Ouf ! On arrive au bout du marathon. Vient le temps de la détente, de l’hédonisme. Le Grand Jury est reçu ce soir chez le Comte de Malet Roquefort pour un dîner amical au cours duquel seront servis quelques vins mémorables : La Gaffelière 1959, La Gaffelière 1955, La Gaffelière 1949 et La Gaffelière 1928 que j’avais déjà eu le bonheur de déguster. Plus question ici de juger, d’évaluer, de donner des points, de jouer les pythies de service mais, au contraire dirais-je, de se laisser emporter vers d’autres rivages, plus lointains, plus mystérieux, de devenir contemporain d’un temps, d’un époque, d’une durée où nous n’étions pas, où nous ne serons plus, à la fois dans cette suspension de l’instant et dans l’étalement de la durée. Les noces improbables de Chronos et de l’Aiôn. Bon, voilà que je m’aventure vers d’autres terres… Chaque fois qu’il m’est donné de savourer un grand vin arrivé à son apogée, je suis fasciné par cette question du temps, celle du temps qui a passé, qui ne reviendra plus dans nos vies et qui pourtant est là, comme précipité dans la bouteille ; celle du temps qu’il faisait, toutes ces anecdotes du soleil, du vent, de la pluie, ces événements singuliers, imprévisibles, qui, mis bout à bout, signent un millésime. J’écoute le comte de Malet Roquefort évoquer le grand gel de l’hiver 1956, les descentes à ski depuis le haut de St-Emilion jusqu’à la petite gare située non loin de La Gaffelière. Evoquant à mon tour le millésime 1949, je fais référence à ces incendies terribles dans les Landes à proximité de Bordeaux durant l’été 1949, des milliers d’hectares de forêts ravagés par les flammes, de nombreuses personnes brûlées vives et ce vin solaire, empyreumatique, avec des notes de bois calcinés. J’imagine une rêverie à la Bachelard sur les quatre éléments. C’est une piste à explorer, celle des vins de feu, des vins de terre, des vins aériens, des vins de lumière, des vins fluides ou, pourquoi pas, aquatiques. Quatre grandes lignes de démarcation, quatre grilles d’interprétation pour une combinatoire des éléments évidemment beaucoup plus complexe. Et soudain, en fin de soirée, cette grande fatigue qui s’abat sur certains après 250 vins dégustés dans la journée. Un des convives a même sombré dans un profond sommeil… Au moment où le 1928 est versé dans nos verres… Dort-on pendant un tel événement ? Quel sort attend l’infortuné ?
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