Quand ils sont apparus, déjà dans leur voix ils avaient ces éclats de nuits, des soleils de Big Sur, ces désastres lumineux et ces gloires… Sans presque se chercher, leurs voix s’étaient trouvées : quand ils se mirent à chanter, ce fut pour beaucoup le signe d’un ralliement, d’une révélation, d’extases définitives. S’ils avaient été des prophètes, nous aurions cru en leurs prophéties. Si les anges avaient voulu chanter, c’est à eux qu’ils les auraient empruntées, leurs voix…
Sans se chercher, leurs voix s’étaient déjà trouvées : leur manquait encore l’étincelle, le génie sombre, le prodige : ce fut Neil Young lui-même, déjà croisé dans les parages du Buffalo, qui les rejoint, après leur premier disque (1969), platoniquement intitulé Crosby, Stills and Nash. Et pour une première galette, quel carton : plus de quatre millions d’exemplaires déjà vendus !
Graham Nash, David Crosby et Stephen Stills (photo Henry Diltz)
On ne devient que ce dont on hérite. Il suffit d’être à la hauteur de ses dons. Transformé en quatuor, le trio du début introduit avec Neil Young le feu et l’ombre, l’électricité des villes fiévreuses et la solitude des grands espaces.
Désormais quatre : Crosby, Stills, Nash (& Young) seront un et multiple, traçant, dans l’héritage musical de ces années-charnière, entre rock et folk song, leur propre route, dessinant de nouveaux territoires, synthèse excitante, parfois contradictoire, de quatre musiciens d’exception :
Neil Young, l’Indien, le bigarré aux tourments réels, à la voix écorchée. David Crosby, à la voix miraculeuse, « un architecte de l’harmonie », selon Dylan ; Stephen Stills, bluesman accompli, aux talents multiples et Graham Nash, « transfuge » british, esthète à la voix médulleuse et craquante : réécoutez pour le plaisir la version démo de Right between the eyes !
1969 cette année n'est pas seulement érotique mais lysergique ! Le deuxième concert de CSN&Y a lieu à Woodstock, devant un demi-million de personnes. C’est la consécration. Quelques mois plus tard paraît Déjà Vu, album étincelant, intemporel, qui aligne avec allégresse les tubes (Carry on, Teach your Children, Almost Cut my Hair, Helpless, Woodstock…).
Mais la gloire, si elle n’est jamais exclusive, définit surtout la fidélité comme étant d’abord un attachement à soi-même. Et au vide que parfois elle abrite…
Neil Young, vu par Graham Nash (qui est également photographe) : "Everybody knws this is nowhere…"
En 1971, au moment où paraît 4 Way Street, l’album de la première séparation, chacun est déjà seul sur sa propre route mais, à la différence de Neil Young, qui n’avait jamais vraiment quitté celle-ci, les trois autres, malgré les albums solos, n’existeront, musicalement parlant, ne reverront la lumière, qu’au gré des reformations, des retrouvailles, sous l’égide de l’association magique, en duo, en trio, à quatre au gré des envies de Neil Young (1974, 1988, 1999, 2004).
Stephen Stills : il est émouvant de les voir ainsi sur scène avec leurs visages de rescapés..
Longue sera la traversée, jalonnée d’errances, de défaites, de tragédies mineures. Avec des couteaux et des traits tirés, des lignes blanches pareilles à des rails qui ne mènent nulle part, des balles perdues, des corps malmenés, le temps qui vous trahit. Et toujours, dans la voix, ce fil d’or, cette pulsation, ce chant qui monte dans la nuit : magie de la musique qui est comme le cœur invisible du monde :
"If you can't be with the one you love, love the one you're with"
Post-scriptum : Crosby, Stills and Nash (sans Young) étaient hier soir sur la grande scène de Paléo.Sur la route d’une mini tournée européenne, ils se sont arrêtés à Nyonpour un concert intergénérationnel émouvant. Après des débuts un peuhésitants, le trio, assisté de trois solides musiciens, est monté enpuissance, revisitant les grands classiques de son répertoire (Long time gone/Déjà vu/Almost cut my haïr/Love the one you’re with/Teach your children notamment), avec quelques incursions réussies sur d’autres territoires (Ruby Tuesday des Stones ou Behind Blue Eyesdes Who). Plus de quarante ans après Woodstock, ils sont toujours là,inaltérables presque, la voix miraculeusement préservée (surtout cellede David Crosby).
Il est émouvant de les voir ainsi, sur scène, avec leurs visages de rescapés, renouer avec leur jeunesse, qui aussi la nôtre, avec une époque qui, même si elle n’est pas très éloignée, fait peut-être figure à nos yeux de ce qu’était l’Age d’Or dans l’Antiquité. Comme lorsqu’on « visite les ruines de Pompéi: pour retrouver les souvenirs d'une époque somptueuse. » (Antoine Duplan, l’Hebdo)
Joni Mitchell et Graham Nash, photographie d'Henry Diltz
A moins que, nouveaux Orphée, ces bardes contemporains ne réécrivent un autre mythe et que, par la vertu de la musique qui est la meilleure alliée de la mémoire, ils ne nous ramènent nos Eurydice des enfers, et nous avec !
Mais que personne ne se retourne trop longtemps, je vous en supplie !
Le classement des dix meilleures chansons de C.S.N. (& Y.) : allez ! c’est à vous de jouer !
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6 Comments
C’est sûr : c’est pas demain que tu nous feras un billet sur Mylène Farmer 🙂
Who knows ?…
Name that dog: http://www.youtube.com/watch?v=r...
J’ai découvert CSN en 1976 lors de mon premier chantier de fouilles préhistoriques. Sur le plateau du pays de Caux, on pouvait, les jours de temps calme (pour la Normandie) capter avec nos petits "crin-crin" Radio Caroline.
La claque 35 ans plus tard. La roue a tourné mais l’émotion est toujours omniprésente lorsque j’entends ces mélodies.
Merci Jacques
Bruno
Jolie chronique ! bravo
Désolé pour la video : elle a été effacée… On se demande bien pourquoi ? Pourtant, elle était tout ce qu’il y a de plus officiel ! Prestation moyenne, peut-être ? ça saute plus à l’oreille à l’écran que dans l’ambiance concert. Droits d’auteur ?