"Messieurs,
Depuis quatre ans, l’Union Européenne souffre d’une crise financière qui ne fait qu’empirer, sans que ne se dessinent, pour y mettre fin, des solutions unanimement acceptées par tous les gouvernements des pays concernés. Pour l’instant, les propositions conflictuelles et contradictoires formulées en vue de faire face aux difficultés présentes ne peuvent qu’accroître une instabilité que redoutent les marchés financiers. Il apparaît cependant de plus en plus que toute opération destinée à redresser une situation précaire ne relèvera pas seulement de la technique financière, mais qu’elle devra s’accompagner d’une vision politique et éthique renouvelée de l‘avenir de notre continent, à défaut de laquelle celui-ci pourrait sombrer ainsi que l’enseigne l’histoire des civilisations.
Vos carrières, Messieurs, comportent deux point communs : d’une part, vous assumez tous actuellement de très grandes responsabilités dans la tragédie que nous vivons et, d’autre part, vous avez été associés, à des titres et moments divers, à une institution sévèrement critiquée, « La Banque Goldman Sachs » de New-York, signe de grande intelligence dans la stratégie de recrutement, le cas échéant protectrice, de cette institution. Les activités de cette dernière ont fait récemment l’objet d’une enquête aux Etats-Unis d’un comité présidé par le Sénateur Carl Levin, enquête qui a mis en évidences des actions pour le moins discutables, si ce n’est plus, de votre employeur. La justice américaine donnera-t-elle suite à l’investigation sénatoriale, en dépit du fait que le département du Trésor des Etats-Unis, quelle que soit la tendance du gouvernement, a toujours été proche, voire très proche, de cette banque ? C’est son problème.
En Europe, Goldman Sachs a permis au gouvernement grec de camoufler une dette atteignant progressivement 350 milliards d’Euros qui, malgré des annonces prématurées de règlement partiel, deviendra une bombe à retardement pour toute l’Europe. La banque intéressée a bien tenté de minimiser une action qu’elle n’a sans doute pu conduire qu’avec le concours d’un gouvernement corrompu ; peu importe : elle a aidé à tricher vis-à-vis de l’UE. Entre parenthèses, on peut se demander comment les autorités de Bruxelles n’ont pas été à même de déceler, il y a déjà plusieurs années, un montant aussi élevé. Je suis prêt à croire que la plupart d’entre vous ne porte aucune responsabilité dans les turpitudes de la banque incriminée. En revanche, vous ne pouvez sans autre rejeter le fait que votre présence en son sein lui donnait une crédibilité à la mesure de votre autorité ; afin d’éviter toute confusion, je pense qu’il serait bon, eu égard à la situation dramatique de la Grèce, que vous condamniez publiquement et sans appel les agissements indélicats de Goldman Sachs dans ce pays. Ce serait un premier pas dans la direction d’un retour à une morale faisant cruellement défaut à ce jour et, de surcroît, une incitation à l‘ouverture d’une procédure judiciaire par les autorités de Bruxelles.
L’abandon d’une partie des créances bancaires envers la Grèce, détenues par des banques européennes, qui semblait acquis il y a peu de temps, est, apparemment, remis en question. Ne serait-il pas opportun que Goldman Sachs soit invitée à contribuer, à titre compensatoire en raison de ses fautes, pour un montant comparable à celui de l’ensemble des banques européennes, à la réduction de la dette grecque ? Alors, oui, il serait possible d’envisager une dette compatible avec les ressources du pays et, surtout, d’affirmer que la justice considère les faits sans tenir compte de la situation de ceux qui les ont provoqués, contrairement à ce que prétend malheureusement le grand Jean de La Fontaine.
Je vous prie de croire, Messieurs, à l’assurance de ma très haute considération."
Prof. Hon. Jean-Louis Juvet
Dr H.C. Ancien administrateur principal de l’OCDE, ancien directeur général d’un organisme professionnel dans l’Union Européenne
PS. Cette Lettre ouverte du Professeur Jean-Louis Juvet pose des questions d'une grande pertinence – questions que l'on évite généralement d'aborder quand on évoque la question grecque. Je la publie donc avec un vif intérêt. Merci à Jean-Louis Juvet pour cet éclairage original.
Mille Plateaux a été, dès l'origine, un blog interactif qui a abordé de nombreux sujets : le vin et la gastronomie certes, mais également la littérature, la philosophie et l'économie. Cette contribution s'inscrite donc tout à fait dans cette tendance.
