Disons : si j’avais le temps !
Trop de projets. Trop de volitions. D’envies de vivre autre chose. Malgré tout l’amour de la montagne et de l’escalade que je garde en veilleuse.
Pour l’instant.
Zut, il est midi passé : c’est fermé.
Passe un gaillard qui m’invite à entrer. Filiforme. Aérien.Taillé à coup sûr pour l’escalade. Il a, au coin du regard, cette flamme qui danse.
Je le branche sur Buoux, le célèbre spot de grimpe voisin, et c’est parti ! Je capte très vite que ce monsieur, pas hâbleur pour un sou, a des arguments sérieux, qu’il n’appartient pas exactement au genre dilettante appliqué qui séjourne dans les étages inférieurs.
Il s’agit de David Chambre, un des grands de l’escalade française !
• David Chambre, qui êtes-vous ?
J’ai 46 ans, grimpeur polyvalent (falaise, bloc, montagne, cascade de glace).
• Quel est votre itinéraire ?
Après des études de géographie (DEA) à la Sorbonne, j’ai bifurqué vers l’escalade. C’est sans doute la raison pour laquelle je suis connu dans le milieu comme l’ »intellectuel de la grimpe ». Je fais partie d’une génération qui a vu arriver les premiers grimpeurs professionnels. Avec Jibé Tribout, les frères Ménestrel, on nous appelait la « bande des Parisiens ». Au départ, nous étions opposés à la compétition : nous avons signé le « manifeste des 19 » ! Puis nous avons retourné notre veste. Question de sponsoring !
Très vite l’escalade de compétition a ensuite été récupérée par le système, les fédérations, etc., et c’est rentré dans la case. En France, tout est récupéré.
De toute façon, l’escalade n’est jamais devenue un sport médiatique. Hormis certains grimpeurs qui ont un charisme particulier, à l’instar de Chris Sharma.
• Comment avez-vous découvert la montagne et comment voyez-vous l’évolution de l’alpinisme ?
Au départ ce qui nous a fait rêver, c’est Bonatti, Messmer, les grandes épopées. Au début, c’était comme un nouveau monde qui s’ouvrait à moi, comme une nouvelle naissance.
J’ai toujours voulu intégrer ma pratique dans une histoire de l’alpinisme. J’ai participé à la création de Vertical avec Bruno Cormier. J’ai écrit dans pas mal de magazines. J’ai retrouvé cet esprit dans Alpinist, un magazine qui vient d’être repris.
C’est dans cette perspective que Jibé et moi avons écrit Le Huitième degré (dix ans d’escalade libre en France) paru chez Denoël.
Aujourd’hui, la plupart des jeunes grimpeurs, parfois à un assez haut niveau, n’ont aucune connaissance de l’histoire de l’alpinisme. Ils n’éprouvent pas le besoin de théoriser leur activité. Beaucoup se contentent d’aller sur 8a.nu et de rentrer leur Score Card…
A 30 ans environ, je suis arrivé à mon top niveau. Tous les sportifs ressentent ça à un certain moment. Soit on laisse tomber l’affaire et on passe à autre chose. Soit on continue, différemment. Bien sûr, on devient moins fort et le sponsoring s’arrête… Nous avions vraiment pris le risque d’arrêter tout métier pour nous consacrer exclusivement à la grimpe. Pour nous, c’est un mode de vie. Bien sûr, après, il peut y avoir des ondulations de la volonté. Cela dit, je suis surpris par le niveau de grimpe actuel de certains grimpeurs qui ont dépassé la cinquantaine. Bon, l'escalade, c'est un bon moyen pour rester jeune…
• Vous avez la réputation d’être un grimpeur polyvalent, ce qui est plutôt rare dans le système. En même temps, vous ne vous êtes jamais installé à Chamonix ?
