Avant le vernissage, j’ai eu le privilège de rencontrer Pierre-Yves Gabioud dans son atelier de Praz de Fort. Là, parmi les monotypes, les gravures, les fusains et les pastels, nous avons parlé du rapport mystérieux, inspiré, profond que l’artiste (même s’il n’aime pas ce mot) que l’artiste entretient avec ses paysages, ceux dans lesquels il s’immerge, parce que le vivant ne se sépare pas du végétal et du minéral.
Voici un portrait-mosaïque délié de Pierre-Yves Gabioud :
"La peinture est un un prétexte pour sortir ; il va me permettre de passer une journée entière parmi les abricotiers en fleurs et me laisser enivrer par le bourdonnement des abeilles ! En ce moment, je suis subjugué par cette beauté éphémère, ce contraste entre le froid qui règne encore sur les coteaux et les premiers rayons du soleil, les fleurs qui apparaissent, qui fusent. Cet arbre vient de régions chaudes, de Chine, d’Arménie, il appelle la lumière ; le moindre coup de froid, à ce moment-là, peut l’anéantir.
Dans mon travail, immergé au milieu de la nature, je suis toujours à la limite du stéréotype, du cliché, de la confiserie… Quand on sait cela, on sait que derrière, juste derrière, il y a le danger, il y a Adolphe prêt à lever le bras et à entraîner les foules là où on sait… Si on a la moindre morale et la moindre décence artistique, on s’interdit de se complaire dans ces zones-là.
C’est la raison pour laquelle je me sens beaucoup plus rassuré par la démarche de l’artisan que par celle de l’artiste. Je ne veux pas me mettre dans l’artisterie, ça me va comme une selle à un cochon.
Si je veux peindre le chant de l’univers et le faire à l’acrylique, alors, je dois me demander : pourquoi tu le fais à l’acrylique ?
Le sapin je m’attaque au sapin. Quand je suis assis devant le sapin – je peux y revenir pendant une année – j’ai l’impression que je ne suis pas le seul à travailler ; c’est lui qui travaille en moi. Le sapin a quelque chose de hiératique, il tient la terre. Si la terre décolle, c’est parce que la sapin l’emporte avec lui. Dans une forêt de sapins, c’est sérieux, grave, c’est l’endroit où l’on demande la main de la femme de sa vie. Dans une forêt de pins – je connais une coulée admirable, Les Chantons des Filles, au dessus du contour des trappistes – c’est différent, sinueux, baroque, plein de cabrioles et d’alacrité.
Je cherche mon alphabet dans l’écriture des arbres. Peu en peu, je m’installe ici. L’arbre me prend en lui, me donne un peu de sa parenté, de sa lenteur, de son évidence.
Tout ce que je fais, ce sont juste des traces dans la neige, infimes. J’ai des doutes. Parfois, je me dis : il faudrait que tu t’arrêtes, que tu t’allèges de tout et que tu meures de mort naturelle au pied de l’arbre.
Mais qu’est-ce que je pourrais faire d’autre ? Vendre des assurances ou des aspirateurs ? Etre paysan ? Je ne plus la force. Devenir terroriste ? Je l’ai déjà été, dans une autre vie.
Finalement, je me dis : ce n’est pas à toi de juger de ton travail…
Je regarde les lumières, les ombres, les masses, les rythmes, les contrastes entre les grandes clartés et les grandes ombres d’où naissent les masses. Il n’y a pas de motif. Il ne faut pas de composition. Tout est bon. Même une boîte de conserve. Regarde Morandi. Regarde Rembrandt.
Lenteur J’avance dans la peinture avec une telle lenteur que plus ça va, plus j’ai l’impression que la chose s’éloigne. Je suis attaché par ce mouvement de retrait et d’éloignement et j’ai envie d’y revenir le lendemain pour savoir comment la chose se comporte.
Je me laisse porter par le bruit du fusain qui caresse le papier, scratch… scratch… pffff… c’est une induction hypnotique incroyable, un murmure à faire pâlir les Tibétains.
A ce moment, je suis complètement dans ce murmure. Je n’ai plus de temps, plus d’espace. Je suis devenu le spectateur du travail qui se fait ; je suis de moins en moins acteur. Je regarde ce que ma main fait, sans la contraindre, parce que j’ai de moins en moins confiance dans celui qui est derrière la main et voudrait la contraindre…
Je me contente des articulations, des passages, exactement comme un artisan, un ébéniste et son bois, un boucher qui découpe sa viande.
