« Jamais Jean-Pierre Vinzel n’avait expliqué à ses enfants sa passion pour la vigne et le vin. Des photos en noir et blanc le montraient attentif, le cheveu lissé en arrière à l’embusqué, écoutant les commentaires d’un hôte de dos, dans un parchet. » *
Hormis les grands crus, peu d’étoiles, guère de présences dans l’orbite de ce père énigmatique, nommé « l’homme » ou, le plus souvent, Jean-Pierre Vinzel : les arbres, une épouse dont il a emporté le sourire, il y a longtemps déjà, les phénomènes insolites, le cosmos, les femmes contemplées à distance, les signets dans les livres, une secrétaire vestale, occupée à cette tâche fastidieuse (archiver le vide), dont le nom, écho ironique, ressemble à celui de Rita Hayworth.
Alain Chapel, le cuisinier génial de Mionnay, un proche de Jules Chauvet.
Mais, surtout, il y a Jules Chauvet, divinité tutélaire déjà apparue dans le Poisson-Tambour, le précédent livre de Corinne Desarzens : il plane au-dessus du récit, l’inspire en partie, le relance à travers l’épisode de l’annonce parue un jour dans le journal Le Temps, apparaît comme le double rêvé par le père (qui fut négociant en vins), une figure de la maîtrise, personnage fascinant et inquiétant à la fois :
« – Celui qui me fascinait le plus vinifiait à la Chapelle de Guinchay dans le Beaujolais, dit-il d’un air mystérieux. Il s’appelait Jules Chauvet. » *
Jules Chauvet
Jules Chauvet « dont les préoccupations étaient ailleurs », que dans la vie réelle, que dans les avanies du quotidien, qui s’égaraient dans ce rêve d’un univers frémissant, subtil, infini, dans le sillage complexe d’une verveine musquée (citron-menthe-musc).
J’ai également eu le privilège de connaître cet homme : Jules Chauvet fut une de mes sources d’inspiration, dans le vin.
Tous les jours, à 11h00, devant son petit bureau où régnait un désordre de funambule, Jules Chauvet – que nous surnommions Panoramix – dégustait comme un pianiste fait ses gammes, qu’il vente, qu’il pleuve. Seul la plupart du temps.
Jules m’a « autorisé » quelquefois à l’accompagner dans ce voyage immobile.
Jules m’a « autorisé » quelquefois à l’accompagner dans ce voyage immobile.
J’ai ce souvenir d’un visage sombre, sévère, de ses traits hiératiques, d’une concentration qui se traduisait chez lui par une allure de sphynx, les yeux mi-clos, humant le vin, les vibrisses en alerte, apparemment dotées d’une vie palpitante ; le corps altier, malgré l’âge, tendu vers une planète visible de lui seul.
Comme si pour réinventer le monde des parfums, il prenait de la hauteur…
– L’altitude ? reprit Jacques, interrogé sur le Margaux tiré du sac de l’alpiniste. Bonne, très bonne. Un atout pour bien déguster. Jules ne dégustait qu’en plein air, même l’hiver.*
Quête magnifique, envoûtante, tragique.
Interrogé sur le Gevrey-Chambertin que nous dégustions dans la lumière ambrée d’un matin d’automne, Jules posa un regard distrait sur moi, réfléchit interminablement, répondit enfin :
– Ce vin… parfum de rose épicée, violette ambrée et truffe associée à la venaison… cette courbe en bouche, parfaitement dessinée au relief vigoureux… Celui qui l’a fait a disparu depuis longtemps !
– Ce vin… parfum de rose épicée, violette ambrée et truffe associée à la venaison… cette courbe en bouche, parfaitement dessinée au relief vigoureux… Celui qui l’a fait a disparu depuis longtemps !
– Jules ne disait par les choses telles qu’elles devaient être. Il les énonçait telles qu’elles lui manquaient. *
Lisez Tabac de Havane évoluant vers le chrysanthème, ce très beau livre, aérien et grave, tout empli d’une ironie dansante, traversé de joyeuses intensités.
Mais ne comptez pas sur moi pour vous dire de le savourer comme un grand vin ! Je déteste les clichés.
* Les passages suivis par un astérisque sont extraits du livre de Corinne Desarzens.
Corinne Desarzens, Tabac de Havane évoluant vers le chrysanthème, 150 p. Jean-Paul Rocher, éditeur
Mais ne comptez pas sur moi pour vous dire de le savourer comme un grand vin ! Je déteste les clichés.
* Les passages suivis par un astérisque sont extraits du livre de Corinne Desarzens.
Corinne Desarzens, Tabac de Havane évoluant vers le chrysanthème, 150 p. Jean-Paul Rocher, éditeur
4 Comments
Quel personnage ce Jules Chauvet, sorti tout droit d’une autre époque et quel pionnier : il a pratiqué les premières vinifications sans soufre à l’époque où ce mouvement n’était pas à la mode…
Je vais me procurer ce livre dès que possible et le lire, ça nous changera des pleurnicheries de Chessex.
Ne pas oublier "Les tribulations d’un amateur de vins" ( éditions La Presqu’île ) de Jacques NÉAUPORT qui fut le collaborateur zélé de Jules CHAUVET. C’est une compilation d’anecdotes irrésistibles qui jalonnent une vie dominée par des parcours initiatiques, parfois même des errances, dans des régions et des pays où toujours poussent des vignes……
Voir aussi les précédents livres édités chez Jean-Paul Rocher :
– Jules Chauvet ou le talent du vin (1997)
Le vin en question, Jules Chauvet, 1998
– Sur les pas d’un amateur de vins, Jacques Néauport, 1996
et :
– Réflexions d’un amateur de vins, 1994, La Guilde