Je préfère le sud. Cham’, c’est le néant au niveau culturel et, en hiver, tu ne vois pas le soleil. Ce sont des itinéraires… Et puis, je n’avais pas trop envie de faire le guide pour vivre. Il y a des gens qui envisagent l’escalade intégralement comme un sport. Moi, j’y suis venu par la montagne. Je pratique également la très haute montagne. Je suis allé en Himalaya et dans les Andes. Après ma rencontre avec Frédéric Gentet, je me suis mis à la cascade de glace. On est allé au Ben Nevis, dans d’autres endroits. Techniquement, quand on est un bon grimpeur, ce n’est pas trop dur mais il faut accepter les risques. Mais c’est comme en escalade, j’ai fait pas mal de solo intégral durant une brève période de ma vie…
Il faudrait demander à un psy… Et puis, quand on est jeune et qu’on n’a jamais eu d’accident, on éprouve un sentiment d’invulnérabilité. Maintenant, on arrive à une période de notre vie où le temps devient plus compté pour faire ce qu’on a envie de faire. La grimpe est une activité tellement riche, il y a tellement de façons de la pratiquer qu’on ne s’en lasse pas. Parfois on en meurt aussi. Je viens d’apprendre la mort de John Bachar qui s’est tué dimanche au Yosemite…
24 Comments
Jacques,
Est-il possible de réellement pratiquer après 3 ans d’arrêt (les muscles, les doigts aguerris au seul clavier, …) ?
J’ai toujours été terrorisé par l’escalde (le vide visible).
Beaucoup mois par la spéléologie (le vide invisible).
Voir avec mon psy également …
Beau portrait.
J’ai d’abord cru voir une photo de Jean-Louis Chave (probablement parce que je sortais d’un bel Hermitage blanc 96, opulent à souhait, mais avec des accents trompeurs de chardonnay – voire de sémillon (Laville Haut Brion)).
"J’ai d’abord cru voir une photo de Jean-Louis Chave (probablement parce que je sortais d’un bel Hermitage blanc 96."
Plutôt probablement parce que la presbytie guette … C’est sûr, c’est moins glamour.
Moins glamour pas sûr …
Plus tétanisant, certainement. 🙂
Cela dit, à 30 ans, un vigneron émerge seulement, non ?
Je réponds à ta question Laurentg. C’est quelque chose disons de magique et de passionnant : après trois ans d’interruption forcée, je n’ai bien sûr pas la même conti’ et résistance mais, pour le reste, j’ai EXACTEMENT les mêmes sensations qu’avant mon accident. Je peux même faire le yaniro à la poutre. Alors, merci les médecins et les physio !
http://www.grimpavranches.com/Bio%20Toni%20Yaniro.htmIl est vrai cependant que j’ai un peu "triché" et que, depuis un an, je pratique assez sérieusement des disciplines proches de la danse. Et comme l’escalade est une forme de danse verticale…
Ressemblance Chave-Chambre. Il y a quelque chose, Laurent, il y a quelque chose. Le même côté sec, habité, hanté peut-être. Un brin cistercien.
Qui se souvient de Thomas Gross au Dru, de Wenzel Wodicka travaillant Ravage et de Jean-Christophe Normand grimpant en solo et à pieds nus des voies extrêmes dans son jura natal ? Pour changer de sujet, j’ai eu le privilège de dégusté hier soir un superbe Fleurie 2005 à Olivier Merlin ! Un fruit juteux, gourmand et racé sur la retenue (ma note, 7c+ ou 8a-). Bravo à ces artisans du sud de la Bourgogne qui dans un certain anonymat font vibrer nos papilles de leurs excellents breuvages.
Salut John Bachar…
Tof, tu notes les vins ? 😉
Et un rêveur qui disparait… C’était bien cette semaine à Sierre ?
Dégusté tout récemment ton Travers-Saint 07 que tu m’as offert : pas de note, mais des sourires sur les lèvres des convivies et du plaisir pour tous. Merci !
Hier, j’ai quasiment accompagné jusqu’à son train vers Avignon un vigneron que nous avons rencontré ensemble tout récemment.
Je lui souhaite une belle semaine de théatre à lui et son épouse dans la cité des Papes.
Laurent
Christophe : oui, qui se souvient de Thomas Gross avec sa guitare dans les Drus ? Sa voie n’a guère été répétée et elle a disparu partiellement lors du récent éboulement. Et Absolu de Grenier ?
Petit coup de projo sur mon ami Thierry Renault (avec qui j’ai pas mal grimpé) et qui en parle ici : http://www.tvmountain.com/index….
Magnifique entrevue.
Superbe. J’aurais aimé en entendre plus sur sa pratique du solo… qui m’a toujours fasciné, mais je n’ai jamais franchi le pas ( à part anectodiquement dans du très facile). Ma curiosité vient d’être aiguillonnée par cette rencontre surréaliste:
dimanche, en 3eme longueur d’une belle voie sur la falaise des Awirs (belgique), nous sommes soudain dépassés par un habitué, portant ses 75 ans comme un charme, et en solo intégral.Et il courrait comme un lapin!!! Arrivé en haut de la voie, il nous a expliqué qu’il avait découvert l’escalade il y a un peu plus de 5 ans, et qu’il grimpait depuis tous les jours en solo lorsqu’il ne pleuvait pas. Détail amusant:pour lui, il ne faisait pas de solo, mais c’était nous qui faisions " de la corde "…
François
Pour les amateurs d’escalade en Valais et dans le Chablais vaudois, un journal annonce la publication nouvelle de "Les Carnets d’Escalade" par François Roduit.
