L’une feint de se dissimuler derrière une longue écharpe rouge. Dans la même tonalité une pelote de laine – énorme – est posée sur les genoux de la seconde. Ainsi, elles sont unies à travers le même fil. Des sœurs peut-être ? Figées dans une attente sans fin.
Je cherche en vain à capter leur regard. Il est si déterminé qu'il recèle une part de vérité inaccessible. Pour donner le change sans doute se sont-elles risquées à y introduire quelque chose de dur, d’inhumain.
Celle qui se cache un peu m’intéresse surtout. A-t-elle toujours les yeux bleus ?
« Physiquement, elle avait changé aussi. Ses longs yeux bleus – plus allongés – n’avaient pas gardé la même forme ; ils avaient bien la même couleur, mais semblaient être passés à l’état liquide. Si bien que, quand elle les fermait, c’était comme quand avec des rideaux on empêche de voir la mer. » (Proust, la Prisonnière)
Irène Hug, Haben und Sein, 2006
Puis la scène change. Bascule.
C’est une femme âgée, maintenant, les traits lourds, la silhouette lasse qui vient de s’immobiliser, derrière des caisses de bières. Tous les signes de la consommation sont là, qui la cernent, euphorie de surface.
C’est une femme âgée, maintenant, les traits lourds, la silhouette lasse qui vient de s’immobiliser, derrière des caisses de bières. Tous les signes de la consommation sont là, qui la cernent, euphorie de surface.
Chaque matin je passe devant elle et suis effaré par la quantité infinie de renoncement que présuppose ce que nous appelons la vie.
Plus loin, ce tableau, façon shunga, fusionnel, qui mêle avec allégresse les corps et les désirs. Pendant qu’un Pinocchio priapique du nez verdit de plaisir.
Nous sommes ici au troisième étage d’une galerie peu conventionnelle, au cœur des montagnes de l’Engadine. A Zuoz, plus exactement.
Nous sommes ici au troisième étage d’une galerie peu conventionnelle, au cœur des montagnes de l’Engadine. A Zuoz, plus exactement.
En repartant, je mettrai un CD de Eels (prodigieux !) dans la voiture. Ce sera Blinking Lights ou Novocaïne for the soul. Tous les signaux vireront au rouge. Je devrai probablement m’arrêter au bord d’un lac et attendre que l’orage passe.
Eels : life is hard…
Le lieu Hôtel Castell – 7534 Zuoz.
9 Comments
Va falloir consulter en urgence, Grand Jacques !
Qui? Dr Freud ou Mme Irma?
Va savoir !
Le manque d’oxygène à ces altitudes !
Trop long séjour aux Grisons, cuisines miniatures, champignons tardifs ou précoces : plein de choses bizarres là-bas.
C’est bien pour cela que cela s’appelle "grisons"
Il se passe vraiment des choses surréalistes, excitantes, dans les Grisons. Tant pis pour les blaireaux et les belettes qui n’y entendent que le couic !
Je rassure tout de suite le Dr. SIGMAUSS. Ni intoxication aux champignons, ni hypoxie, ni novocaïne. Tout va très bien. Juste l’air vif, tonique, extravagant, nietzschéen des Grisons, du Champagne en consommation libre, qui grise un peu (bien vu Armand).
Et la musique de EELS, que j’ai découvert (trop) tardivement et que je recommande à tous les esprits libres. C’est sans doute le groupe le plus inventif et le plus joyeusement déjanté de ces dix dernières années. Et dire que ce n’est pas programmé à Paléo. Un scandale !
Promis, demain, je serai sérieux comme le plaisir !
Enfin, presque…
Sois précis mon Grand Jacques : quel morceau de EELS ?
Fusion, quand tu nous tiens !
Hypoxie : Quantité insuffisante d’oxygène que le sang distribue aux tissus.
Novocaïne : moins bien que Musigny 05 de Sylvain Pitiot.
François, chez Eels, tout est bon, comme dans le cochon ! Rien à jeter : chaque morceau est un vrai petit bijou, un tube en devenir. A écouter en famille puisque tu as des grands garçons en âge de s’intéresser aux choses sérieuses. S’il faut commencer par un album, disons "Blinking lights and other revelations". La novocaïne est une métaphore pour tous ceux qui n’ont pas (encore) eu cette chance, déguster le Musigny 2005 de Pitiot !
Eh oui "Haben und Sein" c’est pas "Sein und Zeit".