En dehors de quelques parcelles de vieilles vignes, le vignoble du domaine est majoritairement planté de clones de syrah très qualitatifs. En vinification, l’approche se veut éminemment classique avec des macérations longues (jusqu’à 30 jours) de raisins le plus possible entiers : René Rostaing avoue d’ailleurs se poser chaque année la question « jusqu’où puis-je ne pas érafler ? », convaincu de la supériorité des vins vinifiés ainsi dans l’expression et surtout le temps. L'élevage d’environ deux ans est réalisé avec seulement 10% de pièces neuves et surtout des fûts de un à neuf vins parfaitement entretenus.
Restait à déguster le fruit de ce travail en présence de René Rostaing, sous forme d’une dégustation croisée, avec six très beaux millésimes au programme. Les vins ont été goûtés dans l’ordre suivant, par millésime et pair.
2001.
Vins corsés. Cette année classique et réputée a donné des vins qui aujourd’hui commencent à bien se goûter, même s’ils en ont encore sous le pied, paraît-il. Ceci dit, avouons que nous avons ce soir-là été un peu désarçonnés par cette série, les deux vins se livrant assez peu en l’état. La Landonne dispense quelques notes de prunelle et d’oxyde de fer ; la trame est à la fois lâche et en même temps composée de tanins semblant nécessiter un peu de garde. Côte Blonde paraissait plus jeune dans l’évolution aromatique, le tanin et le corps, avec une race supérieure sur les deux bouteilles goûtés ce soir-là.
2003.
Sous le soleil. On se souvient tous ou presque des excès de 2003. René Rostaing utilise d’ailleurs volontiers la formule « le soleil a violé le terroir » pour décrire le millésime. On pourrait être d’accord, notamment sur cette Landonne aux arômes extravagants et puissant de fruits confits, d’abricot, et de fleurs ; la bouche est relativement grasse et opulente, tabacée, solaire. A contrario, Côte Blonde semble être plus fort que le millésime : tout y est plus frais, le tanin plus petit, le corps sinueux et l’allonge davantage sapide. Un très beau vin dans le contexte, et qui semble vieillir à rythme mesuré.
2004.
Végétal « noble ». On monte d’un cran avec ce millésime très peu médiatisé et qui a pourtant donné de vins racés et stylés. La Landonne de cette année là est une infusion de menthe poivrée, de réglisse et de fleurs séchées ; la texture est satinée et la saveur fraîche, avec des tanins à la fois présents mais délicats, rendant grâce à la vendange non égrappée. Côte Blonde possède aussi une petite touche de végétal noble, mais elle est finalement plus en fruit, sur des notes de cerise et d’orange qui évoquent les grands pinots non égrappés ; le tanin est poudré et le vin long, défini, sinueux, virevoltant dans l’allonge.
2005.
Longue garde. Continuons avec ce millésime tannique, solaire et sérieux. La Landonne dispense des notes fumées, lardées, réglissées et grillées, avec une touche d’alcool propre au millésime. Comme pour le 2003, le vin s’exprime dans une forme de rondeur et d’opulence veloutée qui lui sied bien. Il est puissant et s’assume comme tel, ce qui rend confiant pour la longue garde. Côte Blonde est par contre beaucoup plus réservé au premier abord, avant de s’ouvrir sur les épices et la grenade mûre. Dès l’attaque, le tanin est plus ferme, plus appuyé même si apparemment plus « fin ». A ce stade il s’exprime avec force nervosité et tension, comme un arc que le temps seul pourra détendre. Grande tenue à l’air.
Vin « pirate » : Coteaux du Languedoc Puech Noble rouge 2007. D’un commun accord, nous avions décidé avec René de proposer à la dégustation, mais à l’aveugle, le vin qu’il réalise depuis quelques millésimes déjà en Languedoc, du côté de Langlade, à deux pas de Nîmes. Sur des terroirs de grande qualité, riches en calcaire, il assemble une dominante de syrah (plus de 70%) à de beaux grenache et mourvèdre. Il a donc produit en 2007 un vin qui a plu ce soir-là, unanimement : fruité explosif de syrah du sud mûre mais sans aucun excès (fruits noirs, abricot, garrigue, ronce). La bouche est infiniment juteuse et plaisante, précise dans la livraison du fruit, éclatante, rafraîchissante. On notera qu’à l’exception de quelques stylistes du Pic St-Loup, peu de vignerons languedociens maîtrisent à ce point la culture et vinification de ce cépage aujourd’hui. Bravo.