25 Comments
Petit rappel:
fev 2005 mise en garde adressée à la Grece par le conseil Ecofin pour situation de déficit excessif
mars 2005 Eurostat dit ne pas etre en mesure de valider les chiffres communiqués par les autorités grecques
Fev 2006 un rapport du FMI pointe le manque de transparence des finances publiques grecques
(extrait de Jean Pisani-Ferry Le reveil des démons)
Oups sorry j’avais oublié tout ca est de la faute des affreux financiers et les gars qui ont bossés chez Goldman sont tous des enfants de Satan…
Hum c’est pas un peu simple comme histoire tout ca?
Et toute ces lignes juste pour dire que GS a aussi une part de responsabilité dans l’affaire c’est pas un peu tarte à la crème non?
Tout comme Olivier,
je trouve cette lettre malheureusement consternante de simplisme… Ce genre d’arguments trouve effectivement une résonance facile dans l’opinion publique, mais ne brille pas par sa rigueur. En fait, il est même assez fortement populiste/poujadiste…
François R, que vient faire le poujadisme là dedans ? Quant au simplisme, on ne sait pas très bien de quel côté il se trouve. Ne pêchons pas par angélisme. Cette histoire est compliquée et les Grecs ont leur part de responsabilité dans l’affaire. Cela dit, les rapports troubles qu’a entretenus G/S avec la Grèce depuis 2001 sont une réalité. G/S a aidé la Grèce à rendre ses comptes présentables en pratiquant du swap de devises très astucieux. Et dès 2009, G/S a joué sur plusieurs tableaux, rassurant d’un côté les marchés à travers des falsifications comptables, encaissant des commissions substantielles pour le prix de cette cosmétique, ce qui ne l’empêchait pas de spéculer, par ailleurs, sur une faillite possible de la Grèce… Et où sont aujourd’hui certains des stratèges de G/S ? On est toujours le naïf de quelqu’un d’autre…
@Epiméthée:
Justement concrètement tout ceci est bien flou:
-Concernant le lien de toutes ces personnes de passage à GS, en même temps? dans le même service, département, activité? un lien hiérarchique? même promo de master? rien juste un "est passé à GS" comme si c’était une secte…
-Qu’a gagné GS dans cette cosmétique? 1 million, 10, 100 un ordre de grandeur rien..hum je redis le dernier montant alloué?
-concernant le double jeu de GS, combien de couverture contre le défaut de la Grèce (les fameux CDS) à elle vendu, la proportion par rapport au total, toujours rien?
En vain j’interroge (pour reprendre un début d’opéra célèbre…) cet article et je ne trouve rien, rien de nouveau voili voila.
Si ce n’était "GS", ce serait un autre.
Toutes les règles de droit existent, par principe dans nos démocraties, pour limiter ces dérives et empêcher l’accaparement du pouvoir par quelques-uns.
Pourquoi ne sont elles pas respectées ?
"Il faut que le peuple combatte pour sa loi, pour celle qui existe, comme pour un rempart." Héraclite
Il ne s’agit pas de faire la révolution …
@ Candide: Ben j’ai bien l’impression que le peuple grecque à troqué Héraclite et les autres anciens pour s’adonner au sport national favori: comment faire pour ne pas payer d’impôts…
Pensez-vous que la situation dramatique dans laquelle se trouve le peuple grec résulte de sa réticence à payer des impôts ?
Que Goldman ait la maladie de Sachs, ne devrait étonner personne vu que les "sciences" économiques relèvent plus de la psychologie que d’une science exacte.
Epiméthée,
Poujadisme, au sens de condamnation des politiques au nom de la défense de la classe moyenne, sur fond d’attaque virulente de la grande finance / grande industrie… (ou synonyme un peu galvaudé de populisme)
C’est bien de cela qu’il s’agit, non?
François R,
Critiquer les positions spéculatives de hudge funds et la menace qu’ils font peser sur le fonctionnement de nos démocraties, c’est se montrer poujadiste ?
Critiquer les manoeuvres anti-démocratiques qui président à la mise en place de l’ACTA (voir l’article de J. Attali sur son blog), c’est se montrer poujadiste ?
Ce ne sont pas "les politiques" qu’il faut condamner, c’est leur absence.
Candide,
restons en à ce texte: là, oui, c’est Poujadiste.
Dans votre réponse, honnêtement, vous mélangez tout… L’ACTA, les Hedge Funds… Bien confus tout ça!
