Minetti, artiste en disgrâce, intransigeant, burlesque, n’est plus monté sur scène depuis 32 ans. La société lui a fait payer son refus, celui de la littérature classique, Lear excepté :
« Tout ce qui se donne ne fût-ce que l’apparence / d’être classique / j’en ai horreur / je fuis le classique madame / un artiste important doit fuir le classicisme. » (Thomas Bernhard)
"Je fuis le classique madame…"
Tout comme le vrai Minetti, pour lequel Thomas Bernhard a écrit cette pièce en 1976. Enfin, presque… Bernhard Minetti (1905-1998), acteur célèbre, reconnu, joue l’autre Minetti, le furieux, l’écorché, l’homme sans masque, porte-parole de Thomas Bernard :
"J'ai toujours écrit pour des comédiens, jamais pour un public car je n'écris pas pour des idiots, seulement pour des comédiens comme Minetti, c'est à dire des "hommes de l'esprit", même si des idiots ont joué dans mes pièces. Le public est l'ennemi de l'esprit, c'est la raison pour laquelle je me contrefiche de lui… Il est et doit rester mon ennemi".Thomas Bernhard
L’écriture comme un règlement de comptes, motif très bernhardien, lui qui a interdit la représentation de ses œuvres – pays abhorré à cause de son nazisme – pendant 70 ans après sa mort…
Et nous, public ennemi, assistons à ce long monologue où Minetti, comme étourdi de ce que sa parole recèle encore de musicalité, évoque l’art comme une catastrophe, l’impossibilité d’être vrai absolument, la question de le représentation et de ses doubles, la vieillesse, l’exigence de solitude, l’anéantissement, la question de l’adresse aussi…
A qui s'adresse-t-on quand on parle ?
Car à qui s’adresse-t-il vraiment, Minetti ? Au réceptionniste muet ? A ce passant aveugle, Gloucester, sorti désemparé du roi Lear ? A la femme ivre au masque de singe qui squatte le hall d'entrée ? Elle attend l’ivresse qui lui permettra de se rejoindre enfin dans le sommeil. A ce nain en livrée qui n’a d’yeux que pour la valise contenant le masque de Lear ? A la très jeune fille (superbe Julie-Marie Parmentier !) qui attend son amoureux : la vie qui s’offre, miraculeuse, préservée, sous des airs jazzy de Barney Wilen et de Tom Waits ?
A nous enfin, ennemis déclarés, qui ressemblons à ces masques et à ces épaves traversant la scène, pas gênés d’applaudir à la fin du spectacle la performance exceptionnelle de l’acteur principal (sublime Michel Piccoli, émouvant, vrai, intense, génial enfin, qui réussit à nous faire oublier Michel Piccoli), et la beauté sobre, dépouillée et ironique de la mise en scène d’André Engel.
Oubliant sans doute que, pour une fois, ce qui s’est passé ici, sur scène, n’est ni de l’ordre de représentation ni de celui de la fiction divertissante, mais de l’essence même du tragique qui est celui de la fureur.
Voilà pourquoi il faut relire Thomas Bernhard. Fais de beaux rêves, public ami.
Théâtre de Carouge jusqu’au 9 mars. Puis au Théâtre de Vidy du 21 au 25 avril, puis du 12 au 17 mai.
13 Comments
C’est vraiment schtroumfant ces photos "centrées à gauche" quand la légende est à sa place …au centre.
Ces comédiens de 80 ans et plus sont impressionnants d’énergie.
Pour monter sur scène pendant une heure trente ou plus à cet âge, il faut une dose d’amour de la vie, de son métier et du public exceptionnelles.
Rien que pour cet amour, chapeau les comédiens !
laurent
Figure en tournee perpetuelle, qui joue maintenant dos au public, enfin presque
http://www.youtube.com/watch?v=6...
Heureux pour Julie Marie que j’avais vue au cinéma dans "le ventre de Juliette" et qui n’a rien d’une bimbo.
J’ai oublié de vous dire que je suis le président à vie du fan club d’Isabelle Carré (touchante en érotomane dans Anna M et sur les planches dans "l’hiver sous la table").
Parcours éclectique (à la Denis Lavant ?) :
http://www.evene.fr/culture/agen...
Jacques,
Publication incrémentale ?
Pour rebondir sur la première phrase du texte de Jacques : http://www.dailymotion.com/searc...
Laurent (sans G), pour avoir fréquenté un peu le milieu de la scène par personne interposée, un vrai comédien, un grand, pétri de moelle et de charisme, plus ça vieillit, plus ça engrange des kilomètres de vie, et plus ça "renvoie" ensuite sur scène. Passé la soixantaine, les "meilleurs" deviennent souvent carrément géniaux, jouant plus que jamais avec leur tripes.
Voir pèle mêle Rochefort, Noiret, Bouquet, Serrault, Rich, Terzieff, Hirsch, Galabru, etc, etc…
Mais pour voir ça, il faut aller au théâtre mon vieux, et fermer son album de la soupe aux Schtroumpfs !
😉
Non mais, il m’insulte le gamin !
Dis donc Le Petit Nicolas, si tu poursuis sur cette voie, j’aurais le choix des armes. Aussi, pour te faire pardonner, une dégustation de Beaujolais tu m’organiseras.
A son sujet, le Beaujolais, il sera à l’honneur cette année à Arvinis avec l’association "Expressions d’Origine, Domaines & Châteaux en Beaujolais".
Soupe schtroumpfante hier : velouté de potiron et crème fraîche fouettée au gingembre. Admirable.
laurent
On a parlé d’écorchés vifs récemment …
http://www.youtube.com/watch?v=E...
Le Petit Nicolas, je l’attendais celle là !
Je suis au courant pour cette dégustation, à laquelle j’irai certainement d’ailleurs. J’ai assisté à leur première parisienne à l’automne dernier. Beaucoup de bons voir très bons vignerons, effectivement, et des gens charmants qui plus est.
A Laurent(G cette fois) : tu aurais pu me dire que ton homonyme helvète avait aussi des racines "corses"…
😉
Nicolas,
http://www.premiere.fr/film/Le-P...
Du gamay ? quelle idée !
Merci pour votre note sur le spectacle qui se joue encore jusqu’à dimanche au Théâtre de Carouge.
Il s’avère que je viens d’ouvrir le blog du Théâtre et que vous y trouverez des interviews qui peuvent vous intéressé.
Je souhaiterai également mettre en lien votre blog et pourquoi vous de même de votre côté… j’attends votre réponse.
Bien à vous. Erika Wiget
Assistante communication Théâtre de Carouge.
Pas de problème pour les liens, c’est très volontiers. La question est : y a-t-il encore des places disponibles ?
http://www.tnt-cite.com/index.ph...
Et un beau film, d’atmosphère, dont je sors à l’instant.
http://www.telerama.fr/cinema/fi...