intégration de la barrique. Bon an mal an un des meilleurs.
Daniel Huber, la finesse érigée en art.
Des Grisons au Tessin, il n'y a pas finalement tant de route que ça, tout au plus quelques magnifiques vallées et autres reliefs somptueux. J'avoue craquer complètement sur le style et les vins de ce monsieur, Daniel Huber : des modèles de pureté, de finesse d'expression, et surtout de non-exagération œnologique. Cuvée au nom ésotérique et évocateur s'il en est, la Montagna Magica a bien progressé au fil des ans : si en 2000 l’élevage était encore très perfectible, en 2003 le vigneron a fait des merveilles, passant outre les exagérations du millésime, sans le dénaturer ; mais surtout, quel 2006, de grande plénitude, harmonieux et dense, impeccablement serré pour affronter les ans. Pour avoir regoûté très récemment, et sur ce millésime, nombre de cuvées réputées de la région, disons que celui-ci est vraiment hors-classe.
Denis Mercier, perfection du Cornalin.
Du Tessin, une ultime glissade nous mène en Valais, pour y rester le temps de quatre (grands) vignerons. Personnage à la fois calme et malicieux, Denis Mercier est à juste titre réputé pour la grandeur de son Cornalin. Le 2006 est une splendeur, délivrant des effluves épicées bigrement complexes, à peine soulignées de notes de violette et de fraise des bois. En bouche c’est une épure de cornalin que l’on savoure, très délicat, civilisé, bâti sur des tanins magnifiquement extraits et précis. Le 2003 est plus cerise noire et créosote, un poil confit, mais conserve cette qualité tannique noble. Et le 1999 enfin, prêt à boire, relâché et détendu, peut être un peu moins abouti que les deux autres. Mais ne chiptotons pas : quel plaisir d’avoir tel vin dans le verre !
Simon Maye, essence de syrah.
D’Axel Maye, je retiens un sourire apaisé qui en dit long sur sa façon de voir la vie et le vin. Et surtout j’ai pu gouter cette ode au grand cépage rhodanien qu’est la syrah, grâce à sa cuvée de vieilles vignes. Français mais pas chauvin pour un sous, j’avoue go^ter très peu de Côte Rôtie au niveau de sa Syrah 2006 vieilles vignes. Un vin très lent à s’ouvrir, mais indiciblement pur et complexe : peau d’orange grillée, âtre, zan, graphite, toute y passe. La bouche n’est que soie, le tanin est merveilleusement intégré à la texture, d’ailleurs il est lui même texturé. Ni plus ni moins que le grand style. Un bémol par contre sur la version 2003, trop animale pour mon goût. Le 2000 est plus valaisan d’esprit, donc davantage confit que le 2006, plus méridional dirons nous. Il semble que dans le temps on ait également progressé sur la finesse des extractions.
Cornulus, extrêmistes terroiristes.
Le bouillonnant Dany Varone faisait déguster son Ermitage Grains nobles Octoglaive en triplette, descendant 2002, 2001 et 2000. Je retiens surtout le 2001, sensiblement plus botrytisé il m’a semblé que les deux autres, et aussi plus maitrisé : truffe, mangue, papaye, beurre frais, abricot confit, orange amère. En un coup de nez on fait le tour de ce que le cépage est capable d’exprimer au mieux en surmaturité, surtout lorsqu’il est pimenté par la pourriture noble. La liqueur est intense, sirupeuse sans brûler, lascive, hédoniste en diable. Sans atteindre les sommets des Cœur de Clos, c’est une superbe entrée en matière pour découvrir de quoi les « deux gaillards » sont capables !
Marie-Thérèse Chappaz, l'exigenc(t)e vigneronne.
Enfin, last but not least, « l'enfant terrible », la valaisanne aux joues roses et à l'accent terrien, que l’on adore côtoyer tant elle rayonne de bonheur et simplicité, Marie Thérèse. Des 3 Petite Arvine Grains Nobles servies ce jour, je place 2004 légèrement devant la version 2003 et 2000. 2004 avec une attaque impressionnante de langueur et de coulant, et ne sombrant pas dans la mollesse grâce à cette belle saveur épicée et légèrement amère qui le tient. A noter des nez toujours un peu compliqués à tenir sur les liquoreux valaisans, et qui semblent – chez Marie-Thérèse comme chez ses confrères et consœurs – un peu mieux canalisés sur les derniers millésimes, notamment sur un cépage difficile comme la petite arvine.