Et pour votre billet précédent: oui, malheureusement, cette difficulté à faire rentrer l’impôt est une des composantes importantes de la crise actuelle.
J’évoque l’incidence d’acteurs économiques qui ont la tentation, ce n’est pas nouveau, d’échapper à tout contrôle et, ça l’est davantage, provoquent, par la spéculation (comment justifier la spéculation sur le soja, par exemple ?) des bouleversements qui dictent à des états démocratiques (ou non) leur conduite.
Le difficulté à lever l’impôt est certainement une question importante dans le cas de la crise en Grèce. Est-ce aussi le cas en Irlande, au Portugal, en Espagne, en Italie, en France …?
Les hedge funds ne sont pas si étrangers au sujet posé
finance.blog.lemonde.fr/2…
@Candide: sur le rôle des Hedge funds dans la crise, de Paulson et GS un livre bien plus intéressant:
Michael Lewis
Le casse du siècle The Big Short
La vérité est hélas bien plus triste que cela…
En plus l’article insiste sur la séparation entre banque d’investissement et banque de détail qui est complètement à côté de la plaque pour moi: le plus grand problème est dans le levier des banques(combien de sous de côté par rapport aux sous prêtés) et dans le shadow system (les activités financières passant en dehors de la régulation)
Pour la Grèce, de tête, y aussi 130% d’augmentation des salaires… non vraiment non cela n’a rien à voir avec la crise argentine ou votre propos sur le peuple me semble fort à propos mais qui s’est ému du cas de l’Argentine à l’époque?
Le Crédit Agricole ?
Merci de votre avis sur le livre, je vais me le procurer.
François R
Le poujadisme, c’est à l’origine tout autre chose…
Ici, il ne s’agit pas de condamner les politiques à des fins démagogiques. Il s’agit de mettre en évidence la part de responsabilité de certains établissements financiers dans l’aggravation de la crise, déjà endémique, de la Grèce. Ainsi que la collusion trouble entre pouvoir économique et pouvoir politique.
Gauchissement léger, poujadisation, d’un fragment d’Héraclite, pour amuser François R à propos des impôts qui, comme chacun le mesure, doivent être faciles à lever et toucher le plus grand nombre, pour ne jamais combler tout à fait aucun déficit creusé par d’autres:
Amputant, cautérisant, torturant leurs patients de mille manières, les médecins se plaignent de n’en point recevoir les honoraires qu’ils méritent en faisant ces choses-là.
Le communisme est mort a-t-on pu dire de ne pas avoir su calculer des coûts de production, le capitalisme mourra-t-il de en pas avoir su mesurer la solvabilité de ses emprunteurs, c’est la question. mais comme je viens de lire qu’aucun économiste n’a, à ce jour été capable d’expliquer comment le prêt à intérêt pouvait fonctionner ou comment 100 peut donner 104 on se dit que le seul capitaliste sérieux était Madoff, un gars qui emprunte en sachant qu’il ne remboursera pas, tout le reste est du pipeau
et comme disait le ministre de louis XV"les pauvres ils n’ont pas d’argent mais ils sont nombreux"
Bingo ? un jeu peu répandu par nos contrées;
@Epiméthée et Candie:
enfin en attendant c’est toujours les mêmes qui font les chèques (et plutôt maouse les montants) et donc tous les citoyens de la zone euro in fine et que j’ai le vague sentiment qu’au lieu d’être remercié on nous crache à la gueule dingue quand même, cf par exemple le coup du référendum, non?
Le coup du référendum ? Je ne sais pas. Ce doit être un bon moyen de trancher des questions importantes en cas de crise, mais ce n’est pas un moyen de gouverner; ça ne peut pas se substituer à la démocratie représentative que nous connaissons, ni singer la démocratie directe que nous avons oubliée. Puis ça me rappelle cette blague: quelle est la couleur du drapeau français ? Répondez par oui ou par non
"quelle est la couleur du drapeau français ? Répondez par oui ou par non" :
It makes my day ! :-)))))
http://www.youtube.com/watch?v=S...
" À cette heure matinale, l’endroit offrait un calme, certes précaire, mais pour l’instant, propice à la réflexion. Naturellement il n’était pas dans l’intention du jeune homme de réfléchir encore sur la pérennité de la bêtise humaine, ni vitupérer les minables dirigeants de ce monde, tous ces sujets étant depuis longtemps épuisés et ne méritant aucune nouvelle critique plus approfondie. "
Albert Cossery