La montagne quand on est face à la montagne, en noir et blanc, ça chinoise nécessairement. Il ne faut pas avoir peur de chinoiser.
Le regard et la virtuosité
Qand je vois la minceur de certaines « œuvres » que l’on présente aujourd’hui, je me dis que ça se détruit au lavage. Trois regards et ça s’en va…
Parfois des jeunes viennent me demander de leur prodiguer des conseils. Je ne suis pas donneur de conseils. Je leur dis simplement ceci : Ayez le courage de peindre aussi mal que vous peignez, ne trafiquez pas, ne trichez pas, n’essayez pas de montrer votre virtuosité ! Aussi peu que ce soit, ayez le courage de faire ce qui est peu, presque rien. Et c’est cela la vie palpitante.
L’axe d’amour est d’une gratuité totale. Si la personne à laquelle cet amour est destiné n’est pas capable de le recevoir, ce n’est pas perdu : à l’autre bout de la planète, quelqu’un le recevra un jour."
Et puisqu’il est beaucoup question d’arbre, ne manquez pas The Tree of Life, le dernier film de Terrence Malik, merveilleux poème cosmique, méditation profonde sur la naissance, la vie et la mort ; la nature et la grâce. Un film bouleversant, térébrant, épuré et baroque réalisé par un cinéaste légendaire et secret qui, avec ce dernier opus, évoque un peu son histoire personnelle (suicide de son jeune frère).
Restaurant Les Alpes, Orsières, Marbré de lotte en minestrone.
Et sur le chemin de Saxon (enfin, pas très loin..) ou du val Ferret, je rappelle ici l’adresse du restaurant Les Alpes à Orsières où Samuel Destaing a pris la succession de Jean-Maurice Joris il y a un an. Sa cuisine est rigoureuse, percutante, interprétée avec brio et mérite largement la visite. Dès les beaux jours, on peut prendre l’apéritif sur la terrasse, sur la place du pittoresque bourg d’Orsières.
11 Comments
Maniéré, vain, ennuyeux …
Il y avait tellement plus à dire sur cette filiation ratée.
Je parle du film de Mallick !
Revoyez les moissons du ciel, plutôt.
Ne sois pas nostalgique, Laurent. On peut voir The tree of life dans la perspective que tu décris mais, à mon sens, c’est assez superficiel. Le film est certes un peu maniéré parfois, mais de là à dire qu’il est vain et ennuyeux, je ne te comprends pas. Comme disait un célèbre journaliste sportif : on n’a pas dû voir le même match…
Nous n’étions pas dans le même contexte, Jacques …
Et puis n’est pas Kubrick qui veut.
Il passe surtout à côté de son sujet.
A mercredi …
🙂
Par ailleurs, par rapport au nanard thaïlandais Palme d’Or l’année dernière, c’est un très bon film …
Marrant, Malick avait fait dire à propos d’un critique qui prétendait qu’il était passé à côté de son sujet dans la Ligne Rouge que s’il pouvait précisément lui expliquer le sujet du film tel que lui l’avait pensé, il lui offrirait le rôle titre de son éventuelle prochaine oeuvre …
Plus entendu parler de ce critique. 🙂
Paul,
Demande donc à Apichatpong ce qu’il a voulu nous dire dans Oncle Boonmee ou tropical malady …
🙂
J’aime beaucoup ce que fait Pierre-Yves Gabioud, certainement bien influencé par Gérard de Palézieux, avec une patte figurative un peu plus contemporaine.
Palézieux, un des rares artistes invité à exposer au Musée Rembrandt à Amsterdam en 2000 !
http://www.cepdivin.org/articles...
The Tree of Life, de l’élégie cinématographique ? A déguster avec les chakras en éveil 😉
Vu la balade sauvage hier …
Beaucoup aimé ce road movie, sans fioritures, avec une Sissy Spacek aussi innocente que touchante et un Martin Sheen désabusé qui ressemble en effet à James Dean (et déjà quelques scènes de nature qui semblent annoncer the tree of life).
Laurentg t’es un rebelle
T’as raison Armand !
Il m’arrive mettre du jus de citron sur ma côte de veau, c’est dire …
🙂