Plus d’infos en suivant ce lien:
http://www.lenouvelliste.ch/fr/n...
Cher Jacques,
Le regard …
Et il faut voir l’attitude zen de Jean-Louis Chave dans son chai si particulier.
Merci encore pour ces pages de toute beauté …
François : il faut que tu lises la nouvelle de Erri de Luca consacrée au vieux grimpeur solitaire qui se bat dans une voie avec un jeune grimpeur arrogant. C’est dans le livre "Le contraire de un".
Michou : merci pour ce lien sur "les Carnets d’Escalade" de mon ami Roduit, dit Peppone. Grand arpenteur des parois et falaises du Valais du sud. L’homme qui a ouvert une voie qui s’intitule "L’amour" et qui, régulièrement, prête à une plaisanterie salace entre grimpeur et grimpeuse.
A propos du manifeste des 19, le seul à avoir tenu la règle, c’est notre regretté Patrick Bérhaut ! Moi qui t’ai croisé à l’ENSA, j’étais comme un enfant voyant son idole…
http://www.dailymotion.com/video...
Merci pour ce lien, Christophe. Je vais me procurer le DVD. Il nous manque à tous le Bérhault. Je l’ai rencontré un jour dans la rue, à Chamonix. Il avait cette flamme dans les yeux, cet air de ne pas prendre la vie au sérieux, de s’amuser, d’être heureux d’être là, de partager… Un grand monsieur qui s’est pourtant laissé prendre à son propre piège, celui de l’homme invicible. Les Grecs appellent cela l’hybris… Mais vouloir tutoyer les dieux, n’est-ce pas un peu normal pour un héros ?
Trois ans déjà! Tu as encore le temps, Jacques, le temps où il ne sera plus possible de résister au désir du contact avec le rocher (rien à voir avec le plastique des murs de grimpe). Il y en a qui ont arrêté la varappe (comme on le disait à l’époque) pendant 10 ans, suite à un baptême avec la foudre au sommet de l’Aiguille du Requin, à 19 ans… Reprendre pour le plaisir uniquement! Patience…
Et oui, Michel, l’Aiguille du Requin par temps d’orage, les abeilles, la mort qui vous frôle. "On n’est pas sérieux quand on a dix-neuf ans…"
Reinhold Messner. Légende vivante de l’alpinisme, l’ex-député européen écolo parfois controversé, 66 ans, reçoit ce soir un piolet d’or.
http://www.liberation.fr/sports/...
Ah vraiment, c’était le moment… C’est un grand, qui a été marqué à vie par la tragédie du Nanga Parbat où son frère n’est pas redescendu. En plus, il produit du vin !
Oui, le récit de cette redescente est hallucinant !
Alpinisme : une Sud-Coréenne dompte l’Annapurna et s’offre un record :
http://www.lemonde.fr/sport/arti...
Bravo à elle et dommage pour Edurne Pasaban, la belle Espagnole qui a tant souffert… Regardez cette séquence hallucinante ! Bon, j’entends déjà bêler la cohorte des bien-pensants : mais qu’est-ce que vous allez chercher là-haut au lieu de rester tranqillement chez vous à regarder le match de foot à la tv ?
http://www.youtube.com/watch?v=B...
Bravo à elle et dommage pour Edurne Pasaban, la belle Espagnole qui a tant souffert… Regardez cette séquence hallucinante ! Bon, j’entends déjà bêler la cohorte des bien-pensants : mais qu’est-ce que vous allez chercher là-haut au lieu de rester tranqillement chez vous à regarder le match de foot à la tv ?
http://www.youtube.com/watch?v=B...
Vu le monstre de loin, en sillonnant les inoubliables plantations de thé de Darjeeling :
http://www.expeterra.com/images/...
"L’être humain ne se trouve lui-même qu’avec l’autre être humain, et jamais par le seul savoir. Nous ne devenons nous-mêmes que dans la mesure où l’autre devient lui-même, nous ne devenons libres que dans la mesure où l’autre le devient aussi."
Karl Jaspers