Deux mots avant de conclure :
Le « moins » du jour : salle trop petite et mal tempérée, vignerons trop confinés, peu de place entre les stands. Je pense que nombre de professionnels présents (pour goûter) auraient préféré peut être un cadre moins luxueux, mais un espace plus vaste pour déguster dans de meilleures conditions.
Et le « plus » : la diversité des vins présentés et le bon niveau des vignerons et cuvées en dégustation ce jour là, évidemment. Et l’enthousiasme des participants présents, vignerons comme dégustateurs.
Voir enfin et surtout le site de l'association à laquelle je souhaite belle et longue vie !
Présentation et commentaires de dégustation : Nicolas Herbin.
11 Comments
Visite au caveau ce matin (déc 2007), chez Paccot à Fechy (cite parmi les 5 domaines suisses dans le livre des grands vins du monde de Michel Bettane), avec Alain Winemega.
Quelques vins sains mais un peu simples :
Fechy la Colombe 2006 (13)
Petit Clos 2006 (14)
Selection Girardet 2006 (14,5/15) : le vin (gouté) le plus interessant de la maison : fruite (agrumes) et vegetal (verveine, camomille), fin, floral, plus vif, plus d’energie, un peu mineral et salin.
Chardonnay 06 (14) : proche d’un petit chablis selon moi
Chardonnay 06 reserve (14)
Sauvignon 06 (13) : je ne suis pas tres copain avec ce cepage
Pinot noir 06 (rose) : 12,5
Pinot noir tradition 06 (13) : sans vibration, peu inspire (petit Givry ?)
Gamay 04 : 13,5 (matiere et expression correcte mais manquant de relief, un peu plan-plan
Bien aime pour finir La Grive 2005 (14,5), insolite cepage hybride (Gamaret) mute, tres VDN du Roussillon, avec heureusement une appreciable retenue alcoolique (16,5 degres). Douilet, coquet, tendre, ludique (pour une degustation a l’aveugle).
Magnifiques les Petite Arvine Grain Noble de MT Chappaz …
Sympa les parapluies rouges. Cela s’harmonise bien avec le vert des vignes.
50% des échantillons de vins rouges présentés étaient des pinots noirs, 25% des assemblages de type bordelais. Est-ce vraiment ça la diversité des vins suisses ?
Donzelle : remarquez également les petits chaussons turquoise que porte le monsieur sur la droite. Il semblerait avoir peur de se mouiller.
Décidément, elle semble en avoir des paquets d’enfants terribles la viticulture valaisanne…
Faudrait que l’on en dresse un jour la liste tiens !
La mémoire des vins suisses c’est :
+ 60 flacons prélevés annuellement dans le stock du vigneron participant. Cela ajoute de la rareté à la rareté (1800 bouteilles de cornalin/an chez Denis Mercier). D’autres cuvées sont tout aussi rares. Soit ici 03 % de la production.
+ 500 CHF annuels de cotisation par vigneron pour faire partie de l’association.
+ une première dégustation publique voici un mois (étonnamment gratuite!).
Et qui paie tout cela en dernier ressort ?L’acheteur de ces vins, ben voyons.
laurent
Je n’ai jamais goûté de vin Suisse ! 🙂 Est-ce que ça vaut le coup ?
Cher Pascal,
Jusqu’à présent vous avez réussi à vous préserver en ne consommant pas de vins suisses et c’est tant mieux. Ne tentez pas le diable et continuez à boire quelques belles étiquettes bordelaises qui, elles, vous procureront à coup sûr grand plaisir. A titre de protection de la jeunesse et pour la santé économique du pays, nous nous chargerons de finir les stocks de vins fins helvétiques pour les années à venir.
Bien à vous.
Alfredo
Pascal,
Découvrez ces superbes vins suisses et allez visiter les vignes, aussi !
A Beaune, ils ont les vignes de l’Enfant Jésus.
Nous, on a les vignes des Enfants Terribles !
Hips. Hips, hourra les vins suisses, et leurs vignerons, hips !
Laurent
Ohuhh, les vignes ont pas l’air au mieux ! C’est le climat de l’année ou c’est la volonté du vigneron ?
Hervé, il s’agit de la parcelle de Pinot noir de Raissenaz (sauf erreur de ma part). Vieille vigne d’une cinquantaine d’années, conduite en biodynamie. Je sens que ça va encore allumer des briquettes dans les chaumières, ta remarque…
Qui sait Alfredo, peut-etre pleut-il ?