2006.
Classicisme indémodable. Une fois n’est pas coutume, voilà une doublette qui rehausse l’image d’un millésime complètement sous-estimé, encore aujourd’hui. Et pourtant. Quelle magnifique Landonne, sanguine, juteuse avec ses accents d’orangette ; la bouche allie à merveille fraîcheur, puissance, volupté et une petite pointe de sauvagerie propre au terroir qui accentue la sensation de race. Grand vin difficile à cracher. On croit ne plus pouvoir monter, puis on découvre la beauté infinie de la Côte Blonde de la même année : nez franchement magnifique de fleurs (pensée, violette), de fruits rouges frais et d’ambre gris ; le velouté et la finesse de la bouche est celui des plus grands vins rouges français. Vin aérien, arachnéen.
2007.
Sensualité immédiate. Puis nous avons fini la soirée en beauté avec une autre année sous-cotée, très sensuelle. La Landonne fait en effet un grand numéro de charme : superbe de nez de violette, de suie et de graphite, propre au terroir et au style de vinification ; la bouche est magnifique de gourmandise et de plénitude, avec cette texture particulière qui rappelle les plus nobles étoffes. Peut-être la plus belle Landonne de cette série. Sa fausse jumelle, Côte Blonde, offre une explosion d’arômes : notes de kirsch, cassis, abricot, encens ; son tanin « surfin » que seuls de grands raisins entiers permettent devrait faire réfléchir nombre de vinificateurs et amateurs de syrah qui pensent que ce cépage est voué à la virilité. La Belle affiche un profil que l’on peut qualifier de sexy, exprimant bien la souplesse de l’année.
Un mot pour finir, sur la Côte Rôtie Cuvée des Terroirs 2008 que nous venons de recevoir, mais qui n’a pas été dégustée ce soir là car nous souhaitions rester dans la thématique « croisée ». Dans cette année réputée difficile, René Rostaing a pris une décision sage : il est un des seuls dans son appellation à ne produire qu’une seule côte-rôtie, assemblant ses meilleurs lots – dont Landonne et Côte Blonde – et la commercialisant au prix de sa cuvée classique (prochainement rebaptisée Ampodium, du nom d’Ampuis sous la période gallo-romaine). Les lots moins qualitatifs ont été écartés. Il en résulte un très beau vin classique, qui ravira les amateurs de syrah de dentelle, dans un style rappelant les délicieux 2004.
Aujourd’hui plus que jamais, René Rostaing fait partie de l’élite des vignerons français. La discrétion médiatique de l’homme contraste avec la renommée et qualité de sa production. Un grand merci à lui pour ses explications et ces bouteilles de rêve.
2 Comments
Merci, Nicolas.
Landonne 2001 m’a semblé manquer d’impact.
Encore plus comparée à Turque 2001 et Jamet Brune 2001.
Idem pour Landonne 2000, plus en finesse qu’en force, dirons-nous …
Bien aimé la finesse de la simple Côte-Rôtie 2006 (16/20).
Même "inattendu" beau niveau pour Puech Noble 2007, très expressif (un peu comme mas d’Alezon 2000 ou Roc d’Anglade 2001, issu d’une coopération entre René Rostaing et l’ami Rémy Pédréno que je salue s’il nous lit).
Arômes très Rhône Nord et une infime suavité trahissant l’origine (mais le vin garde une respectable fraîcheur).
Souvenir que la Landonne 2001 que j’avais amené dans le Sud avait partagé il y a bientôt 2 ans.
Beaucoup de finesse et de classicisme pour certains, presque maigreur pour d’autres. En tout cas, il n’y avait pas d’urgence à la boire.