Où êtes-vous ?
Ailleurs.
Où ?
Dans les arbres ?
Non. Vous n’êtes pas dans les arbres.
Non. Vous n’êtes pas dans la boucherie.
Vers la fin. Je suis vers la fin.
Puisque tant de personnes parlent, ici comme ailleurs, au bord du vide, sans certitude d’être entendues, comptons les voix : voix de Monsieur T. comme désincarnée, sans passé, sans avenir ; voix de la narratrice ; voix de la femme de Monsieur T. qui nie toute responsabilité de son mari dans le processus qui l’a amené à vouloir la tuer. Procès-verbaux des séances avec Monsieur T. On devine le regard clinique, distant, du thérapeute lucide, revenu de tout, sauf de la pharmacopée. Voix de la narratrice encore, dérivant imperceptiblement vers autre chose ; elle finit par rejoindre celle de l’auteure et ses motifs secrets.
Je m’appelle Olivia Rosenthal
J’ai trente-neuf ans.
Je suis née à Paris dans le neuvième arrondissement.
Sonder ce passé qui se dérobe, tenter de dire les motifs de l’inconscience définitive de Monsieur T., se mettre à sa place, tenter de le comprendre, de l’intérieur, ne serait-ce pas vouloir s’approcher de ce qui vous hante, de la disparition qui est comme un trou dans votre biographie, votre propre tache aveugle ? Et là cette douleur qui surgit sous la forme d’une dévastation :
Je me demande comment aurait été ma vie si ma sœur n’avait pas mis fin à ses jours
Interrogation lapidaire. Question absurde. L’écriture est là pour se sauver de ce désastre, le neutraliser peut-être. Le récit d’Olivia Rosenthal, jamais grave, ou inutilement pesant, est émaillé de petits exercices de mémoire et de survie, manière ironique de déjouer les tests hallucinants utilisés pour déterminer d’une façon scientifique si tel ou tel sujet est entré dans le processus de la maladie de A. Les Mini-mental state (MMS)
Faites un exercice
Souvenez-vous du plus intense moment que vous ayez jamais vécu et projetez-vous dans une vie où ce moment se répèterait à l’infini, exactement égal à lui-même.
Cette projection vous paraît-elle définir convenablement la forme idéale que devrait prendre le bonheur ?
Lisez ce livre fort et nécessaire. A la fois comme une urgence et comme un exercice salutaire. Il nous parle de ce que nous étions, des lignes de faille qui peuvent parfois traverser des vies, de ce que nous serons peut-être, à la fin. Du jeu infini de la littérature avec ce que nous appelons le réel.
L'auteure, le livre : Olivia Rosenthal, on n’est pas là pour disparaître, verticales / phase deux.
On n’est pas là pour disparaître vient d’être couronné par le dixième prix Wepler et je suis tombé sur ce livre par hasard en entrant dans Les Cahiers de Colette, rue Rambouteau 35, samedi dernier à Paris. Une librairie tenue par Colette Kerber avec une âme de vraie libraire et un regard lumineux.
* La maladie d'Alzheimer et les troubles apparentés concerneraient aujourd'hui plus de vingt millions de personnes dans le monde. D'ici une trentaine d'années, ce chiffre pourrait quadrupler selon les prévisions des experts !
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